Le monde médiatique a été saisi d’effroi lors des évènements ayant eu lieu le 20 novembre 2013 durant lesquels Abdelhakim Dekhar aurait notamment tiré à plusieurs reprises dans le hall du journal Libération et aurait grièvement blessé une personne.
Cet évènement dramatique a par ailleurs fait resurgir dans la presse l’image d’une personne que certains d’entre nous ne connaissaient pas du fait de leur jeune âge : Florence Rey.
Cette femme a purgé une peine d’emprisonnement d’une durée de quinze ans suite à son implication dans un braquage ayant eu un bilan sinistre de cinq victimes. Abdelhakim Dekhar a également été condamné à quatre ans d’emprisonnement pour complicité et association de malfaiteurs en ce qu’il était soupçonné d’avoir fourni des armes à Florence Rrey et son complice : Audry Maupin.
La résurgence de l’image de Florence Rey dans la presse papier et numérique l’a faite réagir via un communiqué de son avocat. Elle considère en effet avoir « payé sa dette à la société » durant ses quinze années de réclusion et affirme sa stupeur par ces mots : « je m’étonne que (…) ma photo se soit retrouvée en bonne place dans les médias, avec les conséquences graves que ça représente pour qui cherche à retrouver une vie normale ».
Florence Rey revendique donc un droit à ce que son image ne puissent refaire surface, au risque de porter atteinte à sa vie privée, son image, et sa réputation.
La revendication d’un droit à l’oubli
La résurgence de son image dans les médias pousse Florence Rey à revendiquer un droit à l’oubli.
En effet, elle souhaite pouvoir mener aujourd’hui une vie normale, notamment dans le domaine du cinéma, sans que ces évènements ne lui soient constamment rappelés et de nouveau exposés aux yeux de tous.
Le droit à l’oubli est une notion difficile à mettre en œuvre à l’heure actuelle. Le développement de l’Internet et des réseaux sociaux ne cessent de s’accroitre et de multiplier les risques d’atteintes aux droits de la personnalité et notamment à rendre difficile la mise en œuvre d’un droit à l’oubli qui s’avèrerait effectif.
Jusqu’à présent, il n’existait qu’un simple droit à l’effacement, et seulement en présence de « motifs légitimes » justifiant celui-ci. Les atteintes restaient donc nombreuses.
La Commission européenne s’est cependant récemment saisie de la question en reconnaissant l’existence d’un véritable droit à l’oubli numérique et en préparant un règlement qui pallierait aux éventuelles carences de la directive 95/46/CE relative à la protection des données personnelles. Ce droit permet à tout internaute d’obtenir la suppression de ses données personnelles présentes sur internet, s’il le demande.
On s’interroge cependant sur une éventuelle consécration de ce droit en France. Il existe aujourd’hui un droit à l’oubli en matière de presse. Il permet en effet à une personne d’obtenir de la part des organes de presse, qu’ils ne puissent plus utiliser des éléments la concernant, tels qu’une photographie, si cela n’a plus aucune justification.
Ce droit est en grande partie d’origine prétorienne et le juge a pour habitude de trancher la situation au cas par cas, en fonction des intérêts en présence.
Un jugement du TGI de Paris en date du 20 avril 1983 «Madame M. c. Filipacchi et Cogedipresse » énonce en effet que : « Attendu que toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l’oubli (…) ; Attendu que ce que droit à l’oubli qui s’impose à tous, y compris aux journalistes, doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s’y réinsérer ». Florence Rey pourrait donc faire partie de cette catégorie de personnes légitimes à vouloir se réinsérer et reconstruire leur vie après avoir payé leur dette à la société.
Cependant, le droit à l’oubli numérique n’est pour l’instant que théorique en France et n’a pas fait l’objet d’application pratique.
Il est cependant important de noter que la CNIL a récemment évoqué une éventuelle reconnaissance d’un « droit à l’oubli des personnes évoquées dans des articles de presse ». Ce projet évoque notamment la mise en œuvre d’actions de la part des organismes de presse afin de respecter ce droit. Ces actions sont de trois sortes :
– L’anonymisation de la personne concernée
– La désindexation de l’article au sein des moteurs de recherches
– La mise en place d’une durée au-delà de laquelle les articles publiés en ligne pourraient se voir intégrés à un fond d’archive qui ne serait alors accessible que par les abonnés à ces journaux.
La nécessité d’un tel droit peut se comprendre lorsque l’on évoque les arguments déployés par Florence Rey, ancienne détenue, souhaitant se reconstruire, et reconstruire sa vie, loin de ses erreurs passées pour lesquelles elle a effectué les peines qui lui avaient été octroyées.
Un autre droit, tout aussi fondamental, non pas pour les personnes en tant qu’entité individuelle, mais pour la société toute entière, peut cependant être évoqué afin de prendre le contre-pied à une telle proposition. L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen consacre le principe de la liberté d’expression au sein de notre pays.
Cette liberté d’expression, tant convoitée, pour laquelle tant de générations se sont battues, et pour laquelle, tant de pays se battent encore aujourd’hui. Le Conseil Constitutionnel par ailleurs reconnu l’existence de cette liberté tant du côté des récepteurs que nous sommes, mais également du côté des émetteurs, et donc de la presse en l’espèce. Faudrait-il porter une telle atteinte à la liberté de la presse au motif du respect de droits individuels ?
Le droit à l’oubli reste un sujet sensible en mettant en confrontation des intérêts individuels et collectifs. Il lui est cependant reproché de déresponsabiliser la société et les personnes, qui, se croyant maîtresses de leurs données, pourraient commettre des infractions ou des débordements sans qu’aucune conséquence médiatique n’ait lieu pour eux dans l’avenir.
De plus, un droit à la mémoire, s’opposant au droit à l’oubli, est aussi revendiqué, les formats papiers se raréfiant, il ne restera plus qu’à notre génération des morceaux de métadonnées et d’URL permettant à notre mémoire de se reconstruire lorsque nous le souhaiteront.
Florence Rey pourrait cependant, si elle estime qu’un abus de la liberté de la presse est caractérisé, agir sur le fondement de la loi relative à la liberté de la presse en date du 29 juillet 1881, et non pas sur celui de la responsabilité civile présent au sein de l’article 1382 du Code Civil tel que l’a précisé la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 6 octobre 2011 : « Les abus à la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 ».
Une atteinte au droit à l’honneur et à la réputation ?
Si un droit à l’oubli peut être évoqué, cela ne nous empêche pas de penser qu’une personne, même si elle a été sujette à une condamnation, dispose d’un droit au respect de son honneur et de sa réputation.
Les images utilisées en l’espèce sont celles datant de l’époque de son procès, soit vingt ans plus tôt. Florence Rey s’insurge face à cela. Les images la dévoilent en effet l’air hagard, le visage quelque peu balafré. L’image que les médias renvoient à la société est donc celle d’une femme qui n’aurait pas évolué, l’image d’une femme toujours coupable.
Florence Rey s’est aujourd’hui reconstruite et a purgé sa peine, est-il réellement nécessaire d’afficher ces photographies ? Les médias n’auraient-ils pas pu se contenter d’évoquer cette affaire textuellement, en laissant à la charge de chacun le soin d’aller consulter d’éventuelles images en cas de besoin de mettre un visage sur des faits relatés ?
Il pourrait être reproché à de tels comportements de porter atteinte à l’honneur et à la réputation de cette femme. En effet, elle a elle-même évoqué le fait qu’elle était à la recherche d’un emploi et exerçait jusqu’à présent son métier d’actrice sous un pseudonyme afin d’éviter les préjugés face à son passé carcéral. Or, elle déplore le fait que de telles photographies révèlent sa réelle identité et qu’elles ne pousseront surement pas des employeurs à s’intéresser à elle et les pousseront même à l’éviter.
Florence Rey, qui depuis l’année de sa libération en 2009, tente de construire sa vie de femme de nouveau libre se voit donc confrontée à une atteinte à son honneur et à sa future réputation, cependant les moyens d’agir en l’espèce restent faibles quant au fondement d’un tel droit. En effet, les délits de presse tels que la diffamation et l’injure pourraient être évoqués, mais ils concernent tous les deux l’allégation de faits et non pas la publication d’images. Florence Rey pourrait cependant se fonder sur le respect d’un autre droit.
Le respect d’un droit à l’image face au droit à l’information
D’après l’article 9 du Code Civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Cette disposition est la base d’un droit dont chacun de nous dispose : le droit à l’image.
En effet, chacun a droit à ce que son consentement lui soit préalablement demandé si une utilisation de son image est souhaitée. La Cour de Cassation l’a par ailleurs rappelé dans un arrêt en date du 2 mars 2004 : « Toute personne, fut-elle artiste du spectacle, tire du respect de sa vie privée, le droit de s’opposer à la diffusion de son image faite sans son accord, comme de choisir le support qu’elle estime adapté à cette fin. »
Face à un tel constat, il est possible de s’étonner du fait que la réutilisation des photographies de Florence Rey n’ait fait l’objet d’aucune autorisation de sa part en vue de leur diffusion dans tous les médias nationaux.
La diffusion de l’image d’une personne sans son consentement peut être admise. Il est cependant nécessaire de réunir deux conditions afin que celle-ci s’avère justifiée : la présence d’un intérêt légitime à être informé et celle d’un lien direct.
La première condition peut en l’espèce s’avérer respectée puisque l’affaire Abdelhakim Dekhar a fait la Une des actualités des jours durant et a largement choqué l’opinion publique. L’évocation de Florence Rey pouvait ici s’avérer justifiée en ce qu’elle permettait de comprendre le passé d’Abdelhakim Dekhar. Le public avait donc un intérêt légitime à connaître le lien qui avait auparavant existé entre ces deux personnes (on peut cependant de nouveau se demander si la publication et la diffusion de telles photographies étaient réellement nécessaires).
De plus, cette atteinte au droit à l’image peut être perpétrée lorsqu’une personne est impliquée dans le cadre d’une affaire judiciaire. Or, en l’espèce, il ne s’agit non pas de l’affaire de Florence Rey qui a elle été jugée et qui a purgé sa peine durant quinze années, mais de l’affaire relative aux faits qu’Abdelhakim Dekhar aurait commis. L’abus sera ici caractérisé si les médias révèlent par la suite des éléments relatifs à sa vie privée actuelle, ce qui n’a pour l’instant pas été le cas.
La seconde condition implique qu’il existe un lien direct entre l’information et l’image que celle-ci est censée illustrer. En l’espèce, il est possible de constater que la photographie de Florence Rey a largement été utilisée et diffusée ces derniers jours alors qu’il n’était évoqué qu’un évènement du passé d’Abdelhakim Dekhar. L’évocation d’un acte passé, pendant quelques secondes, justifie-t-elle une utilisation massive de l’image d’une personne ? Il est possible d’en douter.
Face à une telle situation, des intérêts divergents se retrouvent en réelle confrontation. Le monde des médias met en exergue la vie des personnes, au risque de porter atteinte à leurs droits de la personnalité, mais répond à une nécessité démocratique : l’information. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre droits individuels et intérêts collectifs.
SOURCES :
LETTERON (R.), « Le droit à l’oubli de Florence Rey », Contrepoints.org, Publié le 28 novembre 2013, consulté le 29 novembre 2013, disponible sur : http://www.contrepoints.org/2013/11/28/147879-le-droit-a-loubli-de-florence-rey
AUFFRAY (C.), « Droit à l’oubli : fausse bonne idée ou droit véritable pour l’internaute ? », ZDNet, publié le 22 octobre 2013, consulté le 26 novembre 2013, disponible sur : http://www.zdnet.fr/actualites/droit-a-l-oubli-fausse-bonne-idee-ou-droit-veritable-pour-l-internaute-39794958.htm
CHAMPEAU (G.), « Droit à l’oubli : de bonnes raisons de l’oublier », Numérama.com, publié le 01 octobre 2013, consulté le 26 novembre 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/27126-droit-a-l-oubli-de-bonnes-raisons-de-l-oublier.html
CHAMPEAU (G.), « Droit à l’oubli, ou censure ? La CNIL pourrait vérouiller la presse en ligne », Numérama.com, publié le 19 septembre 2013, consulté le 27 novembre 2013, disponible sur : http://www.numerama.com/magazine/27036-droit-a-l-oubli-ou-censure-la-cnil-pourrait-verrouiller-la-presse-en-ligne.html