Ce mercredi 7 janvier 2015 restera comme l’un des jours noirs, les plus sombres que la Ve République française a pu connaître. Après ces événements plus que tragiques, il y aura à présent un avant et un après. En s’introduisant dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo, en massacrant des symboles de la liberté d’expression à la française, ce ne sont pas seulement à des hommes que les deux terroriste s’en sont pris, mais à la liberté de la presse, à la liberté d’expression toute entière, pilier de notre société, valeur fondamentale de toute démocratie. Face à un tel attentat, la réaction nationale était évidente, la réaction internationale surprenante. Mais comment manifester sa colère, sa peine face à tant de barbarie ? Comment s’unir afin d’affirmer son soutien aux caricaturistes assassinés ? C’est Joachim Roncin, directeur artistique de l’hebdomadaire Stylist qui a su trouver les mots : « Je suis Charlie ».
Un slogan simple et puissant
C’est par ces trois mots tweetés seulement une demi-heure après l’annonce du carnage que Joachim Roncin a ressenti le besoin de manifester, comme pour beaucoup d’internautes, son indignation face à de tels actes et son soutien auprès des victimes. Mais plus qu’un simple tweet, il a choisi d’en faire une image en utilisant la typographie de son magasine pour « Je suis » et d’y accoler le logo de Charlie Hebdo sur fond noir. Voilà, de manière simple et spontanée il venait de créer le slogan qui serait repris par des millions de personnes et qui ferait le tour du monde. Aujourd’hui, les médias du monde entier cherchent à connaitre l’auteur de ce slogan planétaire qui souhaite cependant rester discret.
« Je suis Charlie », ce cri de ralliement des défenseurs de la liberté d’expression est donc devenu tristement célèbre.
Une reprise planétaire
Après l’annonce de la tuerie, les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter ont montré toute leur puissance dans notre société ultra-connectée. Immédiatement ce slogan a fait le tour de la Toile et a été repris par des milliers d’internautes. A l’heure où cette article est écrit, il y aurait eu plus de 6,6 millions de tweets avec le hashtag « #JeSuisCharlie ». Le soir même de l’attentat, lors des rassemblements spontanés qui ont eu lieu dans la France entière on a pu remarquer des affiches reprenant ce slogan. Très rapidement, également on a pu voir ce dernier sur les chaînes de télévision, le message diffusé dans dans les transports en commun, sur les panneaux d’affichage des autoroutes, dans les aéroports, pour ne citer que ces exemples. A l’étranger également le slogan a été repris dans les nombreux rassemblements. Lors des manifestations républicaines pour la France qui ont réuni dimanche dernier près de 4 millions de personnes, c’est historique, les affiches, autocollants portant l’inscription « Je suis Charlie » étaient omniprésents. La soirée diffusée ce même jour sur France 2 afin de rendre hommage aux victimes de l’attentat survenu contre l’hebdomadaire s’intitulait également « Je suis Charlie ». Le milieu du sport a pareillement souhaité montrer sa solidarité, et une fois de plus ce logo a été repris. On a ainsi pu voir des maillots de football et de rugby floqués du slogan, pour ne citer que ces exemples là.
Dans un autre registre, les auteurs des « Simpsons », série animée la plus populaire du monde, ont affiché leur solidarité en intégrant à la fin d’un épisode diffusé dimanche aux Etats-Unis une image de l’un des personnages portant une pancarte « Je suis Charlie ». Des stars internationales ont également publié sur les réseaux sociaux des photographies d’elles avec ce même slogan. Une chanson intitulée « Je suis Charlie » a même été écrite par JB Bullet sur l’air d’Hexagone de Renaud et a été vue par plus de 2,3 millions d’internautes sur Youtube. De plus, une application mobile « Je Suis Charlie ! » a été créée par deux informaticiens de Nice qui tiennent à garder l’anonymat. Cette petite application, gratuite, conçue seulement pour que chacun puisse se revendiquer Charlie aux yeux du monde. Le succès a été immédiat puisqu’elle occupe les premières places des classements sur les plates-formes où elle est disponible (iTunes et Google Play Store). Preuve de l’ampleur du mouvement, elle a été validée en moins de dix minutes par Tim Cook, grand patron d’Apple.
Cette énumération n’est bien sûr pas exhaustive tant les reprises ont été nombreuses et variées.
Mais la plus belle des reprises du slogan n’est-elle pas celle faite par Charlie Hebdo lui-même ? En effet, la Une de la première publication du journal depuis l’attentat est signée par Luz et représente le prophète Mahomet avec une pancarte où il est inscrit « Je suis Charlie ». Une courageuse riposte qui prouve que Charlie Hebdo n’est pas mort et qu’il ne se laissera pas intimider par la violence et la barbarie de quelques uns.
Alors, tous Charlie ?
La question doit se poser, car après le mouvement d’union nationale qu’a connu la France ce 11 janvier 2015, les critiques, dérives et polémiques commencent à apparaitre.
Si dans un premier temps, « Je suis Charlie » a été décliné sous diverses formes telles que « Je suis policier », « Je suis juif » ou encore « Je suis musulman » afin de rendre hommage aux différentes victimes qu’ont fait les attentats perpétrés par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, d’autres y ont vu l’opportunité de faire passer un tout autre message. L’humoriste Dieudonné, a par exemple posté sur son mur Facebook « Je me sens Charlie Coulibaly », le soir même de la prise d’otages dans l’Hyper casher et qui a fait quatre victimes de confession juive. Des propos qui ont choqué et qui ont entrainé l’ouverture d’une enquête pour « apologie du terrorisme » et son placement en garde à vue ce mercredi 14 janvier. Il n’est pas le seul dans cette situation puisque le hashtag sur Twitter « #JeNeSuisPasCharlie » a été tweeté plus de 66 000 fois, « #JeSuisKouachi » plus de 40 000 fois et « #JeSuisCoulibaly » plus de 6 000 de fois. Au final, selon les chiffres communiqués par le ministère de la justice, plus d’une cinquantaine de procédures sont en cours pour « apologie du terrorisme » depuis l’attentat à Charlie Hebdo.
D’autres individus, peu scrupuleux, ont vu dans le slogan « Je Suis Charlie » l’opportunité d’une utilisation mercantile. En effet, le créateur, Joachim Roncin n’a pas souhaité déposer son slogan auprès d’organismes de protection intellectuelle. Il souhaite que ce dernier reste accessible à tous et regrette toute utilisation mercantile. Mais certains ont espéré en tirer profit. Plus de cinquante demandes de dépôt de marque « Je suis Charlie » ont été enregistrées auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi) depuis l’attentat contre l’hebdomadaire. Mais ce dernier a décidé, et selon moi, à juste titre, de ne « pas enregistrer ces demandes de marques, car elles ne répondent pas au critère de caractère distinctif. En effet, ce slogan ne peut pas être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité ». Mais les français ne sont pas les seuls à vouloir s’emparer de la titularité du logo, puisque l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle a confirmé sur son site internet qu’un habitant de Steenokkerzeel a déposé la marque « Je suis Charlie » pour le Benelux. Cependant, la procédure est encore sous enquête pour une durée d’un à deux mois. Affaire à suivre donc.
Les tentatives de profiter de ce business, honteux à mon sens, ne se limitent pas à cela. Outre la vente des derniers numéros de l’hebdomadaire à prix d’or sur internet (plus de 75 000 euros), il est possible d’acheter sacs, t-shirts, tasses à café et autres goodies floqués du slogan « Je suis Charlie ». Si eBay et Amazon ont affirmé reverser leurs commissions sur ces ventes à Charlie Hebdo, comment ne pas être choqué par de telles pratiques ? Cette récupération malsaine n’est pas seulement le fait de quelques individus peu scrupuleux, Les 3 Suisses, en mêlant leur nom de marque au slogan, ont également suscité l’indignation des internautes. Ils se sont par la suite excusés invoquant l’hommage plutôt qu’un profit commercial mais ont tout de même retiré l’image. Les stars ont aussi commis quelques manqués. Par exemple Madonna a été accusée de se servir de ce slogan pour faire la promotion de son dernier album.
La polémique autour de ce logo ne se situe pas seulement sur le plan mercantile, il y a également toute la question de savoir ce que l’on entend par « Je suis Charlie ». Si pour certains c’est devenu le cri de ralliement des défenseurs de la liberté d’expression, pour d’autres, les individus qui n’auraient pas soutenu le journal lorsqu’il était sous le feu des critiques et des menaces n’auraient pas la légitimité de se réclamer de Charlie Hebdo. Certains considèrent qu’ils ne sont pas Charlie parce qu’ils n’étaient pas en accord avec la ligne éditoriale du journal. La communauté musulmane se divise également sur ce point, certains, malgré le fait qu’ils ne cautionnent pas les attentats, ne peuvent se revendiquer « Charlie” du fait des caricatures publiées par le journal satyrique. Mais à mon sens il faut voir derrière ce slogan une manière simple et efficace de manifester son émotion et son indignation face à ces actes de barbarie dont un journal, la liberté d’expression et la France toute entière ont été victimes.
Au delà de la peine et de l’émotion que m’ont suscité les événements tragiques des jours derniers, je suis également très fière de mon pays qui a su s’unir en ce dimanche 11 janvier alors qu’on pensait cela devenu impossible. Il est seulement déplorable d’attendre des événements dramatiques pour voir cette union nationale.
#JeSuisCharlie
Sources
CHATELLIER A., « Le business morbide “Je suis Charlie” fleurit sur la Toile », konbini.com, mis en ligne le 9 janvier 2015, consulté le 12 janvier 2015, <http://www.konbini.com/fr/tendances-2/topic_medias/charlie-hebdo/business-morbide-je-suis-charlie/>
GAMBERINI G., « « Je suis Charlie » : plus de 50 demandes de dépôt de marque refusées », latribune.fr, mis en ligne le 13 janvier 2015, consulté le 14 janvier 2015, <http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/20150113tribd4f84ba23/je-suis-charlie-plus-de-50-demandes-de-depot-de-marque-refusees.html>
LANDES X., « « Je suis Charlie », le bon slogan au bon moment », slate.fr, mis en ligne le 12 janvier 2015, consulté le 12 janvier 2015, <http://www.slate.fr/story/96697/critiques-slogan-je-suis-charlie>
MANENTI B., « Pour Dieudonné comme pour les autres, apologie du terrorisme peut coûter cher », tempsreel.nouvelobs.com, mis en ligne le 14 janvier 2015, consulté le 14 janvier 2015, <http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150113.OBS9883/dieudonne-en-garde-a-vue-l-apologie-du-terrorisme-peut-couter-cher.html>
POTET F., « « Je suis Charlie », c’est lui », lemonde.fr, mis en ligne le 9 janvier 2015, consulté le 12 janvier 2015, <http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/01/09/je-suis-charlie-c-est-lui_4552523_4497186.html>
RICHAUD N., « L’application « Je suis Charlie » cartonne sur les iPhone après un coup de pouce d’Apple », lesechos.fr, mis en ligne le 14 janvier 2015, consulté le 14 janvier 2015, <http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/0204080992900-lapplication-je-suis-charlie-cartonne-sur-les-iphone-apres-un-coup-de-pouce-dapple-1083245.php>
SCHMITT A., « #JeSuisCharlie : comment 3 mots ont chamboulé le monde », teleobs.nouvelobs.com, mis en ligne le 15 janvier 2015, consulté le 15 janvier 2015, <http://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20150113.OBS9829/jesuischarlie-comment-3-mots-ont-chamboule-le-monde.html>