Les deux rapporteurs, Pierre Collin et Nicolas Colin, nommés par le gouvernement, ont rendu leur rapport mi janvier sur les moyens de taxer les géants du web, et notamment la bande de GAFA*(1), sur le territoire français.
Avant tout, il faut faire un constat : le faible niveau d’imposition des bénéfices des entreprises de l’économie numérique. Même si elles ne sont pas les seules à pratiquer l’optimisation fiscale*(2), le secteur du numérique est un secteur en croissance qui abolit, plus que les autres, les frontières nationales.
En effet, il leur est facile de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux en y rémunérant des actifs incorporels, dont la valeur est décuplé par les rendements d’échelle. Puisqu’il n’y a pas de versement de dividendes, ces bénéfices peuvent être capitalisés et réinvestis sans être soumis en tant que tels à un impôt. De plus, les entreprises de l’économie numérique étendent leurs activités partout dans le monde mais concentrent l’activité dont elles tirent leurs revenus sur les territoires d’où il est le plus facile de transférer des bénéfices vers des paradis fiscaux.
Enfin, contrairement aux entreprises classiques, pour lesquelles l’optimisation fiscale nécessite des restructurations, celles de l’économie numérique sont d’emblée organisées en vue de tirer le meilleur parti des différents systèmes fiscaux des Etats, notamment par le choix de celui où elles établissent leur siège. ( exemple : Le siège de Google France est établi en Irlande où le taux de l’IS est de 12,5%.*(3)
Quelles sont donc les propositions faites par MM. Collin et Colin afin de rétablir l’équité fiscale en France ?
Trois propositions ressortent de ce rapport:
– Le droit fiscal doit être réformé pour que l’impôt sur les sociétés appréhende les bénéfices de l’économie numérique
La nature de l’activité des entreprises de l’économie numérique les dispense d’avoir un établissement stable. Messieurs Collin et Colin font une proposition : le travail gratuit. L’hyperconnexion fait que nos données sont tracées. Prenons un exemple de travail gratuit : dès que l’on clique sur Google, on enrichit un peu plus Google. Cela est donc une forme de travail et d’amélioration à terme. Et si cela est considéré comme une forme de travail : les entreprises de l’économie du numérique pourront être taxées sur notre territoire. Pour cela, il faut réformer l’IS, il faut changer la définition d’établissement stable : il faut que le travail des internautes français ou l’exploitation continue des données personnelles des utilisateurs français soient pris en compte.
Faisons un bref rappel du champ d’application territorial de l’IS : selon les dispositions de l’article 209 I du Code général des impôts, l’IS frappe les bénéfices réalisés pas les entreprises exploitées en France et ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative à la double-imposition. En conséquence, les bénéfices réalisés par des entreprises françaises à l’étranger ne sont pas soumis à l’IS français et les sociétés étrangères installées en France sont soumises à l’IS. Toutefois, il existe des exceptions à ce principe, notamment : les régimes applicables aux groupes de sociétés et les exceptions résultant de la lutte contre la fraude fiscale.
Les conventions internationales signées par la France retiennent la notion d’établissement stable comme critère de rattachement territorial des bénéfices. Par conséquent, les entreprises étrangères sont imposables en France sur les bénéfices provenant d’opérations effeuctées dans des « établissement stables » situés en France. Selon l’article 5 de la Convention OCDE, l’expression établissement stable désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. Un siège de direction, une succursale, un bureau, une usine, un atelier consituent notamment un établissement stable.
Pour que les bénéfices des entreprises étrangères de l’économie numérique soient taxées en France, il faut « pouvoir identifier un établissement stable lorsqu’une entreprise exerce une activité sur le territoire d’un Etat au moyen de données issues du suivi régulier et systématique des internautes sur ce même territoire. » Et pour cela, il faut qu’il y ait des négociations au niveau européen et au sein de l’OCDE. La quote-part des bénéfices liée à l’exploitation de ces données diminuerait les transferts liés à la rémunération d’actif incorporels localisés à l’étranger.
– La création d’une fiscalité liée à l’exploitation des données personnelles
Cette proposition vice à créer une fiscalité incitative. En encourageant les entreprises à adopter, en matière de collecte et d’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique des internautes, des pratiques conformes à quatre objectifs d’intérêt général : renforcer la protection des libertés individuelles ; favoriser l’innovation sur le marché de la confiance numérique ; encourager l’émergence de nouveaux services au bénéfice des utilisateurs ; générer des gains de productivité et de la croissance.
Cette proposition s’inspire du principe du pollueur-payeur et de la taxe carbone. Ici, la pollution serait la « rétention » des données. La taxe envisagée serait dégressive à raison de la redistribution des données collectées par les entreprises.
– La création d’un environnement favorable à l’émergence d’entreprises nouvelles en réformant la fiscalité de la R&D et du financement par le marché
Messieurs Colin et Collin proposent alors de reféfinir la R&D à l’heure du numérique en réformant ou simplifiant le crédit d’impôt recherche et le statut de la Jeune entreprise innovante et en incitant le « financement de l’économie numérique par le marché ».
Selon la définition établie par l’OCDE, dans le Manuel de Frascati, la R&D ( soit l’abrévation de la recherche et dévellopement) est une catégorie statique, économique et comptable englobant l’ensemble des activités entreprises « de façon systématique en vue d’accroître la somme des connaissances, y compris la connaissance de l’homme, de la culture et de la société, ainsi que l’utilisation de cette somme de connaissances pour de nouvelles applications. Il y a trois composantes de la recherche et du développement: la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental. La « recherche et développement » est un élément majeur de la croissance et du développement par l’innovation, aussi bien pour une entreprise que pour un pays ou une vaste zone économique. Selon MM. Colin et Collin, il faut adapter la fiscalité de la R&D à l’économie numérique en réformant ou simplifiant le crédit d’impôt recherche et le statut de la Jeune entreprise innovante ou enfin, en incitant le développement du finance de l’économie numérique par le marché.
Quelle est la position du gouvernement concernant ce rapport?
Le 19 février dernier, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’Economie numérique a affirmé que le gouvernement inclurait des dispositions relatives à la fiscalité du numérique dans son projet de loi de finances de 2012, sans toutefois préciser si la piste évoquée dans le rapport Colin et Collin serait retenue. Elle a parlé d’une obligation de ” réviser complètement les concepts fiscaux avec lesquels nous travaillons puisque la fiscalité actuelle n’est pas du tout adaptée à l’économie numérique”.
Le même jour, l’Association Française des Editeurs de Logiciels et Solution Internet ( AFDEL) a publié sa position*(4) rejetant l’instauration d’une fiscalité spécifique ciblant le numérique. Dans ce document, elle rappelle le rôle décisif du numérique dans la croissance de la France. L’association appelle les pouvoirs publics à la plus grande prudence concernant les différents projets contenus dans le rapport Colin et Collin, dont l’efficacité est loin d’être établie. Elle incite le gouvernement à travailler plutôt selon deux axes complémentaires: l’harmonisation fiscale européenne et internationale et le renforcement de l’attractivité du territoire.
SOURCES :
– ANONYME « Fiscalité du numérique : Poursuivre un objectif d’équité sans instaurer de régime d’exception », afdel.fr, mis en ligne le 19 février 2013, consulté le 24 février 2013, disponible sur: http://www.afdel.fr/actualites/categorie/actualite-afdel/article/fiscalite-du-numerique-poursuivre-un-objectif-d-equite-sans-instaurer-de-regime-d-exception
– BARBAUX (A.) « Faut-il jeter le rapport Collin & Colin sur la fiscalité numérique ? ,usinenouvelle.com, mis en ligne le 25 février 2013, consulté le 27 février 2012, disponible sur: http://www.usinenouvelle.com/article/faut-il-jeter-le-rapport-collin-colin-sur- la-fiscalite-numerique.N192173
– COLLIN (N.) et COLIN (P.) « Mission d’expertise sur la fiscalité du numérique », www.redressement-productif, disponible sur: http://www.redressement-productif.gouv.fr/files/rapport-fiscalite-du-numerique_2013.pdf
– VERDIER(H.) « Rapport Colin/Collin : de la fiscalisation du numérique à la fiscalité post-numérique”, mis en ligne le 20 janvier 2012, consulté le 24 février 2013, disponible sur: http://www.henriverdier.com/2013/01/rapport-colin-collin-de-la.html
– Mémento Pratique Fiscal 2013, Edition Francis Lefebvre
(1)* La bande de GAFA désigne la réunion des quatre firmes que sont Google, Amazon, Facebook, Apple.
(2)* Les sociétés du CAC40 payent en moyenne 8% d’impôt sur les sociétés alors que le taux légal est de 33%. (http://www.challenges.fr/finance-et-marche/20120329.CHA4781/les-groupes-du-cac-40-champions-de-l-incivisme-fiscal.html)
(3)*http://www.finances.gouv.fr/performance/pdf/fiscalite_irlande.pdf