Le gouverneur de Californie, M. Jerry Brown, a signé le 23 septembre 2013 la loi SB-568 (pour « Senate-Bill-568 »), communément dénommée « Eraser Law », entièrement consacrée aux mineurs et devant entrer en vigueur le 1er janvier 2015.
Le contenu de la Eraser Law
Cette loi est à destination de la personne ou de l’entité qui possède un site internet, un service internet ou une application mobile ou internet, et interdit en premier lieu à cet « opérateur » -la loi désigne comme tel l’opérateur- de cibler un mineur dans le cadre d’une campagne marketing pour des produits ou services spécifiques, par exemple les boissons alcooliques, les armes, les munitions, ou encore les cigarettes et autres produits du tabac.
Mais, et c’est le point qui nous intéresse ici, cette loi impose également aux opérateurs d’offrir à un mineur enregistré la possibilité de supprimer ou de réclamer la suppression d’un contenu ou d’une information qu’il a lui-même posté. De même, les opérateurs visés par la loi sont tenus d’informer les mineurs sur la faculté de supprimer ou de réclamer la suppression des contenus ou informations qu’ils ont eux-mêmes postés. Le rédacteur de la loi, Monsieur le Sénateur Darrell Steinberg, estime en effet que les procédures pour supprimer un contenu ou une information manquent de clarté.
Abondamment relayée et commentée par la presse grand public ou par des sites internet spécialisés, cette loi a engendré de très nombreuses réactions, notamment par son impact : s’agit-il de la consécration du droit à l’oubli pour les mineurs en Californie ? Cette loi peut-elle constituer un modèle pour d’autres États américains ou plus largement pour d’autres pays, dont la France ?
Si le principe selon lequel les mineurs californiens peuvent supprimer ou demander la suppression des contenus qu’ils ont postés est établi, de nombreuses exceptions existent dont l’importance réduit très fortement l’intérêt et l’impact de la SB-568.
La SB-568, une portée limitée ?
Si le contenu ou l’information a été posté, partagé, republié ou stocké par une personne tierce, l’opérateur ne sera pas obligé d’assurer une suppression. Ce dernier n’est en effet pas tenu de supprimer un contenu publié par une tierce partie. Or, un des dangers des divers réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter, est le fait que les informations et les contenus relatifs à un autre utilisateur enregistré puissent être postés ou partagés. C’est un des principes fondamentaux du cyber-harcèlement. Certains commentateurs ont pu ainsi parler d’une « illusion de contrôle ». L’expression, employée dans un article de Forbes, est particulièrement juste : malgré la suppression de photos sur un réseau social, assister à la réapparition de celles-ci sur le profil d’un contact illustre l’illusion entretenue par cette loi.
Celle-ci liste une série d’exceptions. Ainsi, l’opérateur -ou une partie tierce- ne sera pas tenu de supprimer un contenu, s’il réalise une anonymisation du contenu posté par le mineur de façon à ce que ce dernier ne puisse être identifié de manière individuelle. La solution sera identique si le mineur a reçu une compensation en contrepartie de la publication concernée ou si une loi fédérale ou une loi d’un État fédéré impose à l’opérateur ou à une partie tierce de conserver le contenu ou l’information. Enfin, la loi ne semble pas avoir intégré les attentes des utilisateurs suite aux récentes affaires d’espionnage, puisqu’elle n’a pas à vocation à empêcher une agence chargée de l’application de la loi d’obtenir le contenu ou l’information si celle-ci en a reçu l’autorisation par la loi ou si la demande d’obtention émane d’une juridiction compétente. Si le principe est certes posé, il est légitime de se demander si les limites de la loi ne permettent pas aux réseaux sociaux de préserver leurs intérêts au détriment de ceux de leurs utilisateurs.
De plus, si la loi utilise le terme « remove », l’opérateur est seulement tenu de rendre invisible pour les autres utilisateurs enregistrés le contenu ou l’information supprimé ou dont la suppression a été réclamée par l’utilisateur enregistré. Ainsi, l’opérateur peut continuer de stocker et de conserver sur ses serveurs le contenu ou l’information concerné. Par exemple, sur Facebook, il est possible de supprimer une photo de profil. Cependant, les conditions générales d’utilisation, dans la version du 11 décembre 2012, font état de la conservation de la photo supprimée pendant une certaine période sur les serveurs. Les CGU mentionnent des « copies de sauvegarde ».
Outre ces exceptions, qui ont très fortement diminué l’intérêt mais surtout l’impact de la loi, d’autres limites ont été évoquées.
Premièrement, plusieurs réseaux sociaux intègrent d’ores et déjà des options permettant de supprimer, de rendre invisible ou de limiter la visibilité d’un contenu.
Deuxièmement, si cette loi ne bénéficie qu’aux mineurs, les opérateurs doivent être en mesure de déterminer l’âge de la personne qui souhaite supprimer ou obtenir la suppression d’une information ou d’un contenu, même si la loi indique qu’elle ne réclame pas des opérateurs la collecte et la conservation des données liées à l’âge des utilisateurs.
Ainsi, les exceptions et les usages des réseaux sociaux limitent fortement la portée et l’impact de la Eraser Law. Cependant, elle a permis d’enrichir le débat relatif au droit à l’oubli, et constitue, selon Mme le professeur Nancy S. Kim, une loi importante, car elle rappelle que les mineurs peuvent commettre des erreurs et envoie un signal fort aux sites internet. Récemment, Facebook a annoncé vouloir renforcer la vie privée des mineurs. Le signal aurait-il été entendu ? Certes, le fameux réseau social a instauré des publications privées par défaut, mais il a également annoncé souhaiter accroître la visibilité de certains écrits des mineurs, après une étape de « pédagogie renforcée ».
Et en France ?
La CNIL a lancé le 1er août 2013 une consultation publique sur le droit à l’oubli. L’ASIC (Association des Services Internet Communautaires), qui « regroupe les acteurs du web 2.0 », dont Aol, Dailymotion, Facebook, ou encore Google, a publié le 30 septembre 2013 sa réponse à cette consultation. L’ASIC estime que la CNIL « souhaite faire peser sur les intermédiaires de l’internet, l’obligation de retirer les contenus », et s’inquiète de l’impact du droit à l’oubli sur la liberté d’expression, puisqu’un « hébergeur ne sera pas en mesure d’apprécier si la demande de suppression d’un billet de blog, d’une vidéo ou d’un article de presse sera la conséquence d’un motif légitime exprimé par un particulier ». Pour l’ASIC, c’est à l’utilisateur de gérer ses propres données : « seul lui peut décider ce qu’il dit advenir des données dont il est à l’origine ». Malheureusement, ce principe avancé ne résiste guère à la tendance actuelle qui consiste à donner à l’utilisateur un faux sentiment de contrôle sur l’utilisation de ses données.
De surcroît, dans sa réponse à la consultation, l’ASIC note que l’article 38 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 dispose que « toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
Le débat sur le droit à l’oubli est loin d’être clos.
SOURCES
PETERSON (A.), « Author of California online eraser law : It’s not easy to find the deleted button », interview du Sénateur Darrel Steinberg, www.thewashingtonpost.com, mis en ligne le 25 septembre 2013, consulté le 10 octobre 2013, disponible sur : <http://www.washingtonpost.com/blogs/the-switch/wp/2013/09/25/author-of-california-online-eraser-law-its-not-always-easy-to-find-the-delete-button/>
GOLDMAN (E.), « California’s New ‘Online Eraser’ Law Should Be Erased », www.forbes.com, mis en ligne le 24 septembre 2013, consulté le 12 octobre 2013, disponible sur : <http://www.forbes.com/sites/ericgoldman/2013/09/24/californias-new-online-eraser-law-should-be-erased/>
KIM (N.), « Despite limits, ‘eraser’ law is important », www.utsandiego.com, mis en ligne le 11 octobre 2013, consulté le 12 octobre 2013, disponible sur : <http://www.utsandiego.com/news/2013/Oct/11/despite-limits-eraser-law-is-important/?#article-copy>
ANONYME, « Facebook fait évoluer les paramètres de confidentialité pour les 13-17 ans », www.facebook.com, mis en ligne le 16 octobre 2013, consulté le 17 octobre 2013, disponible sur : <https://www.facebook.com/notes/facebook-france/facebook-fait-%C3%A9voluer-les-param%C3%A8tres-de-confidentialit%C3%A9-pour-les-13-17-ans/651878121511874>
ANONYME, « Éducation au numérique, grande cause nationale 2014 ? », www.cnil.fr, mis en ligne le 1er octobre 2013, consulté le 10 octobre 2013, disponible sur : <http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/education-au-numerique-grande-cause-nationale-2014/>
ANONYME, « L’ASIC publie sa réponse à la consultation publique de la CNIL sur le droit à l’oubli », www.lasic.fr, mis en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 10 octobre 2013, disponible sur : <http://www.lasic.fr/?p=565>
ANONYME, « Réponse de l’ASIC à la consultation publique de la CNIL sur la mise en œuvre d’un droit à l’oubli », www.lasic.fr, mise en ligne le 30 septembre 2013, consulté le 10 octobre 2013, disponible sur : <http://www.lasic.fr/wp-content/uploads/2013/09/ASIC-CNIL-Consultationpublique-oubliVF.pdf>