Face à l’afflux de mouvements djihadistes sur le Net, une nouvelle loi antiterroriste semble avoir fait rapidement l’unanimité au sein du Parlement.
Ces derniers mois, un constat alarmant touche notre société de près. 900 serait le nombre de français partis faire le Djihad en Syrie ou en Irak. Dans toute l’Europe, ce nombre est environ multiplié par deux. L’objectif de l’Etat Islamiste est clair : recruter un maximum de personnes pour se battre à leur côté. Pour cela, leur méthode est simple et consiste à utiliser Internet et en particulier les réseaux sociaux. Leurs cibles sont bien définies. Il s’agit de jeunes hommes ou de jeunes femmes, âgés de 14 à 22 ans. Ils viennent de milieux sociaux différents et la majorité n’a pas eu d’éducation religieuse. Néanmoins, l’étude de leur profil permet d’isoler quelques caractéristiques communes. Ces victimes sont des jeunes perdus qui recherchent une identité. Leur recrutement se fait par le biais de propagande. Des images sont diffusées sans cesse sur Internet et sur les réseaux sociaux vantant les mérites de la « Guerre Sainte ». L’endoctrinement commence implicitement à partir de ce moment là.
Ces nombreux cas ont mis en évidence le fait qu’Internet est un moyen très efficace pour faire basculer les jeunes dans ce délire sectaire. Les politiques sont donc décidés à répondre à cette problématique préoccupante pour de nombreuses familles qui se retrouvent impuissantes, face à cette organisation parfaitement mise en scène. En effet, le gouvernement a décidé de lancer une procédure d’urgence afin d’enrayer ce phénomène. Ainsi, un projet de loi antiterroriste a vu le jour au mois de septembre 2014, comportant un volet numérique. Le projet prévoit notamment comme mesure phare le blocage administratif de site Internet incitant aux actes terroristes. Celui ci a rapidement été accueilli par le Parlement. Après une première lecture, le texte a déjà été adopté par l’Assemblée Nationale le 15 septembre. A son tour, le Sénat a voté un nouvel amendement le 15 octobre qui prévoit le déréférencement des sites qui incitent ou prônent le djihad sur les moteurs de recherche. Néanmoins, les moyens mis en place par cette loi sont jugés comme toujours inefficaces pour certains voire dangereux pour d’autres.
Le blocage administratif de site Internet faisant l’apologie du terrorisme jugé comme difficile à mettre en œuvre
Face à ce phénomène, le projet de loi prévoit donc le blocage administratif de site Internet incitant aux actes terroristes. Cela signifie que le blocage aurait lieu sans décision de justice. Aucun accord préalable du juge ne serait sollicité. Ainsi, une autorité administrative pourrait simplement demander à l’hébergeur ou à l’éditeur du site en cause le retrait de ce dernier dans les 24 heures. Si il y a un refus de répondre ou si aucune réponse n’est apportée, alors le Fournisseur d’Accès Internet (FAI) devra bloquer le site.
Les techniques de blocage seraient multiples. La première consisterait pour les FAI à bloquer une adresse IP. Le site étant bloqué, l’accès par les internautes est impossible. Le problème est que, quelques fois, plusieurs sites se partagent la même adresse IP. Donc certains sites, n’ayant rien à voir avec des contenus terroristes, pourront être inaccessibles. Le blocage pourrait alors intervenir au niveau des serveurs DNS (les annuaires Internet). L’adresse URL deviendrait alors inaccessible. De la même manière, tout le site serait bloqué et pas seulement la page en cause. Enfin, une dernière solution serait que les FAI contrôleraient les pages qu’ils mettent à disposition de leurs clients. Mais, la procédure serait coûteuse et certains estiment qu’elle provoquerait une atteinte pour la stabilité du réseau.
Au niveau européen, afin de garantir le succès du projet de loi, une réunion des ministres de l’intérieur européens a eu lieu avec les « géants du Web » (Facebook, Twitter, Microsoft et Google). En effet, face à la facilité de diffusion des images de décapitation des journalistes et des images de violence en général sur ces plateformes, il leur a été demandé de coopérer afin de lutter contre la propagande et le recrutement des djihadistes. Ainsi, des comptes ont déjà été fermés sur des réseaux sociaux, lorsque des propos lançant des appels à la violence étaient visibles. Cependant, aucune surveillance n’est effectuée et la fermeture du compte n’intervient que lorsque le contenu est signalé par un internaute. Dès lors, lorsqu’un compte est fermé, un autre prend presque automatiquement le relais pour répandre la parole djihadiste et relayer les mêmes images. Ainsi, même si plus de personnels seront, sans doute, recrutés pour traquer le contenu de ces comptes, il apparaitrait plus efficace de remonter directement à ceux qui propagent ces discours fondamentalistes. Or, il est quasiment impossible d’établir le profil d’un cyber-djihadiste.
En réalité, ces mesures sembleraient facilement contournables et donc largement inefficaces.
Une mesure de blocage contestée par les défenseurs des libertés numériques
La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 réprime déjà les contenus faisant l’objet d’apologie de crimes contre l’humanité, d’incitation à la haine raciale ou de pédopornographie. La loi Loppsi 2 sur la sécurité intérieure de 2011, qui prévoyait le blocage de site pédopornographique sans autorisation du juge au préalable, avait déjà fait l’objet de controverses. Elle devait, dans un premier temps, être expérimentée mais n’a jamais été mise en œuvre, faute de décret d’application. Néanmoins, le gouvernement se décide à l’appliquer en matière de terrorisme. Face à l’urgence d’intervenir, le blocage rapide de ces sites a donc été préconisé par les politiques, afin d’éviter la radicalisation de ces jeunes le plus tôt possible.
Il faut préciser que des « gardes fous » ont été mis en œuvre afin de lever le risque d’atteinte à la liberté numérique. En effet, une personne qualifiée nommée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pourra exercer un pouvoir de recommandation sur l’autorité administrative qui décidera de bloquer un site Internet. En cas de non respect de celle ci, le juge administratif pourra intervenir. Par ailleurs, l’autorité administrative sera chargée de procéder à l’effacement du site litigieux auprès de l’hébergeur ou de l’éditeur, avant de le bloquer directement.
Pour autant, la loi antiterroriste est considérée comme dangereuse du fait qu’aucune décision de justice préalable ne vienne analyser les circonstances de blocage du site. La présence du juge n’est pas requise. Cela apparaît comme étant discutable en matières de libertés numériques et de liberté d’expression, pour certains. L’excessivité de la mesure serait alors perçue comme une atteinte à la démocratie. Ces méthodes peuvent s’apparenter à de l’espionnage « à l’américaine », système dans lequel toute la population finit par en faire l’objet.
De plus, les défenseurs du net revendiquent que la lutte contre le terrorisme ne doit pas pouvoir permettre à une autorité administrative d’aller à l’encontre des libertés publiques. Ils considèrent également que les répressions anti terroristes existent déjà dans nos lois actuelles. Et ce n’est pas des lois nouvelles qui empêcheraient les actions de radicaux tels que Mohamed Merrah ou Medhi Nemmouche. L’absence de débat du projet de loi au Parlement et la rapidité de son adoption font apparaître des failles dans sa mise en œuvre. Ainsi, la loi antiterroriste aurait pour seul fondement la peur et l’émotion des politiques face à ces « suicides » massifs et très bien préparés de jeunes français en quête d’identité. Or, ces procédures d’urgence n’auraient pas fait leur preuve de manière positive dans le passé.
Certains avancent également l’argument selon lequel les candidats au djihad pourront être détectés facilement grâce à des sites qu’ils auront consultés ou des comptes qu’ils auront rejoints. Ce suivi ne sera donc plus possible si le blocage est la solution mise en place automatiquement.
Toujours est-il que le cyber-djihadisme est pris au sérieux par l’Etat, au point que les gouvernants sont sur le point de franchir une nouvelle étape en matière de censure sur Internet.
Sources :
ANONYME, « La loi antiterroriste devant le Sénat : l’urgence est mauvaise conseillère », laquadrature.net, mis en ligne le 9 octobre 2014, consulté le 11 octobre 2014, <https://www.laquadrature.net/fr/la-loi-antiterroriste-devant-le-senat-lurgence-est-mauvaise-conseillere>
ANONYME, « Terrorisme : un projet de loi dangereux », lemonde.fr, mis en ligne le 15 septembre 2014, consulté le 9 octobre 2014, <http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/15/terrorisme-un-projet-de-loi-dangereux_4487639_3218.html>
FERRAN (B.) et RONFAUT (L.), « Loi antiterroriste : le blocage des sites scandalise les défenseurs du net », lefigaro.fr, mis en ligne le 18 septembre 2014, consulté le 11 octobre 2014, <http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/09/18/01007-20140918ARTFIG00190-loi-antiterroriste-les-defenseurs-du-net-denoncent-la-volte-face-du-ps.php?cmtpage=0#comments-20140918ARTFIG00190>
SEIBT (S.), « Jihad 2.0 : Google ou Facebook sont-ils impuissants ? », france24.com, mis en ligne le 8 octobre 2014, consulté le 9 octobre 2014, <http://www.france24.com/fr/20141008-facebook-google-jihad-reunion-europe-lutte-commission-internet-propagande-etat-islamique-decapitation/>
UNTERSINGER (M.), « L’impossible et controversé blocage des sites Internet djihadistes », lemonde.fr, mis en ligne le 13 septembre 2014, consulté le 9 octobre 2014, <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/09/13/l-impossible-et-controverse-blocage-des-sites-internet-djihadistes_4486788_4408996.html