Le célèbre réseau social a été le théâtre de deux événements liés à la propriété intellectuelle ces jours derniers.
Une première affaire concernait le blocage de publications de tweets comportant des liens vers le moteur de liens torrents Kickass Torrent (donc potentiellement contrevenants). Celle-ci a été étouffée dans l’œuf, puisque le réseau social a finalement déclaré qu’il s’agissait d’une simple « erreur ».
Une seconde affaire néanmoins, reste plus polémique. Il s’agit cette fois-ci d’un internaute ayant publié sur son compte Twitter @555µHz, des captures d’écrans du film américain « Top Gun » de Tony Scott, sorti en 1986. L’internaute diffusait, à intervalles réguliers de 20 minutes, le film Top Gun image par image. Il était déjà suivi par plus de 2000 followers.
Une demande de retrait dans les formes
La société Paramount Pictures, productrice du film et détentrice des droits, a donc effectué une demande de retrait auprès du réseau social. Celle-ci a enjoint Twitter de retirer une quantité de ces captures d’écran, en les désignant expressément par écrit. Twitter notifié s’est donc vu dans l’obligation de s’exécuter. Il a également procédé à la suspension du compte de l’internaute en question.
En effet, selon ses conditions générales d’utilisation, articles 8 et 9, « Twitter respecte les droits de propriété intellectuelle d’autrui et s’attend à ce que les utilisateurs des services en fassent de même ». « Nous nous réservons le droit de supprimer les contenus présumés contrefaisants sans préavis, à notre seule discrétion, et sans engager notre responsabilité envers vous. Lorsque les circonstances le justifient Twitter sera également en droit de résilier le compte d’un utilisateur si l’utilisateur est considéré à plusieurs reprises comme contrefacteur » précise le site internet.
Une publication nuisible ?
On peut s’interroger dans un premier temps sur la véritable contrefaçon de l’œuvre. S’il est communément admis aux Etats-Unis, que la société ou la personne détentrice des droits sur un film, une émission de télévision, un jeu vidéo ou une diffusion web, jouisse également des droits sur les captures d’écrans ou screenshots issus de ces formats, et sur leur exploitation, on peut s’interroger sur l’atteinte réelle qui est portée au détenteur de droits dans le cas des publications de @555µHz.
Si l’on considère l’ancienneté du film, la cadence à laquelle ont été publiées les images, mais aussi le fait qu’elles étaient fournies sans le son, et enfin qu’il n’en était fait aucune utilisation commerciale, on peut envisager que les faits de représentaient aucune menace pour la société Paramount Pictures. On pourrait également invoquer l’exception du fair-use mais celle-ci ne joue normalement que sur les circonstances informationnelles, pédagogiques, scientifiques, ou pour la transcription partielle du contenu. Cette dernière dimension pourrait être ic mobilisée, mais elle est discutable puisque le contenu avait autant vocation a être distribué au compte-goutte que dans son intégralité ! La quantité publié par jour du contenu est réellement insignifiante puisqu’il doit s’agir de quelques secondes tout au plus mais en effet la finalité était de diffuser toutes les images du film (ou quasiment, la définition n’étant pas de 24 images par secondes, comme le film original, mais légèrement inférieure). Quelques secondes, c’est le temps d’un gif animé. Un internaute agrémentant sa circulation sur la toile de gifs animés, et en changeant régulièrement, utilisant les séquences consécutives d’un même film serait-il inquiété ?
Qui plus est la publication d’images telle que l’a effectuée @555µHz ne semble rien par rapport à la mise à disposition des films en intégralité sur les plateformes de torrent… On peut donc se demander si cette demande de retrait n’est pas futile.
Mais il est peut-être bon de réfléchir, au vu des quelques milliers de followers du compte en question, en terme d’image, sans mauvais jeu de mot. En effet la Paramount Picture pouvait-elle tolérer de voir « distiller » son film au compte-goutte, au vu et su de tous (ou du moins d’un certain nombre) sans réagir ? Si nul n’ignore que les téléchargements illégaux existent et qu’ils sont nombreux, ces derniers s’effectuent néanmoins dans l’intimité de la sphère privée de chacun. Alors que dans notre cas, il y a en quelque sorte une violation publique du patrimoine de la Paramount, qu’elle ne peut laisser passer…
On peut d’ailleurs s’interroger sur les motivations de l’internaute. Etait-il juste un fan qui voulait faire partager sa passion, pensant son geste inoffensif, ou une personne agissant par provocation ? Nos informations ne nous permettent pas de nous prononcer sur ce point.
Une situation inextricable ?
Mais le fait est que le compte de l’utilisateur contrevenant a finalement été réhabilité par Twitter. La firme estimant sans doute qu’il était inutile de le condamner définitivement sachant qu’il pourrait aisément en rouvrir un autre et recommencer son activité, autant de fois qu’il le souhaiterait …
La législation américaine applicable aux hébergeurs, veut qu’un intermédiaire stockant sur ses serveurs un contenu lui étant signalé comme illicite agisse s’il ne veut pas voir sa responsabilité engagée. C’est ce qu’on appelle le « notice and take down » : une notification, un retrait. Mais la législation n’impose pas d’obligation générale de surveillance à l’hébergeur. Celui-ci n’est dans l’obligation de retirer que les contenus notifiés. La réouverture du compte, qui pourra permettre à l’utilisateur de publier à nouveau des images de son film préféré, contraindra donc la Paramount a réeffectuer une notification pour chaque contenu qu’elle souhaite voir retirer.
Voilà donc comment on se retrouve dans une situation inextricable. La base de cette affaire est absurde : une publication dont on peut à la base questionner l’intérêt, un danger tout relatif pour l’ayant droit, et un hébergeur qui, s’il n’est pas récalcitrant, agit de manière délibérée pour la minimisation de ses responsabilités.
Qui s’épuisera donc le premier : l’utilisateur, de voir toutes ses publications supprimées, le producteur de devoir notifier une à une chaque image, ou le réseau social de collectionner les demandes de retrait et de devoir à chaque nouvelle demande, exécuter avec précision le retrait demandé ?
Ne verra-t-on la responsabilité d’aucun acteur accentuée ou une certaine automatisation technologique arriver à réduire ce genre de problèmes ?
Sources :
BERNE (X), “Twitter suspend un compte diffusant le film «Top Gun» image par image”, Pcinpact.com, publié le 27 février 2014, consulté le même jour, disponible sur <http://www.pcinpact.com/news/86196-twitter-suspend-compte-diffusant-film-top-gun-image-par-image.htm>
CHAMPEAU (G), “Paramount interdit que Top Gun soit tweeté image par image”, Numérama.com, publié le 26 février 2014, consulté le 27 février 2014, disponible sur <http://www.numerama.com/magazine/28582-paramount-interdit-que-top-gun-soit-tweete-image-par-image.html>
Anonyme, “Twitter interdit les liens vers un site BitTorrent”, Numérama.com, publié le 21 février 2014, consulté le 24 février 2014, disponible sur <http://www.numerama.com/magazine/28507-twitter-interdit-les-liens-vers-un-site-bittorrent.html>