À l’heure des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, la France entière a vécu au rythme des informations divulguées par les médias. Pendant près de 3 jours, ces derniers se sont livrés une bataille sans merci, afin d’être les premiers à répondre au désir d’information du public. Une foule d’images et d’hypothèses ont alors déferlé sur les chaînes d’information en continue, les journaux papiers et télévisés, ainsi que sur les réseaux sociaux.
Mais quel a été le comportement des médias lors de ces jours de terreur ? Ont-ils su garder leur place lors des interventions des forces de l’ordre ? Entre critiques et applaudissements, retour sur une chasse à l’homme et à l’information historique.
Une nécessaire information du public par les médias
Lors d’évènements d’actualité, il existe un principe de légitime information du public. Les journalistes ont alors un devoir d’information du public, car ce dernier a droit à une information claire, précise, et honnête. Certaines informations se doivent donc d’être traitées en priorité face à d’autres, et demandent une investigation plus poussée de la part des médias.
Quel ne fut pas l’étonnement des téléspectateurs lorsque l’édition du 12/13 de France 3, le jour de l’attentat contre Charlie Hebdo, présenta le sujet sur le même plan que les soldes, ou encore les baignades en hiver … Ce « crash éditorial » s’est finalement soldé par le remplacement du rédacteur en chef de l’émission, Régis Poullain, pour son manque de réactivité.
À l’extrême inverse, les journalistes se retrouvent parfois tiraillés entre les infos qu’ils possèdent à un « instant T », et l’avidité d’information du public. Ceci est d’autant plus vrai depuis l’apparition des chaînes d’information en continue. Celles-ci diffusent un journal d’information en direct, et permettent de suivre quasiment en temps réel l’actualité, minute par minute. Mais ce nouveau mode de consommation de l’information par le public est porteur de difficultés : il oblige les différents journalistes de la chaîne à « remplir le vide » en renouvelant sans cesse le discours et les images. Une pression supplémentaire qui pousse bien souvent les journalistes à capter les téléspectateurs par le sensationnel, et dévoiler une information, sans toujours en vérifier les sources dans les règles de l’art …
Les reproches fait aux médias concernant le traitement des récents attentats
Lors d’une situation aussi délicate que celle que nous venons de vivre, il existe un véritable danger concernant le traitement de l’information. Le traitement des attentats en temps réel nécessite la plus grande prudence de la part des médias afin, notamment, de ne pas interférer avec le travail des forces de l’ordre. À plusieurs reprises, anonymes et personnalités publiques ont reproché une immersion des journalistes bien trop proche des opérations en cours. Une situation que le site d’information parodique Le Gorafi a dénoncé à sa façon en titrant : « Le RAID et le GIGN soupçonnés d’avoir gêné l’intervention des journalistes BFM pendant la prise d’otage » … Simple ironie, ou réalité ? À l’issue de l’assaut de la porte de Vincennes, la femme de l’un des otages de l’épicerie cacher s’est insurgée en direct contre BFM-TV pour avoir mis en danger la vie des otages. En effet, le journaliste avait énoncé à l’antenne les mots suivants : « La situation est plutôt confuse sur place, il y a pas mal d’infos qui circulent. Sur le nombre de morts, […] il y en aurait 2 ou plus […] une femme […] serait cachée dans la chambre froide, et y serait encore. ». Plusieurs témoins ont affirmé après leur libération que le terroriste, Amedy Coulibaly, regardait la chaîne BFM-TV pendant la prise d’otage. Par chance, ce dernier n’aurait pas entendu que d’autres personnes étaient cachées dans la chambre froide du supermarché casher. Par la suite, la chaîne s’est défendu d’avoir commis toute faute, estimant que l’information pouvait être révélée, sans mettre en danger les otages qui étaient protégés par les forces de l’ordre en position près de la chambre froide. BFM-TV a-t-elle porté atteinte à la sécurité des otages et de l’ordre public en choisissant de dévoiler ces informations ? Le directeur de la rédaction Hervé Béroud a réfuté cette hypothèse en précisant que ses journalistes n’avaient pas dévoilé qu’il y avait déjà eu quatre morts, et que le preneur d’otage était seul, alors qu’ils l’avaient su grâce à une conversation téléphonique avec ce dernier.
Itélé a également été pris à parti, notamment par la femme politique Michèle Alliot-Marie, s’exprimant au sujet du flot continuel d’information sur cette même chaîne : « C’est quelque chose qui peut gêner l’efficacité [des interventions], parce que, ne vous faite aucune illusion […] les terroristes sont des gens qui se tiennent informés […] ce sont effectivement des éléments qui peuvent les aider ». Itélé avait affirmé qu’il y avait deux morts lors de la même prise d’otage à Vincennes, une information démentie par le Ministère de l’intérieur un peu plus tard … Finalement, l’information était malheureusement bien réelle, mais cette situation démontre le risque exacerbé de la diffusion de fausses informations lors d’évènements sensibles.
Le suivi du traitement des évènements par le CSA
Quelques jours après les attentats, le CSA a annoncé, dans un communiqué du 12 janvier 2015, la mise en place d’un suivi du traitement de l’événement par les médias audiovisuels. Ce suivi s’inscrivant pleinement dans son pouvoir de contrôle, l’autorité de régulation a également convié les différents médias à une réunion en son siège, afin d’échanger sur les difficultés auxquelles ils ont été confrontés lors de la couverture de ces tragédies.
Mémona Hintermann, membre du CSA interviewée tour à tour sur Europe 1 et France 5, a déjà prévenu que cette rencontre n’avait pas été mise en place pour « taper sur les doigts » des différents médias, mais pour en tirer des leçons et comprendre la manière dont ils ont vécu ces évènements. Madame Hintermann a même tenu à féliciter les médias pour leur travail, en leur adressant un « grand coup de chapeau ! » : « À eux de dire comment ils ont réussi à travailler, à informer, dans un contexte aussi compliqué, aussi intense pour leurs équipes ».
Pour autant, toutes ces félicitations n’empêcheront pas le groupe de déontologie d’intervenir très prochainement. En plus des différentes critiques précédemment évoquées, les médias n’auraient-ils pas offert une tribune au terrorisme en décidant de diffuser des extraits de conversations téléphoniques entre les terroristes et BFM-TV, ou encore en diffusant les discussions entre Amedy Coulibaly et ses otages (sur RTL) ? Ne mettent-ils pas en danger la pérennité des opérations des forces de l’ordre en s’installant à quelques mètres à peine de leur lieu d’intervention ?
À titre de comparaison, lors de l’affaire Merah, le CSA avait envoyé une mise en garde à TF1 suite à la diffusion d’enregistrements de conversations entre Mohamed Merah et la police, ce qui correspondait à une lettre d’avertissement, avant le premier niveau de sanction, qui est la mise en demeure.
À la recherche d’un équilibre entre le devoir d’information dans une situation aussi délicate, et le nécessaire respect des règles de déontologie journalistiques, le CSA examine actuellement les différents manquements ayant pu être commis, et viendra à se prononcer début février sur la nécessité, ou non, de sanctionner certains médias. Affaire à suivre …
SOURCES :
IVANICHTCHENKO J., « Prise d’otages, les médias sont-ils allés trop loin ? », Europe1.fr, mis en ligne le 12 janvier 2015, consulté le 20 janvier 2015, <http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/le-fait-medias-du-jour/videos/prises-d-otages-les-medias-sont-ils-alles-trop-loin-2341563>
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FRISON M., « Attentats : le « grand coup de chapeau » du CSA aux médias », Europe1.fr, mis en ligne le 15 janvier 2015, consulté le 20 janvier 2015, <http://www.europe1.fr/medias-tele/charlie-hebdo-le-grand-coup-de-chapeau-du-csa-aux-medias-234493>
CSA., « Le CSA met en place un suivi du traitement par les médias audiovisuels des événements des derniers jours », csa.fr, mis en ligne le 12 janvier 2015, consulté le 15 janvier 2015, <http://www.csa.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Le-CSA-met-en-place-un-suivi-du-traitement-par-les-medias-audiovisuels-des-evenements-des-derniers-jours>
WOITIER C., « Les médias se défendent face aux critiques », lefigaro.fr, mis en ligne le 11 janvier 2015, consulté le 18 janvier 2015, < http://www.lefigaro.fr/medias/2015/01/11/20004-20150111ARTFIG00193-les-medias-se-defendent-face-aux-critiques.php>
MORIN F., « Couverture de l’attentat à Charlie Hebdo : le rédacteur en chef du 12/13 débarqué », lefigaro.fr, mis en ligne le 22 janvier 2015, consulté le 22 janvier 2015, <http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/polemiques/2015/01/22/28003-20150122ARTFIG00106-couverture-de-l-attentat-a-charlie-hebdo-le-redacteur-en-chef-du-1213-debarque.php>
AFP., « Affaire Merah : le CSA envoie une mise en garde à TF1 », liberation.fr, mis en ligne le 10 juillet 2012, consulté le 20 janvier 2015, <http://www.liberation.fr/societe/2012/07/10/affaire-merah-le-csa-envoie-une-mise-en-garde-a-tf1_832366>