Du 1er au 31 octobre 2013 Banksy, mystérieux roi du Street Art, s’était lancé dans la folle conquête des murs de New York dans le but d’y effectuer ses œuvres. Afin de guider ses fans dans cette folle chasse au trésor, celui-ci avait créé un site internet intitulé « Better Out Than In » sur lequel il publiait chacune de ses œuvres et annonçait d’éventuelles œuvres futures. S’amusant de l’engouement du Marché de l’art pour celles-ci, l’artiste avait d’ailleurs mis en scène une vente sauvage de ses œuvres dans les rues de New York en les vendant à un prix dérisoire.
À la suite de cela, le 2 décembre 2013 un nouveau site internet, identique à celui de Banksy, mais cette fois ci intitulé « Back To The Roots » faisait son apparition et annonçait la venue de l’artiste dans la capitale française dans un futur proche. La presse s’est alors rapidement emparée de l’affaire en annonçant cet évènement, tout en se questionnant sur sa véracité.
Dans la journée, un article des Inrockuptibles était publié et annonçait qu’il s’agissait en fait d’un canular et que l’auteur de ce site n’était pas l’artiste tant attendu.
Le site internet : une œuvre de l’esprit ?
La farce du « faux Banksy » a eu l’effet désiré, cependant, il est possible de s’interroger sur une éventuelle atteinte aux droits d’auteur du « vrai Banksy ».
En effet, le site original « Better Out Than In » n’est pour l’instant plus disponible (il serait possible d’apercevoir à travers cela la volonté de l’artiste de rester dans ce mystère qui le caractérise et dans le caractère éphémère de son travail), cependant, nous avons pu suivre le voyage urbain de Banksy à New York sur ce même site lorsqu’il était toujours édité. Nous pouvons constater l’utilisation à l’identique de la charte graphique du site original de l’artiste. En effet, la typographie, la couleur et la mise en page sont les mêmes : lettres blanches sur carrés noirs pour le titre, typographie spécifique et bancale semblables à des pochoirs, citations en encadré noir en présentation… Tout est mis en scène pour que l’internaute croie à un second épisode du périple urbain de l’artiste.
L’article L 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que tout œuvre de l’esprit est protégée quel qu’en soit « le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination », la seule caractéristique étant requise pour la protection est alors : l’originalité. Cependant, avant de se demander si le vrai site est original, il est nécessaire de se questionner sur la réalité de la protection d’un site internet par le droit d’auteur.
Face au développement et à l’expansion de l’outil Internet, le législateur s’est positionné favorablement à la reconnaissance du site internet en tant qu’œuvre de l’esprit. En effet, l’énumération des créations bénéficiant de la qualification d’œuvre de l’esprit énoncée à l’article L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle n’est pas exhaustive, les œuvres multimédias telles que les sites internet y ont donc été ajoutées afin de leur octroyer une protection efficace contre le droit d’auteur. Le site de Banksy est donc une œuvre suceptible d’être protégée, mais répond-elle au critère de l’originalité de l’œuvre ?
L’originalité du site
Comme nous avons pu le constater, des éléments caractéristiques du site ont été repris. Parmi ceux-là : la typographie, les couleurs, le graphisme, la mise en page et également la façon dont l’artiste avait de procéder en postant des photographies de ses œuvres accompagnées de leur date et de leur emplacement.
L’œuvre de Banksy étant caractérisée par une utilisation massive du noir et surtout du pochoir, le titre de son site était l’illustration de ce style. Il était possible de reconnaître directement que nous étions sur le site de l’artiste lorsque nous apercevions une telle charte graphique. L’originalité peut donc être constatée puisque la personnalité de l’auteur pouvait être distinguée dès sa consultation. La contrefaçon est définie à l’article L 335-2 comme toute reproduction identique d’une œuvre de l’esprit et donc protégée par le droit d’auteur, et aurait donc pu s’appliquer.
Cependant, la troisième chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu un jugement en date du 28 mai 2009 en refusant la protection par le droit d’auteur d’un site internet en raison du manque d’originalité de ses éléments. On peut donc penser que les éditeurs de ces sites doivent faire preuve d’une grande originalité afin que celle-ci soit une condition de la protection de leur travail. Or en l’espèce, certes la personnalité de l’auteur est reconnaissable et s’exprime à travers des éléments de graphisme, typologie, couleurs… Mais serait-ce suffisant devant les juges ? Il n’en n’est pas certain. Cependant, la notion de parasitisme aurait pu s’appliquer si le faux artiste avait tiré des bénéfices de ce positionnement dans le sillage exact de l’œuvre de Banksy, or celle-ci est caractérisée par son désintéressement total et les profits qui en découlent sont donc inexistants.
L’absence d’usurpation d’identité
Face à une telle récupération, il aurait été légitime de se demander si de tels agissements n’étaient pas qualifiables d’usurpation d’identité. Mais c’est ici que le génie de Banksy et de son œuvre explosent. Artiste au visage et à l’identité inconnus, de nombreux clones peuvent se greffer à son œuvre en l’imitant, et en contribuant au mystère, c’est ce qu’a tenté de faire le « Faux Banksy » en allant même jusqu’à créer des œuvres semblables à celles de l’artiste en plein Paris, la dernière en date étant la fabrication d’un homme en papier mâché donnant à manger aux pigeons dans un parc.
L’usurpation d’identité est qualifié au sein de l’article 424-23 du Code Pénal comme « le fait de prendre le nom d’un tiers, dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales », or en l’espèce, Banksy n’est qu’un pseudonyme, ce n’est pas son état civil qui est usurpé puisqu’il est totalement et volontairement inconnu, mais son talent. Pas d’usurpation donc, mais une réelle récupération de l’œuvre de l’artiste qui ne le desservira pas pour autant.
Le « faux Banksy » fait donc du vrai un réel mythe, Banksy en se décuplant à travers ses fans devient encore et toujours plus inaccessible et mystérieux. À travers sa démarche, Banksy dépasse tous les concepts juridiques dont aucun ne trouve réellement à s’appliquer en l’espèce, c’est là, toute la légèreté de son Art. Tout n’est donc pas juridique, mais Marcel Duchamp avait, cela dit, peut-être raison à travers l’idée que « tout est art » : au-delà d’un artiste, se trouve une réelle démarche et un engouement planétaire face à une œuvre touchant toutes les catégories d’êtres humains que nous sommes.
SOURCES :
SCHMITT (A.), « Street Art : un faux Banksy sévit à Paris », Le Nouvel Observateur, publié le 02 décembre 2013, consulté le 02 décembre 2013, disponible sur : http://tempsreel.nouvelobs.com/vu-sur-le-web/20131202.OBS7829/street-art-un-faux-banksy-sevit-a-paris.html
SGARBI (C.), « Le faux Banksy a encore frappé », lesinrocks.com, publié le 03 décembre 2013, consulté le 03 décembre 2013, disponible sur : http://www.lesinrocks.com/inrocks.tv/faux-banksy-encore-frappe/