Avec près de 30 millions d’abonnés aux États Unis et plus d’un million en Europe, Netflix, le site de streaming qui permet la lecture de vidéos en ligne sans téléchargement, est le symbole d’une profonde mutation de la télévision américaine. Le 18 septembre dernier Ted Sarandos, directeur des contenus chez Netflix, a annoncé que la société voulait diffuser de nouveaux films à ses abonnés en utilisant la même formule que les séries télévisées originales et ainsi devenir un diffuseur de premier rang. Les films serait alors diffusé le même jour dans les salles de cinéma et sur Netflix.
La stratégie Netflix
Netflix a bâti succès aux États-Unis sur son prix et sur son catalogue. Pour huit dollars par mois, il propose des milliers de films et de séries. À titre de comparaison, l’accès aux différentes chaînes de HBO est facturé entre 15 et 20 dollars par mois suivant les formules, auquel il faut ajouter l’indispensable abonnement au câble.
De plus de son système d’abonnement, Netflix base sa stratégie sur des productions originales, conçu pour sa plateforme. Plutôt que de proposer un épisode par semaine, comme c’est la règle aux États-Unis, Netflix a choisi de diffuser d’emblée les 13 épisodes de la première saison, dès le premier jour. C’est alors au spectateur de choisir le rythme auquel il souhaite regarder la série. Il n’est pas non plus interrompu par les coupures publicitaires, ce qui laisse le réalisateur de la série maître du rythme de son épisode.
Netflix est également très attentif aux consommations des œuvres piratés pour savoir quels droits acquérir et utilises les données sur la consommation de son propre catalogue pour savoir quoi produire, comme avec la série House of Cards.
Les possibilités pour Netflix
Si la société de streaming n’a pas encore dévoilé sa stratégie pour la diffusion de film dès leurs sorties, deux possibilités s’offrent à elle. S’il est déjà possible de voir aux États-Unis des films d’art à la maison via les chaînes câblés en même temps que ou avant leur sortie en salle. Presque tous les grands films hollywoodiens suivent un système strict de chronologie des médias basés non pas sur des dispositions légales comme en France, mais sur des stipulations contractuelles.
La première possibilité consisterait donc à négocier directement avec les studios de cinéma et à présenter une offre convaincante. Mais une telle offre risque de rencontrer une forte résistance de la part des distributeurs et des gérants des salles de cinéma. Cela pose aussi la question de la qualité des films proposés. Si des films ayant peu de chance de connaître le succès au cinéma peuvent facilement se retrouver sur Netflix, les blockbusters nécessiteraient un coût d’acquisition au-delà de toute rentabilité et pourrait avoir à terme un impact sur le coût de l’abonnement qui est un point fort de la stratégie de Netflix.
La seconde possibilité serait de reprendre la stratégie de ses séries originales, en produisant directement les films. Netflix aurait déboursé 100 millions de dollars pour produire les deux premières saisons de la série House of Cards. À titre de comparaison, un film comme le dernier Iron Man a nécessité un budget de 200 millions de dollars. Sans aller jusqu’à s’aligner sur les plus gros budgets américains, Netflix a les moyens de développer des projets cinématographiques ambitieux. Netflix était déjà un producteur de séries télévisées; le service de streaming pourrait désormais devenir un studio de cinéma à part entière. Une perspective qui devrait permettre de fidéliser ses abonnés et d’en capter de nouveaux.
Les projets de Netflix concernant le cinéma ne sont en tout cas pas isolés. En Europe, la Commission a lancé une initiative publique visant à expérimenter la sortie simultanée d’un film au cinéma et sur Internet, pour « évaluer les avantages de la sortie de longs-métrages sur différentes plates-formes le même jour ». Mais il ne s’agit que d’un test très limité, sur des films peu médiatisés.
Netflix et la France
Netflix gagne également du terrain à l’international. Pour autant, la société reste déficitaire à l’étranger. Mais cela ne l’empêche de poursuivre son développement. Elle s’implantera dans de nouveaux pays en 2014.
Concernant la France, il reste à voir si le marché de la sVoD intéresse assez Netflix. En effet, la chronologie des médias et la réglementation actuelle peuvent décourager les plus volontaires de se lancer. Il faut en effet patienter 36 mois entre la sortie d’un film en salle et son exploitation en sVoD. Autrement dit, les films actuellement à l’affiche ne seront pas proposés avant 2016, sauf à imaginer une nouvelle révision du dispositif actuel, dont la dernière modification remonte à 2009. Une difficulté qui semble de moins en moins contraignante puisque OCS, le service de sVoD proposé par Orange, s’affranchit déjà de cette obligation. Des films de 2012 comme Batman:the Dark Knight Rises y sont déjà présents.
Les exploitants, les distributeurs, les producteurs, les chaînes de télé ont tous intérêt à défendre la chronologie des médias. Mais ce système de distribution des films en France encourage le piratage de ces œuvres. Aucun service ne propose tous les films sortis dans le monde entier au sein d’une offre complète et abordable pour le grand public. Il n’y a que le piratage qui par sa gratuité, sa disponibilité 24h sur 24, son catalogue de films gigantesque, sa simplicité et son risque presque nul de se faire prendre est capable de répondre aux demandes des consommateurs.
Le rapport présenté par Pierre Lescure au mois de mai recommande une réduction de ce temps de latence destinée à assurer plusieurs « vies » à une oeuvre et la ministre de la Culture Aurélie Filipetti paraît favorable à cette option.
Le Netflix français devra également respecter les contraintes des SMAD, en particulier pour tout ce qui touche à l’exposition des œuvres d’origine européenne et française sur son portail.
Ces entraves ne sont cependant pas insurmontables pour le consommateur qui souhaite profiter du service Netflix. Il est possible de s’abonner à Netflix à deux heures de Paris (Amsterdam, Londres, …). Cela l’est également en France métropolitaine par le biais d’un VPN ou que pour les résidents de Guadeloupe, de Martinique ou de Guyane, puisque de nombreux foyers sont abonnés chez des fournisseurs d’accès qui ne délivrent pas des IP françaises mais américaines.
Netflix présente pourtant de nombreux avantages. Le premier et le plus évident pour une grande partie du public est celui du confort de consommation à un prix plus que raisonnable. On est à huit dollars par mois aux États-Unis pour l’abonnement. Alors qu’un épisode en VoD en France est souvent proposé entre 1,99 euro et 2,49 euros. Ce qui est bien trop cher, car cela met une saison de 12 épisodes à 24 voire 30 euros sans bénéficier du support physique, ni de l’emballage. Netflix est également accessible sous tous formats ; télévision, tablette, ordinateur, smartphone. Ce qui répond à un nomadisme croissant et à une consommation de plus en plus individualisée et déstructurée dans nos sociétés.
Sources :
- FOUNG (B.) « TV was just the beginning. Now, Netflix is gunning for film studios », The Washington Post, consulté le 2 novembre 2013, lien.
- Raymond (G.) « Netflix en France des solutions pour préparer le terrain » Le Huffington Post, consulté le 11 novembre 2013, lien.
- JULIEN (L.) « Netflix veut diffuser des films le jour de leur sortie en salle », Numérama, consulté le 2 novembre 2013, lien.