“Sacrilège, la taxation des œuvres d’art est morte, vive la FIAC !” titre le journal le Monde en date du 17 octobre 2012.
Créé en 1981, l’ISF n’a jamais pris en compte les œuvres d’art, celles-ci étant dès le départ exclues de l’assiette de cet impôt. Dans un souci de préserver le marché de l’art, l’article 885 I, alinéa 1 et 2 du Code général des impôts dispose ainsi que sont exonérés, sans aucune condition et, n’ont donc pas à être déclarés les objets d’art, de collection ou d’antiquité définis au tarif douanier commun.
Bien que Les tentatives d’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF aient jusqu’à présent échoué, elles n’ont pourtant pas été sans heurs.
Dès 1998, la gauche avait tenté de mettre fin à cette exonération bien que le gouvernement Jospin ait contraint sa majorité à y renoncer.
En 2011, c’est le député UMP Marc le Fur qui déposait un amendement visant à assujettir les œuvres d’art à l’ISF. Il fut rejeté.
En Octobre dernier le parti socialiste s’empare à nouveau du sujet. Le député Christian Eckert, rapporteur général du budget, soumet une proposition d’amendement relative à l’intégration des œuvres d’art d’une valeur supérieur à 50 000 euros dans l’assiette de l’impôt sur la fortune, à l’exception de celles exposées au public.
Cet amendement, adopté par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement, fera grand bruit à droite comme à gauche pour devenir un véritable « burning issue ».
La proposition d’amendement se soldera d’un échec puisque lors des discussions à l’Assemblée Nationale sur le projet de budget 2013, les députés rejetteront ( 56 voix contre et 24 voix pour ) la proposition de M. Christian Eckert.
Comment alors analyser cette prise de position dans le contexte qui est le nôtre ?
Contre la taxation des œuvres d’art
– Cette mesure aurait eu un faible impact sur les finances publiques, en effet, Christian Eckert a lui même reconnu que la réforme rapporterait « moins de 100 millions d’euros » au budget de l’Etat.
Il aurait été difficile d’évaluer le prix d’un bien culturel conservé par une famille depuis des dizaines d’années voir des siècles.
Cet impact, en plus d’être faible, est incertain, compte tenu de la volatilité du marché de l’art contemporain.
– Il y aurait eu de multiples contournements possibles, selon le ministre du travail, Michel Sapin : cette mesure aurait entraîné « le départ vers l’extérieur d’une bonne partie du patrimoine français ». Aurélie Filipetti est du même avis, dénonçant un risque de fuite vers l’étranger. En effet, il n’y a rien de difficile à faire sortir des tableaux, sculptures de France.
Selon Guillaume Cerutti, PDG de la maison d’enchères Sotheby’s, la taxation des œuvres d’art renforcerait l’exode fiscal ; « Pour beaucoup de collectionneurs, la taxation des œuvres d’art sera la goutte d’eau qui déclenchera cette décision de départ ».
Par ailleurs, il y avait la possibilité pour les possesseurs fortunés d’œuvres d’art de les dissimuler derrières certains montages financiers notamment avec la création de holdings.
– L’impact négatif sur la culture :
Selon François de Ricqlès, président de la maison d’enchère Christie’s France : Cette décision a sauvé la FIAC.
Cette mesure aurait découragée les propriétaires privé, les entreprises et les collectionneurs de participer par leur mécénat et prêt de leurs œuvres, à la politique culturelle de l’Etat.
Un des arguments avancés en 2011 par François Baroin, ministre du budget de l’époque, était celui de l’appauvrissement des donations des particuliers aux collections nationales, de l’affaiblissement des salles de vente parisiennes et du rayonnement de la France en la matière. En effet, d’après M. Baroin, « 90% des collections publiques aujourd’hui s’enrichissent des donations à l’Etat par des particuliers. » Il y a donc un réel besoin de « renforcer la place de Paris, de renforcer toutes les salles de vente » du pays, concluait-il. Dans cette optique, l’exonération des œuvres d’art fait partie des mesures de «soutien à l’action culturelle ».
– Une mesure peu réaliste: taxer les œuvres d’art à l’ISF n’est pas réaliste en terme de contrôle, d’expertise. En effet, il aurait été difficile de connaître exactement le patrimoine artistique des grandes fortunes. Par exemple, personne ne sait précisément combien d’œuvres de peintres de renom Anne Sinclair a hérité de son grand-père, le célèbre marchand de tableaux Paul Rosenberg.
– Une mesure injuste : Le Conseil constitutionnel a précisé à deux reprises que le patrimoine, «en raison de son caractère annuel est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables. » On peut donc se poser la question du bien-fondé d’une taxation des œuvres d’art, qui ne procurent pas de revenus. A ce titre, pourquoi créer un impôt sur la possession d’œuvres d’art ?
Pour la taxation des œuvres d’art
Selon le rapporteur du budget socialiste Christian Eckert, il faut « donner un signe » :
« au moment où on a un déficit extrêmement important à combler, il me paraît juste de solliciter les gens qui ont un patrimoine. Il y’a les passionnés, les collectionneurs, il y’a aussi les personnes qui utilisent les œuvres d’art comme moyen de placement et il est tout à fait normal qu’elles contribuent à la solidarité nationale. »
Cette mesure, si elle avait été adopté par les députés, n’aurait, en effet, concerné que les personnes qui possèdent un patrimoine d’au moins 1,3 millions d’euros : les personnes qui sont soumises à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. De plus, les œuvres mises à la disposition du public n’auraient pas été taxées. Donc cette mesure aurait peut-être entrainer une augmentation du prêt des œuvres d’art aux galeries, musées français.
Pour ses partisans, une taxation des œuvres d’art est logique. En effet, ce sont des biens qui ne profitent uniquement aux plus fortunés et qui en produisent pas de richesse pour le reste de la société, contrairement à des investissements dans des entreprises par exemple. Ce sont des richesses qui « dorment ».
Cette mesure aurait contré certaines stratégies de défiscalisation : en effet, les œuvres d’art, de par leur statut fiscaux, sont souvent utilisées pour échapper à l’impôt.
Cette mesure n’aurait pas concerné les professionnels des marchés de l’art ni même les artistes : seuls les propriétaires des œuvres qui sont soumis à l’ISF auraient du s’acquitter de cette impôt.
Les députés ont tranché, il n’y aura pas de taxation des œuvres d’art à l’impôt de solidarité sur la fortune. Nonobstant, on peut imaginer qu’il y ait une réforme ultérieure sur la taxation des plus values en cas de vente d’œuvres d’art. En effet, actuellement, les plus values réalisées sur les œuvres d’art sont totalement exonérées au bout de douze ans de détention.
Les députés socialistes ont adopté en Octobre dernier un autre amendement qui ferait passer cette durée de détention ouvrant droit à une exonération totale de douze à trente ans.
Sources :
BELLET Harry « Sacrilège, la taxation des œuvres d’art est morte, vive la FIAC ! », lemonde.fr mis en ligne le 17 octobre 2012, disponible sur : www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/17/sacrilege-la-taxation-des-oeuvres-d-art-est-morte-vive-la-fiac_1776744_3246.html
Bommelaer Claire « ISF : la mise en garde des grands musées », lefigaro.fr, mis en ligne le 15 octobre 2012, disponible sur : www.lefigaro.fr/culture/2012/10/15/03004-20121015ARTFIG00630-isf-la-mise-en-garde-des-grands-musees.php
BOUGLE Fabien « Assujettir les œuvres d’art à l’ISF c’est tuer la création », lemonde.fr, mis en ligne le 11 octobre 2012, disponible sur : www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/11/assujettir-les-uvres-d-art-a-l-isf-c-est-tuer-la-creation_1773917_3232.html
FINGERHUT Jacques, « Réflexions autour de l’impôt de solidarité sur la fortune, entre justice sociale et enjeux culturels », lagazette-drouot.com disponible sur : www.gazette-drouot.com/static/magazine_ventes_aux_encheres/guide_juridique_des_encheres/014_guide_juridique_des_encheres.html
MABILLE Philippe « Ceci n’est pas une régorme fiscale », latribune.fr mis en ligne le 11 octobre 2012,disponible sur : www.latribune.fr/opinions/editos/20121011trib000724407/ceci-n-est-pas-une-reforme-fiscale-.html