Une « liste noire » de l’Internet russe a été mise en place par les autorités russes le 1er novembre 2012. Elle référence les sites Internet qui diffusent des « informations interdites » par la loi russe. Sont ainsi visés les contenus qui sont relatifs à la pédopornographie, qui font la promotion de la consommation de drogue ou encore qui incitent au suicide. Cette liste forme le dernier volet de la « loi sur la protection de l’enfance » qui a été adoptée en Russie en juillet 2012.
Objectifs originels de la Loi : la protection des mineurs
Le premier ministre russe Dimitri Medvedev a justifié la loi de juillet 2012 en indiquant qu’« Internet doit être libre » mais que ses activités doivent être fondées sur « un certain nombre de règles ». Cette loi a pour principal objectif de protéger les mineurs des informations « dangereuses » qui peuvent circuler sur Internet.
La lutte contre les sites hébergeant des contenus pédopornographiques est d’ailleurs une préoccupation qui a poussé plusieurs pays à mettre en place des mesures particulières. C’est le cas notamment de la France avec l’article 4 de la loi « d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » dit Loppsi II votée en 2011. Le gouvernement australien a, quant à lui, renoncé à son projet de filtrage du web. Les opposants au projet indiquaient que le blocage des sites est coûteux et que l’efficacité d’une telle mesure reste à prouver.
En ce qui concerne le cas russe, les autorités affichent la volonté de protéger les enfants contre les informations qui peuvent porter préjudice à leur développement et ont pour cela mis en place une « liste noire ». Un « registre fédéral qui réglemente l’activité des sites Internet contenant des informations interdites par la loi » a alors été mis en place. Dès lors qu’un site avec du contenu illégal est découvert, le propriétaire du site ou le fournisseur d’accès sont tenus de fermer le site Internet en question, et cela avant tout procès. Les sites considérés comme nuisibles sont ensuite référencés dans la « liste noire » afin que leur accès soit bloqué en Russie. Cette liste reste inaccessible et le site zapret-info.gov.ru/ ne permet que de vérifier la présence ou non sur cette « liste noire » d’une adresse donnée. Il faut alors tester l’adresse IP, le nom de domaine ou bien l’URL complète.
Les objectifs originels de la loi apparaissent donc être légitimes. Cependant, cette loi inquiète l’opposition et la société civile qui redoutent la censure. La question se pose alors de savoir si cette « liste noire » n’est pas un pas de plus vers une censure généralisée d’Internet en Russie.
Vers une censure généralisée d’Internet en Russie ?
Pour les partisans du texte il s’agit d’œuvrer en faveur de la protection des enfants, mais, plusieurs observateurs soupçonnent les autorités de vouloir censurer la Toile en Russie. Cette loi a suscité de vives contestations et inquiète encore aujourd’hui beaucoup de personnes. Plusieurs géants du Net avaient réagi en signe de protestation contre cette dernière. Le site russe de Wikipédia avait par exemple interrompu son fonctionnement pendant 24 heures. Il faut noter que cette loi intervient dans un contexte particulier puisque Vladimir Poutine a renforcé en quelques mois le contrôle sur la société civile russe avec l’adoption de lois qualifiées par l’opposition de répressives.
La loi et la mise en place de la « liste noire » sont critiquées pour plusieurs raisons. Certains déplorent une atteinte à la liberté d’expression des internautes russes et la possibilité de bloquer des sites de l’opposition. Ce qui est mis en cause n’est pas l’objectif de la loi mais le prétexte qui semble être utilisé par les autorités russes pour tenter de museler l’opposition. Le risque est donc que l’accès à Internet soit restreint alors que c’est en Russie un espace important de débat politique.
Le texte de la loi a été retravaillé mais il reste assez flou. De nombreux observateurs notent notamment que la procédure de blocage présente plusieurs obscurités. La définition des critères conduisant un site à être inscrit sur cette « liste noire » est ambiguë. En effet, les termes « toute information interdite » sont relativement vagues et laissent une marge importante à l’interprétation.
La loi reste évasive sur la définition des contenus incriminés mais aussi sur son mécanisme d’application. L’association Reporters Sans Frontières indique en ce sens que le blocage « ne nécessite pas de décision judiciaire. Il est mis en place par des experts anonymes dont ni la compétence ni la légitimité n’ont été confirmées ». Aucune intervention judiciaire n’est donc exigée. Selon l’opposant et écrivain Edouard Limonov c’est une loi « répressive (…). Apparemment c’est le début de la fin de l’Internet ».
RSF rappelle que dans son dernier rapport de mars 2012 relatif aux « Ennemis d’Internet » la Russie fait partie des pays sous surveillance, comme la France. Comme le note le journaliste X. Berne, il est probable que cette loi et la « liste noire » qu’elle institue fassent monter la Russie dans ce classement.
Depuis le 1er novembre des dérives de ce dispositif ont déjà été constatées. YouTube a été brièvement placé sur la liste le 21 novembre provoquant de vives réactions sur Internet. Les autorités ont évoqué une « erreur technique » en indiquant que seules plusieurs pages devaient être interdites et non le site dans sa totalité. Les limites que présente cette liste ne vont-elles pas remettre en cause son existence ?
Sources :
ANONYME, « La “liste noire » de l’Internet russe mise en place », le Monde, mis en ligne le 1er novembre 2012, consulté le 2 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/11/01/la-liste-noire-de-l-internet-russe-mise-en-place_1784495_651865.html
ANONYME, « La Russie publie ses “listes noires» de sites internet », le point , mis en ligne le 30 juillet 2012, consulté le 2 novembre 2012, http://www.lepoint.fr/monde/la-russie-publie-ses-listes-noires-de-sites-internet-30-07-2012-1490871_24.php
ANONYME, « Russie : YouTube brièvement en liste noire », Le Figaro, mis en ligne le 21 novembre 2012, consulté le 25 novembre 2012, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/11/21/97001-20121121FILWWW00549-russie-youtube-brievement-en-liste-noire.php
ANONYME, « Entrée en vigueur d’une liste noire de sites internet, nouvelle cascade de projets de loi liberticides », rsf.org, mis en ligne le 1er novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://fr.rsf.org/russie-entree-en-vigueur-d-une-liste-01-11-2012,43626.html
BERNE (X.), « La “liste noire » des sites interdits en Russie entre en vigueur », PC inpact, mis en ligne le 2 novembre 2012, consulté le 10 novembre 2012, http://www.pcinpact.com/news/75012-la-liste-noire-sites-interdits-en-russie-entre-en-vigueur.htm