La diffusion du sport à la télévision est aujourd’hui relancée par une concurrence accrue qui nuit à la télévision en clair.
La guerre liée à la diffusion des droits du Top 14 a pris fin en ce mois d’Octobre. La cour d’appel de Paris a confirmé une décision, prise en Juillet dernier, par l’Autorité de la Concurrence selon laquelle le contrat de diffusion du Top 14 passé pour cinq ans, entre Canal Plus et la ligue nationale de rugby était suspendue. La juridiction avait été saisie par Bein Sports qui s’estimait lésée par les conditions des droits d’attribution du Top 14 pour les saisons de 2015 à 2019.
Une entente anticoncurrentielle entre Canal Plus et la Ligue Nationale de Rugby
Dès septembre 2013, des discussions ont eu lieu entre la chaîne Canal Plus et la Ligue Nationale de Rugby (LNR). La ligue souhaitait revaloriser de manière conséquente, par le biais d’un nouveau contrat, le tarif donnant l’exclusivité des droits de diffusion des matchs à Canal Plus.
Cet accord n’étant pas intervenu, la LNR décida de suspendre le contrat qui la liait à Canal Plus et lança en décembre 2013 un appel d’offres, pour un contrat d’une durée de quatre ans. La chaîne Française engagea alors, des poursuites judiciaires contestant la rupture du contrat. C’est ainsi que, par crainte de devoir faire face à une audience judiciaire, la LNR interrompit de façon brutale la procédure d’appel d’offre le 10 janvier 2014 alors que, la date de dépôt des offres était fixée au 13 janvier de la même année. Le 11 janvier 2014, des négociations exclusives reprirent entre la LNR et Canal Plus donnant naissance à un nouveau contrat attribuant à la chaîne l’intégralité des droits audiovisuels pour les matchs du Top 14 pour une durée de cinq ans. Or, en interrompant cet appel d’offre, la LNR n’a pas permis à Bein Sports mais aussi à d’autres chaînes de faire une offre.
C’est pourquoi, la chaîne Qatarienne s’estimant lésée, saisit alors l’Autorité de la Concurrence pour cette pratique discriminatoire sur le fondement de l’article L464-1 du code de commerce. La juridiction accueillit cette demande, déclara une entente anticoncurrentielle entre Canal Plus et la LNR entraînant la rupture du contrat du 14 janvier 2014 pour atteinte grave et immédiate au secteur de la télévision payante.
Il est bien entendu impossible de parler de cette affaire sans évoquer le rôle du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), qui occupe une place centrale au sein des médias. L’autorité de la concurrence avait saisi l’organe pour avis, dans cette affaire, comme l’exige l’article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986. Selon lui, la négociation de gré à gré entre la LNR et Canal Plus, a permis à ce dernier d’acquérir en priorité et en exclusivité totale les droits de diffusion du Top 14 excluant toute pression concurrentielle pour Bein Sports.
Au final, une nouvelle attribution des droits pour le 31 mars 2015 au plus tard est attendue. Elle devra se faire par une mise en concurrence transparente et non discriminatoire selon le souhait de l’Autorité de la Concurrence. Par ailleurs, la durée du contrat ne devra pas être disproportionnée.
Un défi pour le régulateur d’un équilibre entre chaîne payante et chaîne gratuite
Le marché du sport télévisé à travers cette affaire montre sa place prépondérante au sein des chaînes payantes. En effet, le sport et la télévision ont des relations économiques basées sur un intérêt commun. Le sport permet au secteur télévisé un gisement d’audience mais également des recettes publicitaires élevées. Par ailleurs, la télévision assure la promotion du sport professionnel.
Ce marché est encadré directement par le CSA. Ce dernier prend aussi bien en compte les attentes des acteurs de la diffusion audiovisuelle de programmes sportifs que celles des téléspectateurs en protégeant l’accès du plus large public aux grands événements sportifs. Il veille ainsi à une large diversité de programmations des différentes disciplines sportives. Cependant, si on s’intéresse aux programmations des chaînes payantes et gratuites, on s’aperçoit qu’un réel clivage existe. Une étude de NPA conseil démontre que les chaînes gratuites ont diffusé 50 heures de sport en moins sur un an et moitié moins de football.
Ce problème trouve son origine dans la crise économique apparue en 2009 qui a frappé de plein fouet les acteurs de la télévision gratuite. Certains droits sportifs parmi les plus attractifs tel que la Ligue des Champions de Football ou le Championnat du Monde de Formule 1 ont progressivement migré des chaînes gratuites vers les chaînes payantes. Avec le système d’appel d’offres mis en place pour répondre au jeu de la concurrence, la télévision a du débourser des sommes d’argent colossales pour s’offrir l’exclusivité de retransmissions des plus grandes compétitions sportives. Forcément, certaines chaînes telles que TF1 et M6 se sont désengagées à cause d’un budget insuffisant.
Mais pour les chaînes payantes, ces diffusions sont devenues vitales, leurs permettant de conserver leurs abonnés voir même d’en augmenter le nombre. Effectivement, le développement d’offres payantes a multiplié par neuf le volume des horaires de diffusion des programmes sportifs entre 1995 et aujourd’hui ; d’où, l’existence d’une rude bataille pour l’obtention des droits sportifs. Canal Plus dépense environ 600 millions d’euros par an pour le sport. Pour le rugby, la contribution représente environ 25% du budget des clubs.
La bataille continue ! Le redoutable concurrent de Canal Plus a remporté les droits de diffusion de la coupe d’Europe de Football 2016 en signant un chèque de soixante millions d’euros pour pouvoir diffuser l’intégralité des 51 matchs. Le tout payant n’est pas pour autant totalement acquis puisque TF1 et M6 débourseront 25 millions d’euros chacun pour pouvoir diffuser 11 affiches. Cette nouvelle ne fait qu’aviver les craintes quant à la diffusion du sport à la télévision.
Médias et sport sont devenus complémentaires et indissociables ; mais, dans ce système ou les montants des droits de diffusion ne cessent de croître, il semble difficile de trouver un équilibre entre les deux types de chaînes. Le décret de 2004 pris par la Commission Européenne semble obsolète ; la liste événements majeurs devant être diffusée à la télévision en clair est devenue insuffisante. Il semblerait opportun qu’un nouvel équilibre soit mis en place notamment par la contribution du CSA afin que la télévision en clair ne soit pas désertée par le sport.
Sources :
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