Instagram c’est l’application Smartphone à la mode depuis quelques mois. Elle permet de prendre, retoucher et partager des photos avec des amis et des inconnus. Si elle n’était disponible que sur les mobiles, elle sera désormais accessible sur le web comme annoncé sur son blog le 6 novembre 2012. L’application rachetée par Facebook poursuit son développement et part à la conquête de nouveaux marchés. L’occasion de nous interroger sur les conséquences juridiques que ces évolutions pourraient entrainer au regard des contenus de l’application.
Instagram et Facebook, une alliance de choc
Cette application mobile gratuite a été créée par Kevin Systrom et Mike Krieger en juillet 2010. En téléchargement sur l’Apple Store elle comptait initialement 80 utilisateurs, deux mois plus tard, ils étaient un million. Ce chiffre a été multiplié par cent en septembre 2012. Bien qu’elle soit de qualité et facile d’utilisation, l’application n’a rien de révolutionnaire puisqu’elle permet de prendre des photos et d’y ajouter des filtres (dignes d’un Polaroid vintage). Mais à la différence de ses concurrentes, elle propose de les partager avec des abonnés, et en particulier sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter). L’application est devenue le réseau social à la mode, nouveau lieu d’expression artistique. Instagram s’auto-identifie comme un « moyen drôle et décalé de partager votre vie à travers vos photos. » Même Twitter travaillerait à améliorer sa partie photos et envisage d’intégrer un logiciel filtres photos. Pour autant, si Instagram n’était au début qu’une simple application photos permettant de rajouter des effets, son système de partage n’a pas manqué d’intéresser le réseau social le plus connu au monde, qui comptabilise plus d’un milliard d’utilisateurs actifs : Facebook !
En avril dernier, la société de Mark Zuckerberg a réalisé sa plus grosse acquisition en rachetant Instagram puisqu’elle a déboursé pas moins d’un milliard de dollars (soit 760 millions d’euros). Et si pour certains Instagram ne vaut pas un milliard de dollars (elle a été évaluée à la moitié de cette somme) « elle les vaut, et même plus encore, pour un Facebook désireux d’évincer une potentielle rivalité menaçant son activité principale. » À l’instar de Google avec YouTube ou de Yahoo avec Flickr, Facebook apporte un peu de fraîcheur à ses activités. On peut alors se demander « comment le réseau social compte tirer parti de cet investissement colossal. » Car s’il rattrape un de ses points faibles (le traitement de photos), l’objectif de Facebook va plus loin.
En premier lieu, il s’agit de multiplier les utilisateurs et atteindre leurs téléphones mobiles. D’ailleurs, avant l’arrivée de Facebook, l’application totalisait 860 000 utilisateurs, après son rachat elle en comptabilisait plus de 11 millions. Instagram totaliserait désormais 100 millions d’utilisateurs, dont 11 millions de personnes qui l’utilise chaque jour. En second lieu, il s’agit de rentabiliser l’investissement colossal de Facebook, par la publicité. « L’enjeu pour le réseau, entré en Bourse en mai 2012, demeure toutefois la monétisation de son audience. Le réseau, qui doit l’essentiel de ses recettes à la publicité, affirme toujours sur sa page d’accueil qu’il est gratuit et “le restera toujours”. » Par ailleurs, Facebook envisagerait de « proposer un service plus haut de gamme, et également payant, destiné plus spécialement aux entreprises. »
Reste que ce rachat n’a pas été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par les utilisateurs, la plupart ignorant même sa filiation avec Facebook. Mark Zuckerberg a tenté de rassurer ces utilisateurs « en s’engageant à ce que le développement des deux plates-formes se fasse de manière indépendante. Tout en s’autorisant à intégrer ‘’des fonctions similaires (à celles d’Instagram) dans ses autres produits’’ ». Et si la filiation n’est toujours pas indiquée (pour le moment), elle commence à se remarquer. Les utilisateurs ont ainsi pu constater de nombreux changements, tant sur le graphisme que sur le contenu. Également, la possibilité de rechercher, uniquement, les « amis Facebook » (et non plus Twitter comme c’était le cas avant) qui utilisent Instagram, et ainsi lier les comptes Instagram-Facebook.
Instagram sur le web : les premières conséquences
Instagram est devenu le « premier réseau social mobile » depuis fin 2011. Sa particularité était sa disponibilité exclusive sur les mobiles, cela facilite son utilisation quotidienne et favorise sa dimension de réseau social. Mais comme tout réseau social, sa présence sur le web semblait incontournable, surtout depuis l’annonce du rachat par Facebook. « Instagram abandonne ainsi la relative confidentialité qui le caractérisait jusqu’alors pour s’offrir une visibilité sans pareille. » On peut toutefois le regretter étant donné que cette exclusivité mobile caractérisait pour beaucoup son originalité, sans parler des nouvelles problématiques que cela entraine déjà.
Désormais, chaque profil d’utilisateurs est accessible depuis l’adresse http://instagram.com/nomduprofil. La seule limite, pour le moment, étant l’impossibilité de s’inscrire sur Instagram et de rajouter des photos via le web. Si la présentation web reste fidèle à l’application, dont le graphisme se rapproche (très) fortement des « journaux » Facebook avec des « photos de couverture » et la fameuse « photo de profil », et s’il faut par ailleurs souligner la visibilité et la rapidité de l’outil web, il ne faut pas pour autant en oublier ses inconvénients. Nous constatons notamment l’apparition de faux profils, qui envahissent les profils publics et invite l’utilisateur à se rendre sur des liens externes, souvent pornographiques.
Juridiquement, au sens de la loi française du 21 juin 2004, les réseaux sociaux sont considérés comme des hébergeurs. À ce titre, ils ne peuvent être responsables que si à la suite du signalement par l’internaute d’un contenu abusif, ils n’ont pas agit avec promptitude pour faire cesser cet abus. Pour autant, si Instagram est conscient des dérives que peuvent engendrer l’application et prévoit la possibilité de « signaler un abus » aux modérateurs, encore faut-il être réaliste sur ce contrôle a posteriori. La question se pose en effet de savoir si ce contrôle est réalisable, sachant que la société Instagram ne compte que 13 employés. On voit mal comment une modération efficace peut être réalisée alors que l’application compte plus de 100 millions d’adeptes. Du reste, Instagram ayant été rachetée par Facebook, peut-on imaginer qu’une telle mission soit confiée aux 3 000 employés de Mark Zuckerberg qui pour l’heure, veut maintenir l’indépendance des deux structures ? Dans cette hypothèse, quelles seraient les véritables conséquences juridiques pour l’usager ? Il semble qu’il engagerait sa seule responsabilité civile et pénale.
Ces réseaux sociaux soulèvent ainsi de nombreuses questions. Ab initio, celle sur la territorialité est à éclaircir. D’après la jurisprudence établie (encore récemment avec l’arrêt de la CA de Pau du 23 mars 2012), « dès lors que le contenu illicite est accessible sur le territoire français, le juge compétent est le juge national, et la loi qui s’applique est naturellement la loi française. » Pour autant, la jurisprudence n’est pas toujours aussi claire sur toutes les questions éventuelles. Et si les deux sociétés sont étanches d’un point de vue technique, en revanche d’un point de vue juridique, elles semblent en réalité bien distinctes.
Instagram-Facebook : les conditions générales d’utilisation en question
Comme dit si bien Lawrence Lessig « Code is law » sur Internet. Au-delà de sa présence sur le web, l’utilisation d’Instagram traduit des rapports juridiques complexes entre l’application et les utilisateurs par le biais des conditions générales d’utilisation (CGU). Ces contrats de CGU acceptés obligatoirement à l’inscription sur l’application, octroient généralement de larges droits d’utilisation des contenus publiés. Elles proposent un (faible) encadrement des droits d’auteurs, trop souvent oubliés par les nouvelles technologies. Notamment, la très fréquente question « les utilisateurs peuvent-ils prétendre à la protection par le droit d’auteur ? » Bien entendu, dès lors que les conditions prévues par le Code de la Propriété Intellectuelle, et principalement s’agissant de l’originalité de l’œuvre, sont respectées.
Pour autant, si l’utilisateur reste propriétaire de son contenu, les CGU offrent la possibilité aux gestionnaires des réseaux sociaux de reproduire, d’exploiter voire de sous-exploiter les contenus mis en ligne par l’utilisateur, et ce quand bien même ces œuvres relèveraient de la catégorie d’œuvres protégeables. Autrement dit, ces contenus seraient à la fois la propriété de l’utilisation, mais également de l’application. Cela nous paraît à la limite de la schizophrénie : le droit d’auteur des médias sociaux aurait-il deux têtes ? L’autre utilisation secondaire qui pose problème est celle des tiers (on se souviendra ici de la position des juges américains en 2011 autour du conflit entre l’AFP et un photographe indépendant abonné à Twitter). Instagram n’ouvre pas la voie à l’utilisation par les tiers puisqu’il ne permet pas de placer les photos sous licence « Creative Commons » (comme avec Flickr) tendant à « libérer » les contenus pour les réutilisateurs potentiels. Pour autant, au regard des types de droits cédés, il convient de se demander si la société se fait céder davantage de droits que ceux nécessaires à son fonctionnement.
Sachant que les conditions d’Instagram ne semblent revendiquer aucun droit de propriété sur les contenus des utilisateurs, et ce contrairement à Facebook qui, s’il n’en est pas a priori propriétaire, ne s’interdit pas une exploitation a posteriori. La licence exigée par Instagram ne semble donc pas comporter le droit de vendre les contenus à des tiers, mais lui accorde simplement un droit d’usage large mais limité, à son fonctionnement. À l’inverse, Facebook propose une licence particulière « transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook. » Et si l’utilisateur peut retirer ses contenus, la licence sera maintenue pour ces contenus dès lors qu’ils ont déjà été partagés. Il nous faut alors espérer, comme nous l’annonçait le patron de Facebook, que chaque structure conservera sa propre individualité, et que chacune continuera d’être encadrée par ses CGU respectives. Faut-il s’attendre à une modification des conditions générales d’utilisation ? Sans aucun doute. Et « sans tomber dans la paranoïa, il apparaît comme évident qu’il ne va pas en rester là. » « A terme, et même s’il affirme pour le moment le contraire, Mark Zuckerberg pourrait choisir d’intégrer Instagram dans Facebook. Les conditions d’utilisation seraient alors de fait noyées dans celles – ô combien difficile à décrypter – du numéro un des réseaux sociaux. » Toutefois, la question se pose de savoir si Facebook est-il devenu de facto propriétaire des photos des utilisateurs d’Instagram suite au rachat de l’application. Il semble que non, étant entendu qu’Instagram ne peut pas vendre ce qu’il ne possède pas lui-même. Les utilisateurs d’Instagram semblent donc être protégés par une licence ni transférable, ni sous-licenciable.
La plus délicate des actions Instagram réside dans le « partage » des photographies sur les autres réseaux sociaux. Les utilisateurs soumettent ainsi volontairement leurs contenus aux CGU à ces sites tiers. La délicate fonctionnalité géolocalisation (affichant immédiatement la position de l’utilisateur dans Google Maps) est également très critiquable voire dangereuse pour l’utilisateur. De plus, indépendamment d’Instagram, il existe des sites proposant des services d’impression des photos Instagram (notamment Printstagram) ce qui nécessite la transmission des codes d’accès de l’utilisateur ! Mais il semble que ces possibilités, bien que plus dommageables, aient moins choqué que le rachat d’Instagram par Facebook. Preuve que les utilisateurs ne maitrisent pas tous ces réseaux sociaux avec tout le discernement et la maitrise salutaire à leur utilisation. Il faut donc rester prudent et toujours conscient que dès leur publication, nos contenus ne nous appartiennent plus (totalement).
Sources
– AFP, « Instagram, l’appli photos pour smartphones, arrive sur le web », lemonde.fr, mis en ligne le 6 novembre 2012 et consulté le 8 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/06/instagram-l-appli-photos-pour-smartphones-arrive-sur-la-toile_1786194_3234.html
– CAHEN (M.), « Les réseaux sociaux de photos et le droit d’auteur », JuriTravail, mis en ligne le 4 juin 2012 et consulté le 20 novembre 2012, http://www.juritravail.com/maitre-cahen-murielle/Actualite/reseaux-sociaux/Id/16032
– GÉVAUDAN (C.), « Instagram, à poils sur la Toile » écrans.fr mis en ligne et consulté le 9 novembre 2012, http://www.ecrans.fr/Instagram-a-poils-sur-la-Toile,15501.html?xtor=rss-450-
– GOURDET (B.), « Le rachat d’Instagram mécontente certains utilisateurs », 01net., mis en ligne le 13 avril 2012 et consulté le 12 novembre 2012, http://www.01net.com/editorial/564146/lacquisition-dinstagram-suscite-le-mecontentement-de-certains-de-ses-utilisateurs/
– Instagram, « Announcing Instagram Profiles on the Web ! », blog.instagram.com, mis en ligne le 6 novembre 2012 et consulté le 9 novembre 2012, http://blog.instagram.com/post/35068144047/announcing-instagram-profiles-on-the-web
– MAUREL (L.), « Rachat d’Instagram par Facebook quelles conséquences juridiques ? » S.I.Lex, mis en ligne le 12 avril 2012 et consulté le 20 novembre 2012, http://scinfolex.wordpress.com/2012/04/12/rachat-dinstagram-par-facebook-quelles-consequences-juridiques/
– NGUYEN (L.) « Instagram a 100 millions d’utilisateurs soit 12 fois plus qu’avant le rachat de Facebook », mis en ligne le 12 septembre 2012 et consulté le 9 novembre 2012 http://fr.ubergizmo.com/2012/09/instagram-100-millions-utilisateurs/
– OREMUS (W.), « Instagram : pourquoi Facebook a payé si cher une entreprise qui ne rapporte rien », slate.fr, mis en ligne le 13 avril 2012 et consulté le 12 novembre 2012, http://www.slate.fr/story/53243/facebook-instagram-pourquoi-rapporte-rien
– TRONEL (J.-F.), « Instagram : dates-clés et chiffres clés », topacki.com, mis en ligne le 23 mai 2012 et consulté le 10 novembre 2012, http://www.topacki.com/les-blogs/85-instagram-dates-cles-et-chiffres-cles