Et si l’humiliation via les nouveaux réseaux de communication tels que les réseaux sociaux Twitter ou Facebook devenait une sanction pénale incontournable ? La sanction est sévère du fait des conséquences d’une telle exposition médiatique. Pourtant, l’idée est testée par des policiers anglais pour la période des fêtes 2014 afin d’empêcher les états d’ébriété au volant ou les personnes sous l’effet du cannabis. En effet, les agents de patrouille routière des comtés du Sussex et Surrey, au sud de l’Angleterre ont pour consigne de tweeter toutes les informations sur les conséquences des arrestations et l’identité de la personne interpellée en état d’ébriété ou sous l’effet du cannabis au volant. Et ceci, sans même attendre la condamnation définitive du tribunal.
La dissuasion efficace de cette sanction publique
Cette forme d’humiliation, atteinte à la vie privée du fait de l’exposition au public des faits concernant ces personnes arrêtées, n’est pas nouvelle. Elle est même très ancienne car elle n’est pas apparue en même temps que l’émergence du web ou de l’ingérence des médias dans la vie privée des personnes. Le retour dans le temps s’arrête au Moyen-Âge où les techniques d’infamie étaient très répandues. Le pilori notamment était une pratique très courante et servait de sanction complémentaire à tout condamné qui était ainsi exposé et moqué durant une heure sur la place publique de la ville afin que tous les habitants puissent voir sur un carcan, ledit condamné avec son identité inscrite au-dessus de lui et les faits pour lesquels il était poursuivi. Cette peine était admise dans l’article 22 du code pénal napoléonien de 1810 et n’a été abolie qu’en 1960 !
Déjà à cette époque, la sanction était dure puisque les personnes étaient publiquement humiliées en fonction des faits pour lesquels elles étaient poursuivies, et même si les conséquences étaient moins graves que l’exil par exemple, les fautifs recevaient une correction très sévère.
A l’heure actuelle, cela peut être très dissuasif de risquer de voir apparaitre sur la toile toutes ces informations, au même titre que l’apparition d’applications sur smartphone qui répertorient par exemple, sur une carte les éventuels nazis en Allemagne, grâce aux indications des utilisateurs (sur ce sujet, voir l’article de James Haillot). D’autant plus que la décision de justice n’ayant pas encore eu lieu pour l’affaire des policiers anglais, le principe de présomption d’innocence apparait vite bafoué.
Une grave atteinte à la présomption d’innocence
Au-delà de l’humiliation publique presque ineffaçable que cette pratique policière entraine, un autre principe internationalement reconnu à tous les individus est ici atteint : c’est le droit à la présomption d’innocence. En effet l’élément le plus marquant de cette affaire est bien que les policiers menacent de publier les noms des personnes suspectées d’avoir commis une infraction routière sans même attendre la condamnation définitive de la justice. En France, c’est une possibilité impensable puisque le droit à la présomption d’innocence est admis par la loi à l’article 9-1 du Code Civil qui dispose que « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, […]et ce, aux frais de la personne physique ou morale, responsable de l’atteinte à la présomption d’innocence. » Donc même si le flagrant délit est avancé par la spécificité de l’infraction routière, le juge français ne peut laisser passer de telles publications sur les réseaux sociaux.
De plus, ce droit est reconnu internationalement par l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de l’ONU, pourtant signée par le Royaume-Uni, qui doit normalement bien contraindre les pays au respect de ce droit individuel. Si ce principe est admis, la pérennité de la méthode anglaise risque d’être remise en cause mais les policiers anglais croient en son efficacité pour dissuader les chauffards des fêtes de fin d’année.
Twitter : le nouveau casier judiciaire de demain ?
C’est bien connu, le web n’efface rien et garde tout en mémoire, de l’historique des pages internet aux commentaires postés sur un blog en passant par les tweets, tout est archivé et peut resurgir à tout moment. Une condamnation même rendue publique n’expose pas autant que les réseaux sociaux qui ont un impact plus grand. Alors en effet, les réseaux sociaux utilisés à cette fin pourraient endosser un rôle similaire à notre casier judiciaire national mais les conséquences ne sont pas les mêmes. De ce fait, le casier judiciaire français, une fois qu’il est complété est un handicap pour tous les individus puisqu’il permet aux autorités de justice et de police de garder une trace de tous les faits incriminés d’une personne. Cette forme de pilori informatisé n’a pas forcément de grandes conséquences au quotidien mais peut être très préjudiciable dans certains cas, notamment pour la recherche d’emploi puisque les employeurs peuvent en demander un extrait à l’embauche. Le casier judiciaire reste néanmoins relativement personnel, et non à la vue de tous. De plus, certaines mentions s’effacent avec le temps et par la demande de non inscription du condamné. Ce relevé des condamnations est un instrument légal respectueux des droits des individus car n’expose pas publiquement le passé pénal de la personne. Ce qui n’est pas le cas des réseaux sociaux, surtout sur Twitter.
Et c’est bien là tout le problème puisque le web est un média puissant et imprescriptible, au même titre que les droits de l’homme. C’est pourquoi la jurisprudence est de plus en plus sévère envers les hébergeurs de sites contenant des informations sur les individus, notamment lorsque les personnes condamnées ont effectué leur peine… Par exemple à l’heure actuelle, Google a reçu 50 000 demandes de suppression de lien de moteur de recherche au nom du droit à l’oubli depuis la mise en service du formulaire en ligne européen en mai 2014 qui est proposé aux internautes suite à la condamnation par la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Par cet arrêt du 13 mai 2014, Google Spain SL, Google Inc. / Agencia Española de Protección de Datos, (commenté par Slim Touhami), un espagnol avait obtenu la suppression des informations répertoriées sur Google qui concernaient la procédure relative à ses dettes réglées depuis longtemps. Google a donc été condamné à déréférencer les informations qui concernaient cet homme car elles étaient inadéquates ou non pertinentes à l’heure actuelle. Avec la mise en place de ce formulaire de déréférencement et toutes les indications explicatives de Google, il est maintenant possible de veiller au respect de son image numérique sur le web mais quant à la volonté des policiers anglais de procéder au lynchage médiatique des chauffards de fin d’année, tout n’est pas réglé.
Une pression sociale décuplée par le web 2.0
Mais si cette pratique policière est tolérée en Angleterre, le risque n’est-il pas que cette exposition médiatique devienne une sanction pénale banale ?
Des excès pourront évidemment apparaitre si jamais cette méthode n’est pas rapidement sanctionnée par la justice puisque plus rien n’empêcherait à l’avenir, les autorités de police, comme les professionnels de la justice, de publier sur Twitter l’identité des suspects arrêtés dans des affaires de pédophilie ? Dans le même sens que l’horreur de l’affaire d’Outreau, ces abus sur les réseaux sociaux entraineraient des conséquences dramatiques pour les personnes suspectées, telle qu’une chasse à l’homme par exemple. C’est par exemple ce qu’il s’est passé à Boston en avril 2013 après les attentats du Marathon où les internautes avaient mené leur propre enquête sur les réseaux sociaux afin de débusquer les terroristes.
Les policiers anglais défendent leur méthode en prouvant que les noms des personnes poursuivies sont déjà publiquement consultables et que Twitter n’aggrave en rien leur cas. Cet argument apparait quelque peu difficile à accepter. Car en effet, à l’inverse de la mémoire humaine, le web a une mémoire infinie donc le droit à l’oubli reste un droit utopique et cette méthode de pilori numérique entrainerait une pression sociale décuplée qui pourrait apparaitre disproportionnée selon les cas.
SOURCES:
CHAMPEAU (G.), « Twitter exploité comme pilori par la police contre l’ivresse au volant », www.numerama.com, publié le 1er décembre 2014, consulté le 12 décembre 2014, <http://www.numerama.com/magazine/31446-twitter-exploite-comme-pilori-par-la-police-contre-l-ivresse-au-volant.html >
ANONYME, « Police in Sussex and Surrey to work together to target drink and drug-drivers », www.surrey.police.uk, publié le 26 novembre 2014, consulté le 12 décembre 2014 <http://www.surrey.police.uk/News/News-Stories/Full-news-story/Article/10529/Police-in-Sussex-and-Surrey-to-work-together-to-target-drink-and-drug-drivers >
CHAMPEAU (G.), « Droit à l’oubli: les 13 critères dégagés par la CNIL », www.numerama.com, publié le 28 novembre 2014, consulté le 12 décembre 2014, < http://www.numerama.com/magazine/31424-droit-a-l-oubli-les-13-criteres-degages-par-la-cnil.html >