C’est officiel, le gouvernement travaille actuellement sur un projet de réforme des règles anti-concentration qui régissent les médias et le milieu audiovisuel. En effet, l’actuel dispositif serait devenu obsolète, dépassé par l’explosion des nouveaux modes de consommation de l’information et du divertissement, à l’heure d’internet, des SMAD, et de la crise de la presse.
Les anciens dispositifs anti-concentration
Le législateur est intervenu dans les années 80 au sujet des risques de concentration dans les médias, et en premier lieu dans le secteur de la presse écrite. Une première loi du 23 octobre 1984 fut proposée à l’époque par M. Pierre Mauroy. Celle-ci imposait qu’un même groupe ne puisse pas contrôler plus de 15% de part de marché des différents quotidiens existants, et visait très spécifiquement le groupe Hersant, car ce dernier possédait près de 50% de la presse, répartie entre les quotidiens nationaux et régionaux. Même si elle obligea le géant médiatique à scinder son groupe en deux pour se mettre en conformité avec la législation, cette loi dite « anti-Hersant » resta malgré tout très peu appliquée. Le législateur assouplira même quelques années plus tard ces règles relatives à la transparence et à la concentration, en unifiant le seuil anti-concentration à 30% pour toutes les publications de même nature sur le plan national. Cette loi du 1er août 1986 sera complétée par la loi du 27 novembre 1986, qui permit de prendre en compte les prises de participation indirectes en plus des prises de participation directes dans le dispositif anti-concentration.
Différents seuils anti-concentration furent également mis en place concernant les médias audiovisuels en 1986, grâce à l’adoption de la loi Léotard, relative à la liberté de communication. L’article 39 de cette loi disposait qu’une même personne physique ou morale ne pouvait détenir plus de « 25% du capital ou des droits de vote d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service national de télévision ». Mais suite à différentes modifications de la loi(Notamment avec la loi du 1er février 1994, et celle du 1er août 2000), l‘article 39 dispose désormais qu’ « une même personne physique ou morale agissant seule ou de concert ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49% du capital ou des droits de vote d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre dont l’audience moyenne annuelle par un réseau de communications électroniques, … tant en mode analogique qu’en mode numérique, dépasse 8% de l’audience totale des services de télévision ». C’est la règle dite des « 49% ».
Il existe également dans la loi de 1986 un dispositif concernant l’édition d’un même groupe sur plusieurs médias à la fois. C’est la règle des « 2 sur 3 » : autrement dit, un éditeur ne peut se trouver que dans deux situations seulement parmi les trois suivantes :
– Éditer un ou plusieurs services de télévision hertzienne desservant au moins 4 millions d’habitants.
– Éditer une ou plusieurs stations de radio touchant au moins 30 millions d’habitants.
– Éditer ou contrôler des quotidiens d’information politique et générale, couvrant une zone de diffusion au moins égale à 20% de la diffusion totale des publications de même nature.
Ces trois situations pré-citées concernent le niveau national, mais elles existent également au niveau local, avec des seuils plus restreints et adaptés au bassin d’audience susceptible d’être touché à ce niveau.
Un dispositif critiqué par les acteurs de l’audiovisuel
Toutes ces interventions avaient comme principale finalité la garantie du pluralisme. En effet, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1982 dispose que « Les citoyens ont droit à une communication audiovisuelle libre et pluraliste ». De plus, le pluralisme a été consacré en tant que principe constitutionnel à plusieurs reprises par le Conseil Constitutionnel. Il existe deux volets de la garantie du pluralisme : Tout d’abord, la protection du pluralisme interne, qui assure la représentation des différentes opinions au sein d’un même groupe, et enfin la protection du pluralisme externe, qui recherche la pluralité des organes et des supports d’information. En clair, il faut à tout prix éviter une situation de monopole de la part d’un grand groupe, qui serait seul à détenir la quasi totalité des différents supports médiatiques. Le risque le plus important étant une manipulation de l’opinion publique, et une non représentation de tous les courants de pensées.
Or le paysage audiovisuel a beaucoup changé depuis que ces règles anti-concentration ont été élaborées. En effet, les seuils prévus dans les années 80 ne concernaient que les services diffusés par voie hertzienne, omettant toutes les nouvelles formes de diffusion apparues dès lors. Néanmoins, il est vrai que le système a été étendu à la télévision numérique, mais sans prendre en considération ses spécificités techniques … De plus, l’évolution de la démographie française n’a pas non plus été prise en compte depuis la création de ces seuils. Leur raison d’être est donc coupée de toute réalité pratique.
Le pluralisme en danger ?
Les différents acteurs de l’audiovisuel ont de nombreuses fois tiré la sonnette d’alarme afin de demander un assouplissement des règles anti-concentration dans les médias. Ces derniers revendiquent le droit d’être aussi concurrentiels que leurs homologues internationaux, de pouvoir s’adapter aux nouveaux usages, et se développer sans restrictions. Dernièrement, le président de TF1 M. Nonce Paolini s’était adressé à l’ancienne Ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, pour dénoncer ce carcan réglementaire devenu obsolète.
C’est dans cette optique que le gouvernement, et notamment le Ministre de l’économie M. Emmanuel Macron, se sont penchés sur cette problématique, à l’occasion d’une proposition de loi sur la presse qui devrait être présentée en décembre 2014 devant le Parlement. Le gouvernement a donc consulté le CSA en vu de cette future réforme du dispositif lors d’une séance plénière. En effet, le CSA a pour rôle de rendre des avis sur les projets de loi ayant trait à l’audiovisuel, ce dernier devant être étroitement lié à toute réflexion sur de possibles réformes de ce secteur.
Or, à force d’assouplir les règles anti-concentration dans les médias, on est en droit de se demander si le pluralisme n’est pas face à un réel danger ? Toute la difficulté réside dans le fait que les médias doivent pourtant s’ouvrir à différentes sortes de support pour rester viables économiquement. La crise de la presse écrite oblige notamment les journaux à s’exporter vers internet, mais enjoint également les sociétés à reconsidérer les autres modes de transmission, tels que la radio ou la télévision. Il n’est pas insensé d’envisager qu’un même groupe ait la volonté de s’établir sur les différents supports médiatiques qui sont mis à la disposition des consommateurs. C’est une logique de diffusion et de développement des différents groupes compréhensible. En ce sens, les règles des « 2 sur 3 » et des « 49% » peuvent alors paraître dépassées. Mais cette justification ne cache-t-elle pas une autre réalité ? Celle d’une aubaine pour les grands groupes audiovisuels français d’accroître une fois de plus leur pouvoir et leur domination sur le reste des groupes ? Le pluralisme des courants de pensées et d’opinions n’est-il pas en train d’étouffer sous le poids de certains groupes tentaculaires ? La question reste pour le moment en suspens, dans l’attente d’un examen plus approfondi de cette réforme et de ses conséquences sur le monde audiovisuel.
SOURCES :
ANONYME, « Le respect du pluralisme du paysage hertzien numérique », culturecommunication.gouv.fr, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 18 novembre 2014, <http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-secteurs/Audiovisuel/Sous-Dossiers-thematiques/La-television-numerique-terrestre-TNT/Le-cadre-juridique-de-la-TNT/Le-respect-du-pluralisme-du-paysage-hertzien-numerique
POUSSIELGUE G., « Le gouvernement veut réformer les règles anti concentration dans les médias », lesechos.fr, mis en ligne le 13 novembre 2014, consulté le 15 novembre 2014, <http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203935825383-le-gouvernement-veut-reformer-les-regles-anti-concentration-dans-les-medias-1064022.php?y7sMf603up8oSDZm.99>
SALLE C. ET RENAULT E., « Emmanuel Macron veut desserrer la carcan réglementaire de l’audiovisuel », lefigaro.fr, mis en ligne le 15 novembre 2014, consulté le 18 novembre 2014, <http://www.lefigaro.fr/medias/2014/11/15/20004-20141115ARTFIG00006-emmanuel-macron-veut-desserrer-le-carcan-reglementaire-de-l-audiovisuel.php>