Le porno vengeur, ou, quand les histoires d’amours finissent très mal (en général).
Le terme de porno vengeur est bien plus connu sous son expression anglaise de revenge porn ou encore de revenge love pour les plus romantiques. Si ce terme vous est d’ores et déjà familier, rien de surprenant : le porno-vengeur désigne l’un des fléaux qui agitent de plus en plus la toile. Le principe est simple : diffuser sur internet des photos ou vidéos intimes de son ex-partenaire, sans son consentement, pour se « venger » d’une fin de relation difficile. Comme une sorte d’effet de mode malsain, ce qu’on pourrait désigner comme la vengeance des ex 2.0, prend une ampleur considérable. Aujourd’hui, les possibilités de diffuser des images sur internet sont multiples : des réseaux sociaux jusqu’aux sites malveillants spécialisés dans le revenge porn, tout est bon pour humilier son ex-partenaire. Face à ce phénomène de société inquiétant et aux effets dévastateurs, plusieurs pays ont déjà adopté des lois sur mesure afin de lutter contre l’une des branches de la cyber-vengeance. En France à ce jour, seul l’article 226-1 du code pénal relatif à la vie privée ouvre la possibilité de punir les auteurs d’un tel acte.
A l’étranger, les lois anti revenge porn se multiplient
Le mois d’octobre aura été riche en actualité pour les partisans de la lutte contre la cyber-vengeance. Tout d’abord, le 1e octobre la Californie a renforcé sa loi en la matière. Un an après son adoption, la loi californienne anti revenge porn prévoit désormais que les auteurs des faits sont passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et incrimine dorénavant la diffusion des selfies (autoportrait). En dix ans, les États-Unis ont ainsi vu plusieurs de leurs États légiférer en la matière et cela dès 2004 avec l’État du New Jersey assimilant alors l’acte à une infraction sexuelle. S’en sont suivi par exemple les États de l’Alaska, du Texas, ou encore de la Floride. Aujourd’hui, un certain nombre de lois sont en cours d’examens dans plusieurs autres États, parmi lesquels l’État de New York.
Au delà des États-Unis, l’Australie a aussi dernièrement adopté une loi luttant contre le porno vengeur. De même pour Israël où une loi existe depuis janvier 2014. La loi israélienne assimile ainsi le revenge porn à un viol virtuel et punit l’acte de cinq ans d’emprisonnement.
Si d’un État à l’autre, les lois anti revenge porn peuvent être très différentes quant à l’incrimination, c’est bien souvent suite à des affaires médiatisées que les gouvernants décident d’agir. Le dernier exemple en date est celui de l’Angleterre. La prise de conscience intervient quelques mois après le suicide d’une jeune anglaise victime du phénomène. De ce drame est né un mouvement, baptisé « ban revenge porn in the UK » (bannir la revanche par le porno au Royaume-Uni), dans le but de militer notamment pour l’adoption d’une loi en ce sens. C’est au début du mois d’octobre que le secrétaire d’État à la justice du royaume, Chris Grayling, a annoncé qu’un projet de loi contre le revenge porn était examiné. Ce projet de loi définit ainsi la pratique comme une infraction pénale passible de deux ans d’emprisonnement.
De même, il se pourrait bien que le Japon envisage aussi la question après que la justice ait condamné Facebook, la semaine dernière, à divulguer les adresses IP de deux utilisateurs ayant pratiqué du revenge porn sur le réseau social.
En France, le phénomène semble prendre une certaine ampleur même s’il reste encore limité. Jusqu’ici, trois affaires de cyber-vengeance relatif à des pornos vengeurs se sont retrouvées devant les tribunaux français et toutes ont été jugées au titre de l’article 226-1 du code pénal.
En France, des condamnations au titre de l’article 226-1 du code pénal
L 226-1 du code pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : (…) en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. (..) Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé».
Cet article n’est donc pas strictement relatif à l’hypothèse du revenge porn mais permet cependant de l’envisager et de le condamner. Pour autant, les trois affaires, qui dans les faits sont similaires, n’ont pas été jugé de la même façon.
Dans une première affaire en date de 2013, les juges du fond ont relaxé le prévenu alors que celui-ci avait posté des vidéos intimes de son ex-femme sur la page facebook du nouveau compagnon de cette dernière. En avril 2014, un homme a été condamné à six mois de prison avec sursis et 2500€ de dommages et intérêts après avoir publié une vidéo de ses ébats sexuels avec son ex partenaire sur un site gratuit à caractère pornographique. Enfin, quelques jours après, un homme a été condamné à douze mois de prison avec sursis après avoir diffusé sur des réseaux sociaux et des sites de rencontres des photos de intimes de son ex-partenaire tout en précisant son adresse et son nom.
Ici, force est de constater que les sanctions peuvent être très différentes selon l’appréciation du juge et que les modalités de la loi existante sont en réalité insuffisantes en la matière.
Une loi française insatisfaisante face au cas spécifique du porno vengeur
En effet, l’article L 226-1 du code pénal semble pouvoir jouer seulement dans le cas où l’image diffusée est prise dans un lieu privé. Or, cette notion en droit français est particulièrement changeante et ne prend pas en compte les images prises dans les lieux publics comme par exemple les parkings ou les parcs. Il ne reste alors qu’une procédure civile sur la base de l’article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée de chacun.
De plus, l’article L 226-1 du code pénal prévoit que le consentement de la personne, dont l’image est utilisée, est présumé si celle-ci ne s’y est pas opposée alors qu’elle était en mesure de le faire. Il s’agit ici d’une disposition particulièrement floue et qui une fois de plus ne convient pas forcement à la victime d’un porno vengeur. D’abord parce-que la découverte d’une diffusion d’une image peut être longue, surtout sur internet. Ensuite parce-que certaines victimes, du fait du traumatisme, n’oseront même pas s’y opposer de peur d’aggraver encore plus la situation. Enfin, il faut que la victime réussisse à apporter la preuve qu’elle s’est opposée à la diffusion mais là encore cela n’est pas chose aisée.
Dans ces hypothèses, cela voudrait dire que l’auteur de porno vengeur ne serait sans doute pas condamné, du moins pénalement. Le débat se trouve donc dans le fait de savoir si une loi consacrée au porno vengeur est ou non opportune. D’un côté, cela permettrait d’envisager l’ensemble des possibilités et de disposer d’une protection et d’une réparation renforcée des victimes. D’un autre côté, si on adopte une vision plus large, on peut aussi penser que les comportements répréhensibles sur internet sont tellement nombreux, qu’il relève presque de l’impossible pour le législateur de tout envisager et qu’il vaudrait alors mieux essayer de formuler des lois générales et d’éviter d’agir au cas par cas ; sans parler du fait que la multiplication des règles de droit nuit à la compréhension et à l’accessibilité du droit en lui-même.
Cependant, il est du rôle et du devoir du législateur de sanctionner un tel comportement, particulièrement à l’ère du numérique. La diffusion d’une image ou d’une vidéo y est quasiment irréversible tant les moyens (légaux ou non) pour supprimer toutes traces d’une publication sont difficiles et prennent du temps. De plus, c’est sans compter qu’internet permet à ses utilisateurs d’enregistrer et de conserver tout contenus diffusés sur la toile si bien qu’il devient vite impossible de contrôler leurs diffusions.
Dans ce contexte, on comprend alors que certains États assimilent le revenge porn à une infraction sexuelle à part entière tant le préjudice subit par la victime peut être important. Violation de la vie privée, certes, mais en France, l’infraction prévue, en plus d’être incomplète, est-elle vraiment à la hauteur du préjudice subit ? Autrement dit, les affaires de revenge porn ne devraient-elles pas être considérées comme des infractions à caractères sexuelles ? Aux vues des répercutions sur la victime, le débat est nécessaire mais la solution urgente.
SOURCES :
– ANONYME, « Facebook condamné à transmettre des adresses IP au Japon », lexpress.fr, mis en ligne le 21 octobre 2014, consulté le 24 octobre 2014, http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/revenge-porn-facebook-condamne-a-transmettre-des-adresses-ip-au-japon_1613861.html
– BOWCOTT (O.), «Revenge porn to be criminal offense with treat of tow years in jail», theguardian.com, mis en ligne le 12 octobre 2014, consulté le 17 octobre 2014, http://www.theguardian.com/culture/2014/oct/12/revenge-pornography-criminal-offence
– DARRIERE (R.), «Publication non consentie de photos et vidéos « intimes » sur internet : Comment protéger efficacement sa réputation contre le « revenge porn » ? », village-justice.com, mis en ligne le 15 septembre 2014, consulté le 24 octobre 2014, http://www.village-justice.com/articles/Publication-non-consentie-photos,17744.html#U9Ci0qQWJkfdfquJ.99
– DOUCET (D.), « Revenge porn : un plat qui se mange très chaud », lesinrocks.com, mis en ligne le 5 mai 2014, consulté le 14 octobre 2014, http://www.lesinrocks.com/2014/05/05/actualite/revenge-porn-11501294/
– LEDIT (G.), « La Grande-Bretagne s’attaque au ‘‘revenge porn’’ », lemouv.fr, mis en ligne le 13 octobre 2014, consulté le 14 octobre 2014, http://www.lemouv.fr/article-la-grande-bretagne-s-attaque-au-revenge-porn