« Tous les sports, toutes les émotions », tel est le slogan défendu par la chaine Eurosport fondée le 5 février 1989 par l’Union européenne de radio-télévision (UER) associée à deux opérateurs privés en la qualité du groupe britannique Sky Télévision et la compagnie française TF1. En 1991, TF1 s’empare de la totalité des parts de marché de la chaine sportive qui redevint alors exclusivement française. Ce n’est qu’à la suite d’une hausse importante du prix des droits sportifs que la Une se voit contraint de collaborer avec Canal + au début des années 2000 mais sous la houlette de Nonce Paolini, le groupement TF1 sera de nouveau entièrement détenteur de la chaine à l’amorce de l’année 2011. Une trêve de courte durée puisque l’actionnaire unique de la chaine Eurosport conclura un accord le 21 décembre 2012 avec la société américaine Discovery Communications réputée pour être un monument phare dans le domaine de l’édition de documentaires, de reportages et de magazines. Le géant d’outre atlantique s’empare alors selon les termes de l’entente nouvelle de 20% du capital d’Eurosport pour un montant avoisinant les 170 millions d’euros. Moins d’un an plus tard, le poids lourd américain serait en passe de procéder au rachat total de la chaine sportive.
Eurosport : une chaine attractive auprès des actionnaires étrangers
Eurosport considéré comme une véritable perle du groupe TF1 bénéficie d’une audience extraordinaire. En effet, 120 millions de foyers peuvent accéder à cette chaine omnisports diffusée dans près de 59 pays de la planète. Depuis sa création, on compte chaque année une moyenne de 6000 heures consacrées à la diffusion d’événements sportifs et cela sans compter les autres chaines du groupe parmi lesquelles on retrouve Eurosport News (chaine d’informations sportive) ou encore Eurosport 3D répondant à une logique d’amélioration des services proposés. Eurosport porte idéalement son nom puisque c’est la seule chaine pan-européenne permettant à 95% des téléspectateurs européens d’y avoir accès dans leur langue maternelle. Basé dans les Hauts-de-Seine, c’est depuis son siège social implanté à Issy-les-Moulineaux qu’Eurosport se charge d’être le plus performant pour mener à bien sa mission première de proposer un intéressant panel de sports à un public conséquent et présent dans une grande partie du globe. Ainsi, rien n’est laissé au hasard en matière de sports retransmis : le téléspectateur pourra vibrer devant des compétitions de renommée internationale (jeux olympiques, championnats du monde d’athlétisme) ou encore se passionner pour des sports encore inconnus du grand public (le skate par exemple) ou ne bénéficiant pas d’une forte visibilité (les épreuves de natation ou encore de ski). Fort de son succès, Eurosport n’a pas laissé insensible les actionnaires étrangers. Dès lors, au cours de l’année 2012, la chaine était dans les tablettes d’investissement du groupe qatarien Al Jazeera déjà propriétaire de la chaine Bein Sport. Mais, c’est la société américaine Discovery qui noua un accord avec TF1 le 21 décembre 2012. Ce partenariat stratégique entre ces deux colosses de l’audiovisuel planétaire aboutit à une vente de 20% du capital du bijou de TF1. De plus, Discovery en déboursant 14 millions d’euros supplémentaire fait son entrée dans le capital de plusieurs chaines thématiques du groupe TF1 parmi lesquelles on retrouve Ushuaia TV ou encore Histoire. Enfin, le contrat évoquait la possibilité pour Discovery dès décembre 2014 de détenir 51% du capital (TF1 espérant une modification des règles de l’actionnariat étranger avec la loi sur l’audiovisuel puisque la loi du 30 septembre 1986 prévoit qu’aucune personne étrangère ne peut procéder à une acquisition ayant pour effet de porter la part du capital social détenue à plus de 20% du capital social ) d’Eurosport mais aussi pour le groupe TF1 de proposer une option de vente sur les 49% de parts restantes. A long terme, la société américaine pourrait être actionnaire à 100 % de la chaine rentable de TF1 qui se démobilisera de ses responsabilités vis à vis d’Eurosport.
Eurosport annoncé sous pavillon américain d’ici fin 2013
Maintenant visible depuis 217 pays, fort d’un chiffre d’affaire proche des 400 millions en 2012, Eurosport répond parfaitement à la demande de ses téléspectateurs en services sportifs. La même année, la consommation annuelle moyenne de programmes exclusivement consacrés au sport est de 58 heures et 22 minutes ; il y’a donc un véritable marché à prendre dans le domaine sportif. Le groupe Discovery conscient de cet engouement a entrepris en l’espace de quelques mois un véritable plan de bataille pour conquérir le marché européen. Dès lors, la société américaine prit part au rachat de quatre chaines gratuites italiennes mais surtout réalisa un investissement titanesque d’1.3 milliard d’euros en Europe du Nord. Si on s’en tient aux propos du PDG de Discovery Dadiv Zaslav « même si il y’a actuellement une récession sur le plan publicitaire, nous pensons que le marché retrouvera une forte croissance dans les prochaines années. C’est donc la bonne période pour investir ». Dès lors, rien ne semble pouvoir arrêter la razzia de l’armada américaine dans le monde de l’audiovisuel sportif. Et même si aucun des membres du partenariat n’a encore témoigné, l’information selon laquelle TF1 serait en passe de finaliser le rachat total d’Eurosport par le groupe Discovery semble des plus probable. Selon les Echos, Discovery à pour ambition de « prendre le contrôle d’Eurosport le plus rapidement possible ». La cession partielle des parts de marché en décembre 2012 avait entrainé une hausse significative du capital de la chaine pour être estimé autour des 850 millions d’euros mais en cas de rachat total, le pactole pourrait s’élever à 900 millions d’euros ce qui serait une somme d’argent conséquente dans un domaine malheureusement souvent déficitaire. Cependant, cette opération nous pousse à réfléchir à l’intérêt qu’à TF1 de céder sa mine d’or (la chaine représentant plus de la moitié du résultat du groupe TF1).
La cession totale d’Eurosport : une opération discutable
La cession totale de la perle rare du groupe TF1 lui permettrait de disposer d’une trésorerie remarquable. Fort est de constater que l’impact économique d’une telle opération est déjà visible. En effet, à l’annonce de cette acquisition, le groupe TF1 a enregistré une hausse de sa valeur en bourse (5.7%) et les économistes de Natixis penchent principalement sur la stratégie suivante de la part de TF1 : 1 tiers des ressources iraient aux actionnaires par le paiement d’un dividende, et les deux autres tiers étant partagés entre investissement et épargne. TF1 pourrait donc acquérir des services lui permettant de dégager des bénéfices intéressants. Tel est l’objectif d’un groupe enregistrant des pertes sur ses autres chaines notamment LCI. De plus, la vente de grande envergure de son joyau sportif est une étape sérieuse dans le désengagement de TF1 au sein de la télévision payante et cela combiné au projet de faire passer la chaine LCI sur la TNT gratuite à partir de 2015.
Cependant, on constate que légitimement un grand nombre d’experts jugent cette démarche comme néfaste au groupe TF1. En négociant ce partenariat en 2012, on jugeait que TF1 sortirait gagnante d’une participation minoritaire à un Eurosport mondial plutôt que de défendre sa place dans un Eurosport essentiellement européen. En effet, Discovery a permis à la chaine de couvrir pas moins de 217 pays mais surtout de profiter d’économies d’échelle considérable lui permettant de développer des sports moins populaire mais aussi d’investir dans des zones dépourvues de tels programmes (Amérique latine et Asie par exemple). L’enjeu était donc de taille ! Cette coopération visait même la mise en place de stratégies communes dans la production de reportages et permettre à TF1 d’élargir ses frontières en distribuant des chaines à l’international. Refuser de bénéficier de ces perspectives encourageantes et mettre fin à cette collaboration fructueuse est donc une décision très contestable. Les spécialistes du groupe Exane jugent que TF1 perdrait un bel avantage. En effet pour TF1 il serait plus rationnel de rester au capital de la chaine plutôt que de la céder entièrement. La Une se priverait alors des possibilités d’ouverture à de nouveaux territoires mais aussi de bénéficier du catalogue de Discovery en matière de chaines thématiques. Dépourvu de son diamant sportif, le groupe prend le risque d’être moins valorisé sur les marchés financiers. Et rien ne dit que TF1 parviendra à compenser le départ de sa chaine à succès à l’avenir malgré un apport en numéraire pharaonique.
Des perspectives sombres quant au sport gratuit
Si des groupes d’ampleur internationale prennent part dans le paysage de l’audiovisuel sportif, il apparaît que ces derniers risquent de réaliser des économies d’échelle du fait de la demande croissante en ces services. Dès lors, ces sociétés pour doper leurs revenus investiront dans des sports non diffusés encore au grand public et développeront leurs services payants auprès de récepteurs jusqu’alors absents du marché. Les annonceurs publicitaires tenteront de se frayer une place au sein de ces chaines ce qui permettra de rendre rentable la retransmission de tels évènements financés également par les abonnements des particuliers. Les chaines payantes peuvent donc offrir de tels services alors qu’a contrario les chaines gratuites montrent leurs limites quant au financement des droits télé excessivement élevés. Frédéric Bolotny, économiste du sport pointe du doigt ce phénomène inquiétant (23% de sport en moins sur les chaines gratuites notamment la saison de Formule Un depuis peu, les grands événements sont déficitaires). Le sport gratuit est voué à disparaître (mis à part les événements d’importance majeurs) et ce n’est pas la perspective du rachat d’Eurosport qui risque de changer la donne ; au contraire… A long terme, c’est notamment le tournoi mythique de Roland Garros qui est appelé à s’éclipser des écrans de France Télévision ; autre exemple, celui de l’Euro qui se disputera en juin 2014 en France : cette compétition du sport le plus médiatisé au monde ne permettra pas aux téléspectateurs d’assister à tous les matchs gratuitement et cela pour la première fois concernant une phase finale. Que les amateurs de sport en soient avertis, pour vibrer devant de grands moments désormais il faudra se rendre directement sur les lieux du spectacle ou mettre la main au porte feuille !
Sources
Interview de Frédéric Bolotny sur l’antenne de France Info diffusé le 19 octobre 2013 portant sur la question de la présence de sport sur les chaines gratuites, consulté le 19 octobre 2013 : interview librement consultable sur <http://www.franceinfo.fr/medias/la-semaine-des-medias/de-moins-en-moins-de-sport-sur-les-chaines-gratuites-1181529-2013-10-19>.
Poussielgue (G.), « Discovery veut jouer les premiers rôles en Europe », lesechos.fr, mis en ligne le 08 avril 2013, consulté le 19 octobre 2013. <http://www.lesechos.fr/08/04/2013/LesEchos/21412-103-ECH_discovery-veut-jouer-les-premiers-roles-en-europe.htm>.
Poussielgue (G.), « Discovery veut racheter Eurosport plus vite que prévu », lesechos.fr, mis en ligne le 08 octobre 2013, consulté le 09 octobre 2013. <http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/medias/actu/0203051970442-discovery-veut-racheter-eurosport-plus-vite-que-prevu-614616.php>.
Cassini (S.), « TF1 a t’il intérêt à céder Eurosport ? Non disent les analystes », latribune.fr, mis en ligne le 17 décembre 2012, consulté le 9 octobre 2013 <http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/20121217trib000737808/tf1-a-t-il-interet-a-ceder-eurosport-non-disent-les-analystes.html>.