C’est une première en France, des tweets antisémites ont été retirés de la toile. Cela n’était pas évident pourtant, compte tenue de l’idéologie de Twitter qui, depuis sa création, prône haut et fort la liberté d’expression. Malgré tout, cette intervention se situe dans la continuité de la politique amorcée depuis quelques années par l’entreprise.
Une semaine de tweets antisémites
Tout démarre, le 10 octobre, par l’apparition du nouveau hashtag (mot-clé) #unbonjuif sur Twitter, l’idée étant pour les twittos de rivaliser d’imagination pour définir ce qu’est un « bon juif ». Rapidement, la toile s’en empare et de la mauvaise blague qu’il était au départ, le hashtag devient prétexte à un déferlement de propos antisémites assumés. Le sujet devient même le troisième le plus abordé sur Twitter.
Face à cet engrenage, l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) est montée au créneau. Twitter n’ayant pas de siège en France, elle contacte alors le siège de San Francisco, lui transmettant les tweets litigieux et le menaçant de l’assigner en référé. Le vendredi 20 octobre, soit 10 jours après les premiers tweets antisémites, Twitter accepte finalement de les retirer de la toile.
Les dessous du retrait des tweets
Cela ne s’est pas fait sans réflexion de la part de Tweeter. L’entreprise avait tout d’abord refusé de retirer les tweets antisémites de son réseau, considérant que les personnes en désaccord avec ceux-ci pouvaient à leur tour créer un hashtag à leur encontre.
Il s’agit en fait d’un conflit qui s’opère entre la liberté d’expression toute puissante qui est en vigueur aux Etats-Unis, et la vision plus restreinte qu’en fait la France. En effet, comme beaucoup d’autres pays d’Europe, la France considère entre autres que la provocation publique à la discrimination ou à la haine raciale, ou encore l’injure publique raciale nationale ou religieuse est un délit, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté de l’Atlantique. Cette opposition entre les deux visions est d’autant plus forte que Twitter n’a pas d’implantation autre part qu’aux Etats-Unis, et considère donc la loi américaine comme étant celle qui s’applique en premier lieu. Mais l’entreprise a finalement opté pour la raison, et a retiré les tweets en cause de son réseau.
Twitter a donc choisi de respecter la loi française. L’article 6 I. 2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pose en effet le principe qu’un hébergeur n’est pas responsable du contenu qu’il met à disposition du public s’il n’en a pas connaissance ou si, dès lors qu’il en a pris connaissance, il agit promptement pour retirer les informations litigieuses ou pour rendre leur accès impossible. En sa qualité d’hébergeur, Twitter était donc tenu, selon la loi française, de retirer promptement les tweets antisémites que l’UEJF lui a indiqués, ce qu’il a fait.
Ce comportement s’inscrit par ailleurs dans la ligne de conduite que s’est fixée Twitter depuis deux ans. Dans deux communiqués successifs, l’un datant du 28 janvier 2011 et l’autre du 26 janvier 2012, l’entreprise montre sa volonté de limiter la liberté d’expression sur le réseau social , en déclarant : « A Twitter, nous avons identifié nos propres responsabilités et limites. Il y a des tweets que nous supprimons, comme les tweets illégaux ou les spams » et « Nous nous donnons la possibilité de retirer des contenus d’utilisateurs dans des pays spécifiques, en les laissant disponibles pour les autres pays ». Twitter avait déjà mis en application cette ligne de conduite, notamment en supprimant une semaine auparavant le compte d’un groupuscule néo-nazi en Allemagne.
Une affaire à suivre
L’histoire ne va pas en rester là. En effet, l’UEJF compte bien retrouver les auteurs des tweets antisémites. Dans cette optique, elle a annoncé qu’elle intenterait une action en justice contre Tweeter pour forcer l’entreprise à respecter la loi française et à mettre les données d’identification des utilisateurs twittant illégalement à disposition. Elle a également appelé le parquet à saisir la justice pour récupérer les données des twittos en question.
Une longue bataille judiciaire reste donc à venir. L’UEJF va-t-elle parvenir à faire plier le géant numérique à la loi française ?
Sources :
GOURION S., « “#Unbonjuif” : Twitter vitrine ou poubelle ? », lemonde.fr, mis en ligne le 17 octobre 2012, consulté le 21 octobre 2012, <http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/17/unbonjuif-twitter-vitrine-ou-poubelle_1776740_3232.html>
Anonyme, « Twitter accepte de retirer les tweets antisémites », lefigaro.fr, mis en ligne le 19 octobre 2012, consulté le 21 octobre 2012, <http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/10/19/01007-20121019ARTFIG00536-twitter-va-retirer-des-tweets-antisemites.php>
BOURDEAU T., « Twitter interpellé pour un hashtag à connotation antisémite », rfi, mis en ligne le 18 octobre 2012, consulté le 21 octobre 2012, <http://www.rfi.fr/france/20121018-twitter-uejf-unbonjuif-racisme-antisemitisme-ultradroite>
MAURIAC L., « Pourquoi Twitter a accepté de retirer des tweets antisémites », Rue89, mis en ligne le 20 octobre 2012, consulté le 21 octobre 2012, <http://www.rue89.com/2012/10/20/pourquoi-twitter-accepte-de-retirer-des-tweets-antisemites-236378>