Ce 1er octobre 2013, l’amendement dit «amendement LCI» permettant au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) d’autoriser une chaîne payante à devenir gratuite a été adopté par le Sénat, malgré les insistantes tentatives de dissuasion de la part des deux chaînes d’information rivales à LCI, à savoir BFMTV (du groupe NextRadioTV) et iTélé (du groupe Canal +).
Dans le cadre de la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public d’Aurélie Filippetti, Ministre chargée de la Culture et de la Communication, l’amendement en question avait été adopté à l’Assemblée Nationale le 20 juillet 2013, puis débattu au Sénat le 1er octobre 2013. Cet amendement visant à permettre au CSA d’autoriser une chaîne payante à passer au gratuit, et inversement, avait beaucoup fait parler de lui pendant les deux mois ayant séparé les deux votes, mais dans le cadre de la procédure accélérée enclenchée pour cette loi, la Commission mixte paritaire mise en place a finalement tranché et l’amendement a été adopté ce 17 octobre 2013.
L’amendement LCI vient donc modifier l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose désormais que «le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut, par décision motivée, donner son agrément à une modification concernant le recours ou non à une rémunération de la part des usagers permettant à un service de télévision par voie hertzienne terrestre numérique diffusé en crypté d’être diffusé en clair et inversement».
Un amendement justifié par un renforcement des pouvoirs du CSA et par l’objectif de pluralisme
M. Patrick Bloche, président de la Commission des Affaires Culturelles et de l’Éducation, a proposé cet amendement le 16 juillet 2013 dans le but premier de renforcer «les pouvoirs et l’indépendance du CSA, et donc ses moyens de régulation» après une proposition du Conseil lui-même dans son rapport annuel de 2012. En effet, jusqu’à maintenant, le CSA ne pouvait que refuser les demandes des chaînes qui souhaitaient passer du payant au gratuit, au vu de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, car cela était considéré comme «une modification substantielle de l’autorisation accordée [initialement] par le CSA». Pour pouvoir accéder à la gratuité, une chaîne payante devait donc jusqu’à présent remettre sa fréquence sur le marché des fréquences, puis déposer une candidature en proposant un projet de diffusion.
Or Olivier Schrameck, président actuel du CSA, avait déclaré récemment vouloir, dans le cadre du pouvoir de régulation qui lui est donné, «avoir la possibilité de modifier les équilibres lorsque cela paraît favorable culturellement, industriellement, financièrement» sans avoir cette contrainte juridique.
Ici, la présence de seulement deux chaînes d’information sur la Télévision Numérique Terrestre (TNT) gratuite semblait aller contre le principe de pluralisme des médias, créant, selon les mots de Nonce Paolini, PDG de TF1, un «duopole» qui n’était pas justifié. Pour lui, il y a de la place pour une troisième chaîne d’information sur la TNT gratuite sans que cela porte préjudice aux deux autres, et cela sauverait LCI qui est entrain de dépérir financièrement.
Ce n’est pourtant pas l’avis du PDG de Canal +, Bertrand Meheut, pour qui le passage au gratuit de LCI ne permettra pas à la chaîne de sortir la tête de l’eau, alors que cela sera très contraignant pour les deux autres chaînes d’information déjà installées sur la TNT gratuite. Ainsi, selon lui, «son arrivée mettra en péril les deux autres chaînes d’info tout juste à l’équilibre, sans sauver LCI. D’un malade, on aurait ainsi trois mourants».
La chaîne LCI ne fait en effet que 0,2% d’audience selon Le Figaro, contre 0,7% pour iTélé et 2% pour BFM TV. Selon une étude menée par l’entreprise BearingPoint, demandée par les groupes Canal + et NextRadioTV, le passage en gratuit de LCI lui coûterait environ 23 millions d’euros par an en «coûts additionnels diffusion» et en «surcoûts exigés par l’institut de mesure d’audience Médiamétrie». Pour compenser cette perte, les revenus publicitaires dont bénéficierait LCI ne suffiraient pas, à moins que l’audience de la chaîne ne soit multipliée par cinq, ce qui semble peu probable.
La Ministre de la Culture Aurélie Filippetti met surtout en avant le fait que cet amendement, en plus d’être une «mesure […] bonne pour le pluralisme de l’information», permettrait de sauver des chaînes qui auraient fait de mauvais choix, ou du moins des choix qui pouvaient être justifiés à un moment mais qui se sont finalement révélés peu stratégiques au vu de certains changements économiques par exemple.
En l’occurrence , on peut se demander pourquoi les deux groupes en question (TF1 et M6) n’ont pas profité du passage à la TNT sur le territoire français pour proposer LCI et Paris Première en gratuit. L’opportunité avait en effet été donnée à ce moment là par le CSA aux groupes possédant des chaînes déjà gratuites d’ajouter une chaîne du groupe à la TNT gratuite, en passant néanmoins bien sûr par un appel à candidatures. Le groupe TF1 avait alors choisi de mettre en avant NT1 plutôt que LCI, quant au groupe M6, il a créé la chaîne 6ter plutôt que de sélectionner Paris Première.
Selon Alain Weill, PDG de BFM TV, cet amendement serait pourtant inconstitutionnel en raison de «la rupture d’égalité manifeste» que cela créera entre les chaînes. En effet, il lui semble injuste que des chaînes puissent passer en gratuit sans avoir fait l’objet d’un appel à candidatures de la part du CSA.
Selon le PDG de BFM TV, cet amendement enfreindrait également le droit communautaire car l’article 5-2 de la directive européenne relative à l’autorisation des réseaux et de communications électroniques dispose que les droits d’utilisation des radiofréquences accordées à des fournisseurs de contenu de télévision doivent être « octroyés par le biais de procédures ouvertes, transparentes et non discriminatoires».
Le chantage sous-jacent de TF1
Ce qui fait vraiment grincer des dents les deux PDG des chaînes d’information gratuite, c’est le possible montage politique qui semble se dissimuler derrière cet amendement LCI. En effet, plusieurs points sont soulevés par les détracteurs de l’amendement, à commencer par le fait qu’il ait été rajouté au dernier moment par Patrick Bloche lors de la première lecture à l’Assemblée Nationale le 17 juillet. Ainsi, il est reproché à cette proposition de ne pas avoir été étudiée avec suffisamment de temps par les deux assemblées.
De plus, le curieux renversement de position d’Aurélie Filippetti a mis en doute la neutralité de cet amendement. En effet, le 16 juillet, lors de la Commission des Affaires Culturelles et de l’Éducation, la Ministre semblait contre l’amendement LCI, estimant que TF1 et M6 auraient effectivement dû profiter du passage à la TNT pour proposer leurs deux chaînes payantes en gratuit, et que ce nouveau pouvoir proposé au CSA allait au-delà d’une simple modification substantielle. Pourtant, lors de la seconde lecture à l’Assemblée Nationale, elle ne s’opposait plus à l’amendement en annonçant simplement compter sur «la sagesse de l’Assemblée». Le 1er octobre enfin, elle semblait satisfaite sur la radio Europe 1 de ce nouveau pouvoir proposé au CSA.
En réalité, l’hypothèse que LCI passe en gratuit ne va pas forcément se vérifier car il serait très compliqué pour la chaîne de réussir à remplacer ses ressources financières apportées par les abonnements actuels des téléspectateurs par des ressources publicitaires, au vu de la saturation actuelle du marché de la publicité. Le plus plausible serait donc que LCI ne fasse que «menacer» le groupe Canal + de passer en gratuit (et donc d’affaiblir la chaîne d’information gratuite iTélé) dans le seul but de lui soutirer des rémunérations plus importantes. Le patron de TF1 a en effet déjà annoncé qu’il fermerait la chaîne s’il n’avait pas la possibilité de la faire passer en gratuit.
En effet, la situation économique de LCI est au plus mal car cette dernière vient de se voir retirer par CanalSatellite, appartenant au groupe Canal +, près de quinze millions d’euros de participation financière. L’explication de ce financement remonte à deux ans, lorsque Canal + avait fait l’objet d’une amende très élevée (30 millions d’euros) de la part de l’Autorité de la Concurrence car sa fusion avec TPS et le rachat des chaînes Direct 8 et Direct Star étaient des risques d’atteinte à la concurrence et plaçaient le groupe dans une situation de «monopole sur l’édition et la commercialisation des chaînes Premium», tout en renforçant sa position dominante. Il n’était donc pas opportun pour le groupe Canal + de fragiliser de surcroît la chaîne d’information LCI en lui opposant sa propre chaîne d’information iTélé. Canal + a donc décidé de financer LCI par une négociation prenant fin en 2014, en lui octroyant ces quinze millions d’euros par an. Mais la négociation en question est en passe de prendre fin, et TF1 risque donc d’opérer une sorte de chantage au groupe Canal + pour que ce dernier continue de payer.
Il en est d’ailleurs de même pour Paris Première qui, selon Le Figaro, aurait pour but «d’obtenir de ses distributeurs [dont Canal +] que leurs redevances compensent [un] manque à gagner publicitaire».
Un passage à la TNT gratuite pas encore acquis pour LCI
La chaîne LCI n’est pas encore certaine de se voir accorder le passage en gratuit par le CSA car celui-ci doit au préalable effectuer une étude d’impact d’un tel changement de statut sur le marché. En effet, un autre amendement de la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public oblige désormais le CSA à faire ce travail avant chacune de ses décisions. Ainsi, s’il se révèle qu’effectivement le passage de LCI en gratuit mettra à mal les trois chaînes d’information, il est probable que le CSA n’autorisera pas cette mutation.
En tout état de cause, Alain Weill compte bien faire un recours auprès du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat pour faire retirer cet amendement, ou du moins le reporter à la grande loi sur l’audiovisuel prévue pour 2014. Pour lui, il n’y a en effet aucune raison économique à cet amendement et le montage politique en faveur du groupe historique TF1 ne fait aucun doute, bien qu’il reste sceptique quant à l’issue de cette loi.
Sources:
- ANONYME, « L’ “amendement LCI” promet une guerre des chaînes d’info gratuites », La Provence, www.laprovence.com, publié le 02/10/2013, consulté le 10/10/2013. Consultable sur <http://www.laprovence.com/article/loisirs/2558431/lamendement-lci-promet-une-guerre-des-chaines-dinfo-gratuites.html>
- BELVER (J.), « Alain Weill (BFMTV): “Si LCI passe en gratuit, on le contestera devant les tribunaux” », Pure Media by OZAP, www.ozap.com, publié le 30/09/2013, consulté le 25/10/2013 . Consultable sur <http://www.ozap.com/actu/alain-weill-bfmtv-si-lci-passe-en-gratuit-on-le-contestera-devant-les-tribunaux/449375>
- GARRIGOS (R.) et ROBERTS (I.), « Tout ça pour CSA… », Libération, www.liberation.fr, publié le 23/07/2013, consulté le 24/10/2013. Consultable sur <http://www.liberation.fr/medias/2013/07/23/tout-ca-pour-csa_920316>
- GONZALEZ (P.), « Paris Première et LCI: le piège du gratuit », Le Figaro, www.lefigaro.fr, publié le 30/05/2013, consulté le 20/10/2013. Consultable sur <http://www.lefigaro.fr/medias/2013/05/30/20004-20130530ARTFIG00676-paris-premiere-et-lci-le-piege-du-gratuit.php>
- GONZALEZ (P.), « Levée de boucliers contre la gratuité de LCI », Le Figaro, www.lefigaro.fr, publié le 25/07/2013, consulté le 25/10/13. Consultable sur <http://www.lefigaro.fr/medias/2013/07/25/20004-20130725ARTFIG00490-levee-de-boucliers-contre-la-gratuite-de-lci.php>
- HENNI (J.), « BFMTV s’oppose à l’arrivée de LCI sur la TNT gratuite », BFM Business, www.bfmtv.com, publié le 28/08/2013, consulté le 12/10/2013. Consultable sur <http://www.bfmtv.com/economie/bfmtv-soppose-a-larrivee-lci-tnt-gratuite-590372.html>
- SCHMITT (F.), « LCI en gratuit: Canal + et BFM TV contre-attaquent », Les Echos, www.lesechos.fr, publié le 09/09/2013, consulté le 10/10/2013. Consultable sur <http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/medias/actu/0202990647392-lci-en-gratuit-canal-et-bfm-tv-contre-attaquent-602712.php>