L’article L.41 du Code des postes et communications électroniques donne au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes compétence en matière d’octroi des fréquences d’émission. Les conditions et la procédure d’attribution des fréquences pour la diffusion de services de radio sont quant à elles définies par l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Le 1e juin 2010, le CSA lance un appel à candidature en vue de l’attribution de fréquences radiophoniques dans le ressort du comité technique radiophonique de Caen. Le 5 avril 2011, il rejette celle de Radio Bonheur au profit de Radio Nostalgie dans la zone de Château-Gontier, de Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 dans la zone de Laval et de Fun Radio dans la zone de Mayenne. La société Média Bonheur avait par conséquent demandé au Conseil d’Etat d’une part l’annulation de cette décision pour excès de pouvoir, d’autre part d’enjoindre au CSA de réexaminer sa candidature dans un délai de deux mois et de mettre à sa charge le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Dans une décision du 23 septembre 2013, le Conseil d’Etat accède partiellement à sa demande. Il annule la décision du Conseil supérieur du 5 avril 2011 par laquelle il avait rejeté la candidature de Radio Bonheur en vue de l’exploitation du service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne seulement pour la zone de Laval (les rejets de candidatures sur les autres zones sont confirmés). Il enjoint au CSA de prendre les mesures nécessaires au réexamen de la candidature de la société Média Bonheur à l’exploitation d’un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne terrestre dans la zone de Laval, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
L’appréciation tendancieuse des critères d’attribution de fréquences par le CSA
Selon le Conseil supérieur, l’arrivée de Radio Bonheur allait remettre en cause l’équilibre d’autres radios présentes sur la zone puisqu’elle comptait diffuser des publicités locales. Cette estimation avait motivé son rejet d’attribution de fréquences, or le Conseil d’Etat a considéré qu’elle était infondée.
Ce dernier avait aussi remarqué l’attribution par le CSA de trois fréquences lors de cet appel à candidature, à trois radios d’un certain type déjà représenté par neuf services. Le Conseil supérieur a par conséquent violé les dispositions de l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 en créant un déséquilibre entre les catégories de radios, ce qui est contraire à « l’impératif de diversification des opérateurs » et à l’objectif de « juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants ».
Le réexamen de cette décision du CSA de refus d’attribution de fréquences par le Conseil d’Etat était donc nécessaire afin de lui rappeler que l’attribution des fréquences radios ne se fait pas à son « bon vouloir ». En effet, le Conseil supérieur prend pour habitude de motiver ses rejets en ne comparant qu’un unique critère de sélection défavorable à Radio Bonheur (souvent contestable) et en occultant la totalité des autres critères qui lui sont favorables par rapport aux candidats sélectionnés. C’est ainsi qu’il a systématiquement refusé (en 2002, 2006, 2008 et 2011) tout développement de Radio Bonheur en dehors des Côtes d’Armor lorsqu’elle l’avait sollicité.
Le 25 octobre 2011, Marie-Renée Oget (ancienne députée des Côtes-d’Armor) attirait d’ailleurs l’attention du ministère de la culture et de la communication sur l’appréciation des critères d’attribution des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre par le CSA. Elle souhaitait que le gouvernement encadre d’avantage le pouvoir d’appréciation du CSA notamment en affirmant que « le public senior doit être apprécié de la même manière que le public jeune ».
La cible de Radio Bonheur étant les seniors (+ de 60 ans), il est anormal que le Conseil supérieur ait basé tant de refus d’attribution de fréquences sur le fait que son programme est comparable à celui d’autres radios (comme MFM). Il devrait au contraire « faire coïncider la forte demande d’une population à fortiori ignorée du média radio avec l’offre du programme Radio Bonheur dont le succès auprès des seniors est démontré. C’est l’esprit de la loi de 1986 ».
Nous avons pu constater que le Conseil avait aussi refusé les candidatures d’attribution de fréquences radios de Sud Radio, Radio Color et de la radio Vosges FM sans raison valable. Le Conseil d’État, dans un arrêt du 4 avril 2012 a considéré que la décision du CSA concernant Sud Radio était entachée d’irrégularité car elle était basée sur le fait que c’était une radio musicale, alors qu’il s’agit en réalité d’une radio généraliste. Puis dans une décision du 17 juillet 2013, il avait estimé que le Conseil supérieur n’avait pas respecté l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986, notamment l’obligation de « sauvegarde des courants d’expression socioculturels et des services favorisant les échanges entre les groupes sociaux et culturels ». Les décisions de rejet des candidatures de ces 3 radios avaient par conséquent été annulées par le Conseil d’Etat.
Le CSA se permet donc de refuser le développement de radios pouvant satisfaire aux conditions d’attribution de fréquences posées par la loi et qui par ailleurs rencontrent un vif succès. Force est de constater que le Conseil supérieur apprécie comme il l’entend les critères d’attribution de fréquences radios afin de refuser ou accepter partialement des candidatures d’attribution de fréquences radiophoniques.
CSA frein au développement des radios locales ?
De façon habituelle, le CSA sélectionne les candidatures des radios dont les quinze années d’autorisation s’achèvent, à fortiori les radios nationales des trois grands groupes privés (NRJ, RTL et Lagardère) et de Radio France. Le 5 avril 2011, il avait préféré attribuer des fréquences radio à Radio Nostalgie dans la zone de Château-Gontier, Fun Radio, Ouï FM et RTL 2 dans la zone de Laval et Fun Radio dans la zone de Mayenne au détriment de Radio Bonheur (radio locale). Il avait été de même en 2002, 2006 et 2008, la candidature d’attribution de fréquences de Radio Bonheur avait été refusée en Bretagne alors que de multiples radios nationales se développaient dans cette zone. Deux décisions du Conseil d’Etat du 4 avril 2012 et du 17 juillet 2013 qui annulent les décisions du CSA de rejet de candidatures de différentes radios prouvent à nouveau qu’il avait favorisé l’attribution de canaux à des services nationaux de diffusion.
Le 29 septembre 2011, Gérard Le Cam (Sénateur des Côtes-d’Armor) attirait l’attention du ministre de la culture et de la communication. Il constatait qu’il devenait impossible pour Radio Bonheur (radio locale) « de se développer face aux grands groupes tels que NRJ, Europe 1, RTL et leurs déclinaisons locales ». Le sénateur faisait part de son désir que certaines mesures soient prises par le ministre afin de faire respecter la loi en vigueur et les règles normales de concurrence. Le Ministère de la culture et de la communication, dans sa réponse à Gérard Le Cam justifie le refus d’attribution de fréquences à Radio Bonheur par la « pénurie de fréquences sur la zone, qui touche l’ensemble des radios, tant les grands réseaux que les radios locales indépendantes ». Il ne remet en cause, à aucun moment, les agissements du CSA. Selon lui, le Conseil supérieur « a réparti de manière équitable le peu de ressources disponibles sur la zone entre les grands groupes radiophoniques nationaux, les radios locales indépendantes et les radios associatives ».
Ainsi les responsables de Radio Bonheur craignent un nouveau refus du CSA, du fait de la mainmise des géants de la radio. A titre d’information, Radio France, premier groupe radiophonique en France, dont l’Etat est l’unique actionnaire, détient sept radios nationales dont France Bleu. Le réseau de France Bleu s’est récemment agrandit, il contient actuellement 44 radios locales (appartenant à une radio nationale).
L’Etat est conscient que la radio à un impact considérable sur l’opinion publique car les mots sont des armes de pouvoir. Les hommes politiques français, en fonction du contexte politique, se méfient ou abusent du pouvoir de ces ondes. Les membres du Conseil supérieur sont (pour l’instant) nommés par décret du Président de la République et désignés par le Président de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ceci peut expliquer la « prime aux sortants » dans l’attribution des ondes radiophoniques par le CSA. Les politiques et le Conseil supérieur auraient-ils peur de la nouveauté et de ce qui peut se dire sur les radios sur lesquelles ils n’ont pas la mainmise (radios locales) ?
Il est important que le Conseil d’Etat continue d’annuler les décisions injustes du CSA. Ce dernier devrait quant à lui examiner, sans à priori et de manière impartiale la totalité des candidatures, « en intégrant dorénavant la candidature de Radio Bonheur au format senior sans avantager de manière quasi systématique les radios sortantes au format et à la cible très différents de Radio Bonheur ». Les autorisations doivent être sélectionnées conformément à loi et uniquement sur ces critères.
Sources :
– J4M, « Radio Bonheur / attribution de fréquences : annulation d’une décision du CSA par le Conseil d’Etat », jurist4medias, http://www.jurist4medias.fr, publié le 16/10/2013, consulté le 18/10/2013.
Consultable sur
– CONSEIL D’ÉTAT, « Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 23/09/2013, 351109, Inédit au recueil Lebon », http://www.legifrance.gouv.fr, publié le 23/09/2013, consulté le 18/10/2013.
Consultable sur
– ASSEMBLÉE NATIONALE, « Question N° 120382 de Mme Marie-Renée Oget », http://questions.assemblee-nationale.fr, publié le 25/10/2011, consulte le 18/10/2013.
Consultable sur
http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-120382QE.htm
– SÉNAT, « Question écrite n° 20228 de M. Gérard Le Cam », http://www.senat.fr, publié le 29/09/2011, consulte le 18/10/2013.
Consultable sur
http://www.senat.fr/questions/base/2011/qSEQ110920228.html
– RADIO BONHEUR, « Préliminaires et note sur les autorisations arrivant à échéance », http://www.radiobonheur.com, consulte le 18/10/2013.
Consultable sur
http://www.radiobonheur.com/telechargements/preliminaires.pdf