Selon l’étude de la Haute Autorité Pour la diffusion des Œuvres et la protection des Droits Internet (HADOPI), le streaming devient la principale source de consommation des biens culturels.
Le « streaming » est une technique permettant de diffuser des flux de vidéos en temps réel et de manière continue. Il s’agit d’une forme particulière de téléchargement illégal puisque dans le cas du streaming l’œuvre n’est pas stockée sur l’ordinateur de l’internaute. Cependant, cette forme de diffusion de l’œuvre n’empêche pas le nécessaire consentement de son auteur.
C’est pour cela que, fin 2011, cinq associations et fédérations du cinéma se sont regroupées afin de lancer une offensive judiciaire contre le piratage sur Internet. Ces dernières demandaient au juge de faire cesser la représentation illicite de films ou de séries en streaming par les sites du réseau « Allostreaming ».
Cette demande s’inscrit dans le cadre d’une volonté mondiale des producteurs de cinéma de défendre leurs droits face au piratage des œuvres sur Internet. Notamment avec la fermeture The Pirate Bay aux Pays-Bas ou encore celle de du site MegaUpload aux Etats-Unis en 2012 (qui était le service de téléchargement direct le plus utilisé en France).
Le Tribunal de Grande Instance de Paris dans une décision du 28 novembre 2013, a ordonné à cinq fournisseurs d’accès à Internet de bloquer les sites du réseau « Allostreaming » ainsi que le déréférencement de ces sites par trois moteurs de recherche.
La protection des droits d’auteurs des professionnels du cinéma
Le droit d’auteur offre une protection aux œuvres de l’esprit, et notamment à l’œuvre audiovisuelle.
En l’espèce, les professionnels du cinéma estimaient que les sites streaming portaient atteinte à leurs droits d’auteurs. Ce que Tribunal de Grande Instance de Paris a confirmé en estimant que l’activité de ces sites était « entièrement dédiée ou quasiment dédiée à la représentation d’œuvres audiovisuelles sans le consentement des auteurs » et portait donc atteinte à leurs droits.
Il est important de rappeler que les fournisseurs d’accès à Internet, ainsi que les hébergeurs, sont soumis à un principe de neutralité : ils ne sont donc pas de tenus de surveiller si des contenus illicites circulent sur leurs réseaux (article 6 I 7° de la LCEN transposé par l’article 32-3-3 du Code des Postes et des Communications Electroniques). Cependant, la directive de 2000 a reconnu qu’une fois notification faite au fournisseur ou à l’hébergeur de l’existence d’un contenu illicite, il est tenu de tout mettre en œuvre pour retirer ce contenu. Le fournisseur d’accès Google a notamment reçu à ce titre plus de 200 millions de demandes de blocages de pages en 2013. C’est en l’espèce ce qu’ont demandé les professionnels du cinéma qui, considérant que leurs droits d’auteurs étaient bafoués, souhaitent voir les sites illicites supprimés.
Dans sa décision, le juge a donc imposé aux fournisseurs d’accès à Internet de mettre en œuvre les mesures propres à empêcher, à partir du territoire français, l’accès à ces sites et ce par tout moyen, notamment par le blocage des sites visés. D’autre part, les moteurs de recherches devront quant à eux déréférencer toute réponse ou résultat renvoyant vers l’une de ces pages.
Cette décision de blocage des sites par les fournisseurs d’accès ainsi que de leur déréférencement montre donc une volonté de faire coopérer les acteurs de l’Internet avec les ayants-droits, ce qui laisse penser à une réelle victoire des professionnels du cinéma dans leur lutte contre le piratage.
Finalement, même si le juge refuse que les fournisseurs d’accès internet et moteurs de recherches assument les coûts de ces blocages (à la charge des demandeurs), il leur ordonne ici une obligation de résultat à réaliser dans les quinze jours suivants la décision et ce pour une durée de un an.
Cependant, cette décision laisse place à de nombreuses critiques. D’une part car cette décision ne donne aucune information sur la viabilité de ces sites au terme de l’année de blocage prévu. Mais également car certains considère qu’il s’agit d’une sorte de censure privée portant atteinte aux droits fondamentaux.
Le logiciel TMG ALPA : une solution aux contournements des blocages ?
L’illicéité des contenus culturels sur Internet connaissent donc des sanctions strictes, cependant les internautes savent adapter de plus en plus rapidement leurs pratiques.
En effet, il existe le problème des sites miroirs. Ces derniers sont des copies exactes d’un autre site web et permettent la duplication des contenus, et donc des contenus illicites. Or, bloquer un site prend des semaines, alors que créer un site miroir ne prend que quelques heures. Les décisions de blocage des sites s’avèrent donc rapidement inefficaces puisque les internautes se retournent rapidement sur ces sites miroirs. C’est en effet ce qu’il s’était produit après la fermeture du site MégaUpload par le FBI en 2012 où les réseaux sociaux sont devenus rapidement des forums d’entraide afin d’orienter les internautes vers des sites alternatifs.
Sur ce point, la demande des auteurs était très novatrice puisqu’elle proposait la possibilité pour l’Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle (ALPA) de pouvoir dénoncer l’apparition de sites miroirs, sans passer par le juge. En effet, cette dernière a conçu un logiciel capable d’identifier la réapparition de sites bloqués (notamment grâce aux noms de domaine) et d’ordonner directement aux fournisseurs d’accès à Internet à bloquer ses sites, ainsi que leur référencement par les moteurs de recherche. Pour étayer cette idée, les demandeurs se sont appuyés sur l’article L.336-2 du Code de la Propriété Industrielle (instauré par la loi HADOPI). Celui-ci prévoit qu’en cas d’atteinte à un droit d’auteur occasionnée par le contenu d’un service de communication en ligne, le juge peut ordonner, à la demande des titulaires des droits, la mise en œuvre de mesures afin de prévenir ou faire cesser cette atteinte.
Dans sa décision, le juge a demandé aux parties, en cas de réapparition de ces sites, de saisir par voie d’assignation le tribunal en référé. Il semble donc que le juge reste maître d’une telle décision. Cette décision ne s’avère pas surprenante puisque l’article L.332-6 du Code de la Propriété Intellectuelle impose lui-même la nécessaire intervention du juge. Cependant, ce dernier laisse une porte ouverte à l’utilisation du logiciel en cas d’accord entre les parties. Ainsi, il semble qu’en cas de collaboration entre l’ALPA et les intermédiaires qui le souhaitent, ces dernier pourraient utiliser le logiciel afin d’éviter la saisine du juge.
Le juge de ne semble donc pas prêt à ce qu’un logiciel puisse prendre des décisions à sa place. Cependant, l’utilisation pour la première fois de cet article laisse envisager, grâce à cette action, un moyen efficace dans la lutte contre le téléchargement illégal sur les réseaux. A l’inverse, les défendeurs de la liberté d’Internet s’indignent de la mise en place par cette décision, d’une sorte de censure qui laisserait entendre une atteinte à la démocratie du Net.
En pratique, on se demande pourtant si ces blocages seront suffisamment efficaces. En effet, les internautes ont développé différentes stratégies permettant de les contourner, notamment car cette interdiction n’a été envisagée par le juge que pour l’accès à ces sites depuis le territoire français. Ainsi grâce à l’utilisation de PROXI ou en transitant par un VPN (réseau privé virtuel), il reste possible de simuler une connexion depuis l’étranger….
SOURCES :
Décision Tribunal de Grande Instance de Paris – ordonnance de référé du 28 novembre 2013 ; www.legalis.net ; mise en ligne le 28/11/2013 consultée le 29/12/2013 ; disponible sur : http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3935
LE MONDE « Des professionnels du cinéma obtiennent le blocage de plusieurs sites de streaming » ; www.lemonde.fr ; mis en ligne le 28/11/2013 consulté le 30/11/2013 ; disponible sur : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/11/28/des-professionnels-du-cinema-obtiennent-le-blocage-de-plusieurs-sites-de-streaming_3522386_651865.html