Le 4 octobre dernier la société Google et l’Association des éditeurs américains (AAP)[1]ont signé un accord mettant fin à l’une des plus longues batailles juridiques de l’ère Internet. Ce conflit avait débuté en 2005 suite à la mise en place par Google d’un nouveau service en ligne nommé Google Library ; devenu par la suite Google Books. La philosophie de ce service consiste à numériser toutes les collections détenues par les bibliothèques du monde entier pour les rendre accessibles aux internautes. Cette philosophie de l’accessibilité au savoir universel n’est pas nouvelle dans les projets du groupe Google, mais elle est en l’espèce confrontée à une autre conception, celle du droit d’auteur.
Dans cette perspective, la société a établi plusieurs régimes de représentation des livres numérisés selon que l’œuvre littéraire est tombée dans le domaine public, qu’elle est dite orpheline, qu’elle n’est plus éditée ou qu’elle fait encore l’objet d’un droit d’auteur. Ainsi, selon son statut, l’œuvre est accessible en ligne intégralement ou seulement en partie. Cette numérisation a été faite avec l’accord des bibliothèques en échange d’une copie numérique de chaque ouvrage afin qu’elles puissent développer en parallèle une consultation sur leurs sites.
Cependant, certains auteurs et éditeurs ont constaté que leurs œuvres étaient en libre accès intégralement ou partiellement sur le site Google Books sans leur accord et sans possibilité de les faire retirer. La société Google fut alors poursuivie, entre autre, pour contrefaçon et atteinte au droit d’auteur notamment aux Etats-Unis et en France.
Les éditeurs français face à Google
En France, plusieurs éditeurs ont signé des accords avec Google pour régir l’utilisation des œuvres par ce service et fixer une contrepartie financière .
Le groupe La Martinière fut le premier éditeur à signer un accord avec Google. Cet accord fait suite au jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 18 décembre 2009[2] condamnant Google à verser des dommages-intérêts à l’éditeur et à arrêter la numérisation des œuvres de son catalogue. Renonçant à son appel, Google a décidé de conclure le 25 août 2011 un accord avec l’éditeur. Cet accord consiste à dresser un catalogue des œuvres épuisées de l’éditeur que Google pourra diffuser librement et permettre à l’éditeur de vendre ses ouvrages sur la plateforme de Google.
S’en sont suivis plusieurs accords avec d’autres acteurs de l’édition française, le dernier en date a été conclu avec le Syndicat National des Éditeurs (SNE). Les modalités de cet accord ne sont, pour la plupart, connues que des éditeurs français. Le SNE a pour autant indiqué qu’il sera établi une liste d’œuvres que l’éditeur souhaite voire référencer sur Google Books, que l’éditeur peut s’opposer à la numérisation des œuvres de son catalogue même celles indisponibles. De plus, l’éditeur pourra choisir la quantité dévoilée en aperçu sur le site de Google et sa vente ou non par la société. Enfin, concernant la commercialisation, le moteur de recherche proposera l’achat de l’œuvre sur plusieurs plateformes le SNE n’ayant pas indiqué si Google aura la priorité dans la vente des œuvres publiées.
L’accord américain : l’avancée de Google Books
Aux Etats-Unis, un premier accord avait été signé entre Google, le Syndicat des auteurs et l’AAP en 2008, il prévoyait que Google verserait 125 millions de dollars aux auteurs dont les œuvres avaient été numérisées sans leur accord ; il devait être confirmé par la justice américaine. Cependant le juge du district de New York, chargé d’étudier la légalité de cet accord, l’a rejeté le 22 mars 2011[3] considérant qu’il n’était ” pas juste, adéquat et raisonnable” et a intimé aux parties de renégocier l’accord.
Cette renégociation a été effectuée par le groupe Google avec l’AAP seule. Cet accord ne fait pas l’objet de validation par la justice évitant ainsi une nouvelle déconvenue judiciaire. Si les termes de l’accord restent secrets, certains points ont été dévoilés au public. Les éditeurs américains, comme leurs homologues français, peuvent demander le retrait des titres numérisés par Google ou collaborer avec lui. Cette collaboration consiste en l’octroi d’une copie numérique des œuvres aux éditeurs, 20% de l’œuvre sera lisible sur le site de Google où sera proposé à l’utilisateur d’acheter sa version numérique sur le service Google Play uniquement, sans faire de renvoi au site de l’éditeur.
Quid des auteurs : un conflit résolu partiellement
Ces accords reprennent les règles de l’opt-in (publication suite à un accord de l’auteur ou de l’ayant droit) et de l’opt-out (retirer à posteriori l’œuvre à la demande de l’auteur ou de l’ayant droit). Ils résolvent les problèmes liés, notamment, aux œuvres publiées et aux œuvres indisponibles mais pas ceux liés aux œuvres dites orphelines (œuvres protégées par un droit d’auteur mais dont l’auteur ou l’ayant droit n’a pas été identifié).
En outre, aucun accord n’a, pour l’instant, été signé entre Google et les syndicats d’auteurs français et américains. Aux Etats-Unis, Google fait l’objet d’un recours collectif intenté par la Guilde des Auteurs ; malheureusement, cette bataille juridique semble vouée à l’échec. En effet, Google a dénoncé le recours collectif et a été entendu en première instance par la justice ; un appel est en cours. Ce procès va sûrement être réglé soit par un accord entre les parties soit par le rejet du recours collectif et l’obligation pour les auteurs de poursuivre Google individuellement.
Ces accords révèlent une volonté certaine de Google d’éviter le recours à la justice étatique et à la longueur de ses procédures en forçant ses adversaires à se plier à ses exigences. Comme il est en train de le faire à l’heure actuelle face au gouvernement français et sa fameuse taxe Google.
SOURCES :
ANONYME, “Google signe un accord avec des éditeurs américains“, lemonde.fr, mis en ligne le 4 octobre 2012, consulté le 19 octobre 2012,<http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/10/04/google-signe-un-accord-avec-des-editeurs-americains_1770405_651865.html>
GUILLAUD H., “L’accord Google Books n’est pas raisonnable”, lafeuille.blog.lemonde.fr, mis en ligne le 23 mars 2011, consulté le 119 octobre 2012,<http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2011/03/23/laccord-google-books-nest-pas-raisonnable/>
GARY N., “Google Books : les éditeurs signent, les auteurs persistent“, actualitte.com, mis en ligne le 6 octobre 2012, consulté le 19 octobre 2012,<http://www.actualitte.com/justice/google-books-les-editeurs-signent-les-auteurs-persistent-37276.htm>
GARY N., “Accord des éditeurs avec Google : “Un internet raisonné où chaque partie se comprend“”, actualitte.com, mis en ligne le 11 juin 2012, consulté le 19 octobre 2012,<http://www.actualitte.com/reportages/accord-des-editeurs-avec-google-un-internet-raisonne-ou-chaque-partie-se-comprend-1745.htm>
[1] The Association of Americans Publishers
[2] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 18 décembre 2009, RLDI 2009, n° 1848, obs. L.C
[3] District Court, Southern District of New York 22 mars 2011, D. 2011, p. 1272, obs. P. -Y. GAUTIER ; Légipresse 2011, no 282, p. 199, obs. E. PIERRAT.