Si quelques vagues informations ont circulé cet été, rien n’était encore officiel. C’est désormais le cas, depuis l’annonce par Google le 8 octobre au MIPCOM* à Cannes, de la création de treize chaînes françaises sur YouTube (filiale de Google). L’occasion pour nous de revenir sur la stratégie de Google et les problématiques juridiques au regard des contenus audiovisuels sur internet et de la télévision connectée, sans oublier les changements comportementaux entrainés par ces nouvelles pratiques.
YouTube, le nouvel atout de Google
En 2006, Google rachète pour 1,65 milliards de dollars YouTube, un petit site de partage de vidéos amateurs, devenu désormais la première plateforme de vidéos du monde chiffrant à 800 millions le nombre de visiteurs uniques mensuels dans le monde et 27 millions en France.
Continuant son développement, la plateforme de diffusion de vidéos lancera, avant la fin de l’année, treize chaînes thématiques en ligne en France, et une quarantaine en Europe. YouTube s’est associé à des professionnels du Web et de la télévision traditionnelle pour concevoir des émissions « personnalisées » sur la cuisine, la santé, le sport, la musique… Ces professionnels seront responsables de la conception, du contenu et de l’éditorial de ces programmes courts (mais non limités). Parmi eux, les sites Doctissimo, Auféminin et Marmiton proposeront des chaînes qui s’inscriront dans la continuité de leurs sites, mais également Euronews, l’agence de reportages Capa pour « Rendez-vous à Paris », ou encore la société de production Endemol qui consacrera sa chaîne « It’s big » aux actualités des stars.
L’expérience de ces chaînes YouTube a débuté aux Etats-Unis il y a un an et elles sont près d’une centaine aujourd’hui, dont vingt-cinq d’entre elles génèrent plus d’un million de vues par semaine. Les dirigeants espèrent bien atteindre un tel succès en Europe.
Le marché de la télévision connectée accaparé par Google ?
Rappelons que la télévision connectée est une télévision permettant l’accès à Internet. Elle peut être utilisée à l’aide d’une connexion directe ou indirecte (consoles de jeux…) et offre aux téléspectateurs la possibilité d’utiliser différents services (vote…) et d’interagir avec différents contenus. Si pour l’instant, d’après le CSA, seulement 10 à 20% des téléviseurs connectables sont réellement connectés, ces chiffres sont appelés à s’accroitre dès 2013.
Il est évident aujourd’hui que ces nouveaux services de télévision à la demande sur internet s’envisagent comme une alternative sérieuse pour de nombreux utilisateurs. Le public étant invité à consommer des chaînes dites « personnelles » et des vidéos à la demande qu’il croit choisir librement mais qui en réalité, résultent toujours d’un choix indépendant de sa volonté. Cela tend à décrédibiliser la télévision classique, qui se bornerait à des émissions dites démodées et loin des attentes des téléspectateurs, et qui peut-être à terme, disparaitra au profit de ces programmes courts diffusés sur internet.
De plus, cette nouvelle « activité » traduit différents usages et introduit de nouveaux acteurs de la télévision. L’intérêt consiste principalement à « abolir la frontière entre la télévision et les vidéos sur internet » selon Mike Hudack, PDG de la plateforme de webtélé Blip.tv. Ainsi, Google se place une nouvelle fois directement au premier plan de ce nouveau marché, allant même jusqu’à créer la Google TV (navigateur conçu pour « surfer sur le petit écran ») concrétisant ainsi le « concept de la télévision connectée ». Cependant, l’accueil réservé à ce nouvel outil reste mitigé, Sony étant l’un des seuls à avoir commercialisé un boîtier donnant accès à la Google TV. D’un point de vue sociologique, cela entretien le phénomène de multiplication des écrans personnels (le CSA évaluant à 6,2 les écrans par foyer en 2012 contre 5 en 2011) nous conduisant à regarder la télé ailleurs que sur un écran de télévision (c’est le cas pour 35% des plus de 15 ans selon Médiamétrie). Ainsi, le net est appelé à entretenir comme une addiction dans l’illimité des écrans nomades.
Enfin, à la différence de la télévision hertzienne, avec la télévision connectée le visionnage sur YouTube n’est plus anonyme. Si l’authentification des internautes est plus facile lorsqu’ils sont identifiés par un compte Google ou YouTube, elle ne demeure pas impossible pour les autres utilisateurs puisqu’ils sont identifiables grâce à leur adresse IP. Si Google assure que la protection des données personnelles sera la même pour l’ensemble des internautes, force est de nous interroger sur l’éventuelle exploitation commerciale des données personnelles des internautes qui suivront une chaîne YouTube. A cette question le géant américain rassure les utilisateurs : « les traces informatiques individuelles n’existent pas, ce sont des méga data, des grandes données comportementales qui permettent des traces d’analyse. » Pour autant, en tant qu’hébergeur (décision TGI de Paris, 3ème chambre, du 29 mai 2012 TF1 c. YouTube, RG : 10/11205) YouTube a l’obligation (notamment) de conserver des traces informatiques pendant un an (décret n°2011-219 du 25 février 2011).
Les enjeux juridiques et financiers pour Google
Si YouTube veut miser sur l’information à la demande, c’est avant tout (uniquement ?) dans un but financier. Car pour Google, outre la conquête de plus en plus de visiteurs lui permettant de maintenir sa place de leader, il s’agit avant tout de s’assurer une rémunération par la publicité. Voilà la clé de la réussite de ces chaînes YouTube : la publicité.
Le géant de l’internet s’est donc allié avec les professionnels de l’audiovisuel sur un système d’accords sur les avances publicitaires « Une fois les avances remboursées, la rémunération sera partagée entre la plateforme et les créateurs de contenus. » Car si le moteur de recherche a toujours proposé des encarts publicitaires sur les différentes pages qu’il référence, c’est avec YouTube que la société génère ses principaux revenus. Selon une étude Pivotal de février 2012, le chiffre d’affaires publicitaire de YouTube pourrait atteindre 1,3 milliard de dollars en 2012 soit 25 % du total des dépenses publicitaires dans la vidéo en ligne (quasi son prix d’achat initial !) Les responsables des chaînes s’assurent eux d’une visibilité sans précédent, tout en ayant un retour direct de l’audience de leurs émissions ce qui leur permet de réajuster en temps réel l’éditorial. Ils maîtrisent ainsi leurs programmes, voire même leur public.
Pour autant, si la publicité a toujours été une réponse efficace aux besoins de financement de l’audiovisuel privé comme public, il convient de s’interroger sur le sort du Cinéma et plus généralement des contenus audiovisuels face à la télévision connectée. Rappelons en effet que France Télévisions, notamment, joue un rôle très important dans l’investissement pour la production d’œuvres audiovisuelles (416 millions d’euros en 2011) et pour le soutien au Cinéma français (63 millions d’euros en 2011). Faut-il alors imaginer qu’un jour Google diffuse des films dont il aurait acheté les droits, à l’instar de l’audiovisuel classique, et qu’il concurrence Netfilm (par exemple) ? Pour le moment, Google assure qu’il n’a pas vocation à s’immiscer dans le contenu de ces émissions et dit ne pas avoir pour objectif de remplacer la télévision, mais que les deux médias doivent se compléter. D’ailleurs, parmi les futures chaînes YouTube, « Taratata on Air » proposera les meilleures prestations de l’émission de Nagui, obligeant la chaîne à travailler de concert avec France Télévisions, titulaire des droits d’auteur de l’émission, qui propose aussi des exclusivités via son portail Pluzz.
C’est notamment sur la propriété des chaînes que la situation est complexe. Sans rejeter la télévision connectée, synonyme de l’évolution des technologies et des sociétés, il nous semble donc primordial de respecter avant tout les droits d’auteurs, trop souvent sacrifiés au profit du progrès. Ainsi, la titularité des émissions diffusées reviendra-t-elle à Google ou à ses partenaires ? Nous pouvons imaginer que Google met à disposition sa plateforme Youtube et que les émissions faisant l’objet d’une création originale et remplissant les conditions posées par le droit d’auteur (L.122-6 du CPI), sont la propriété des responsables de la chaîne hébergée par YouTube. Google bénéficiant en contre partie, de la rémunération publicitaire associée aux contenus créés et dirigés par ses partenaires. Pour autant faut-il s’attendre à une requalification de la qualité d’hébergeur de YouTube au profit de la qualité d’éditeur de contenu ? Il semblerait que les responsables des chaînes bénéficient de cette qualification puisqu’ils seront « créateurs des contenus originaux ».
Dépassant le domaine audiovisuel, Google est également au cœur de plusieurs conflits juridiques : l’affaire GoogleBooks et les récents accords avec différents éditeurs, les problèmes de connexion à YouTube pour de nombreux abonnés de Free sur lesquels l’ARCEP** et la DGCCRF*** ont été interpellés, le non-référencement de la presse française en réplique à l’annonce d’une nouvelle taxe destinée à soumettre le référencement à une rémunération…
Le géant américain de l’Internet s’impose partout, même à la télévision, mais oublie parfois l’existence du droit.
* Marché international des contenus audiovisuels et des contenus numériques
** Autorité de régulation des communications électroniques et des postes
*** Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
Sources :
– AFP, « France Télé en campagne contre sa cure d’austérité », lepoint.fr mis en ligne et consulté le 24 octobre, disponible sur : http://www.lepoint.fr/medias/france-televisions-entre-80-et-100-millions-d-euros-de-deficit-en-2013-24-10-2012-1520482_260.php
– Csa.fr consulté le 21 octobre et disponible sur : http://www.csa.fr
– DUCOURTIEUX (C.) – DE VERGÈS (M.), « YouTube lance 13 chaînes de télévision thématiques en France », lemonde.fr mis en ligne et consulté le 8 octobre, disponible sur : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/10/08/youtube-lance-13-chaines-thematiques-en-france_1771583_651865.html
– FRANCHIMONT (A.), « Google TV et la télévision connectée : l’enthousiasme des uns, le scepticisme des autres… », IREDIC mis en ligne le 17 novembre 2010 et consulté le 23 octobre 2012, disponible sur : https://iredic.fr/?p=3130
– Légifrance.gouv.fr consulté le 20 octobre et disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr
– MARCELLE (P.), « Ma télé à moi-même pour moi tout seul », liberation.fr mis en ligne le 15 octobre et consulté le 22 octobre, disponible sur : http://www.liberation.fr/medias/2012/10/15/ma-tele-a-moi-meme-pour-moi-tout-seul_853430
– Reportage l’Hebdo des médias, itele.fr diffusé et regardé le 14 octobre, disponible sur : http://www.itele.fr/emissions/magazine/lhebdo-des-medias/video/35803
– Youtube.com consulté le 21 octobre et disponible sur : http://www.youtube.com