A l’heure où les modes de consommation de la musique ont considérablement évolué, il devient plus que nécessaire de réformer la règle régissant les quotas de diffusion de chansons à la radio, notamment les chansons francophones. La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, est venue soutenir un amendement afin de faire évoluer les quotas en matière de chansons francophones sur les radios françaises privées, et cela pour répondre à un objectif de diversité.
L’état actuel de la réglementation des quotas
C’est la loi du 1er février 1994 qui vient réglementer les quotas de diffusion sur les radios françaises privées. L’article 12 de la présente loi instaure un quota de diffusion de l’ordre de 40% de chansons dites « d’expression française », sur les radios.Cette règle est le résultat même du constat selon lequel le pourcentage de chansons françaises diffusées sur les stations privées est trop faible, notamment sur les radios à destination des jeunes, telles que Skyrock ou NRJ (Nouvelle radio des jeunes).
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication énonce en son article 28, 2° bis, une des conditions à respecter par les éditeurs de radios, laquelle étant que « la proportion substantielle d’œuvres musicales d’expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France » doit atteindre au minimum 40 % de chansons d’expression française. L’article poursuit en indiquant que la moitié au moins doit provenir de « nouveaux talents ou de nouvelles productions, diffusées aux heures d’écoute significative par chacun des services de radio autorisés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pour la part de ses programmes composée de musique de variétés ».
Afin de pallier le silence du législateur quant à la précision de certaines notions, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est intervenu. Dès lors, la notion « d’expression française » renvoie à toute œuvre dont le texte est interprété ou récité principalement en français ou bien dans une langue régionale. Le terme « nouveaux talents » vise quant à lui tout artiste qui n’aurait point encore obtenu non pas un mes deux albums certifiés disque d’or, en sachant qu’un disque d’or s’obtient une fois que 50 000 exemplaires d’un même album ont été vendus.
Le CSA s’étant vu confier la mission du respect des quotas de diffusion de chansons d’expression française, a adapté les conventions qu’il avait déjà conclu avec l’ensemble des radios autorisées. Le Conseil a posé les conditions de son contrôle au sein du communiqué n°320. Face à un nombre d’opérateurs radios toujours plus grandissant, avoisinant désormais les 1 500 stations, la tâche du CSA a été telle qu’il a dû faire appel à un prestataire de services. Ce dernier a pour mission d’effectuer des contrôles de manière permanente des radios les plus significatives en terme d’audience.
Les évolutions technologiques
En 1994 les français découvraient la musique principalement en écoutant la radio. La société actuelle étant marquée par de nombreuses évolutions technologiques, les comportements des individus se sont adaptés, donnant lieu à de nouvelles manières de consommer les œuvres musicales. Le déploiement des nouvelles technologies et plus singulièrement le développement d’internet ont en effet conduit à de nouveaux modes de diffusion de la musique.
La loi sur les quotas datant de 1994 est donc devenue obsolète, cette obsolescence étant marquée par le fait que la radio ne constitue plus le seul média à partir duquel il est possible d’écouter de la musique. Les diffuseurs internet, tels que YouTube, Dailymotion ou encore Deezer, étant exemptés de toute contrainte en matière de quotas de diffusion ne fait qu’accroître ce besoin de réformer la réglementation appliquée aux radios privées. Cette adaptation est ainsi nécessaire du point de vue de la concurrence que représente internet en matière de découverte musicale.
Un sondage réalisé par la Sacem vient confirmer cette réalité, selon lequel deux français sur trois déclarent consommer du contenu musical sur le net, dont 86% sur YouTube. Outre ces évolutions technologiques, un autre changement est à considérer, soit le fait que désormais de nombreux chanteurs français chantent dans la langue de Shakespeare, une tendance qui ne cesse de se développer. Le succès des groupes comme Phoenix, Daft Punk mais aussi Lilly Wood and The Prick ne fait qu’accentuer ce phénomène.
L’amendement sur les quotas soutenu par Fleur Pellerin
En réponse à tout cela, la Ministre de la Culture Fleur Pellerin est venue soutenir l’amendement adopté par les députés en septembre dernier. Cet amendement instaure une nouvelle réglementation en matière de diffusion des chansons francophones en imposant davantage de diversification de la part des radios privées quant aux chansons françaises qu’elles diffusent. Fleur Pellerin a effectivement estimé que cela aboutirait à une meilleure valorisation des jeunes chanteurs français. La ministre a ajouté lors d’une interview faite sur France Inter, que cette nouvelle réglementation permettrait de mieux répondre à l’impératif de diversité culturelle, cette notion étant entendue au sens de la diversité au sein des chansons françaises diffusées à la radio.
D’après une étude du ministère de la Culture, 74% de la programmation de chansons francophones sont réalisés au travers de la diffusion de seulement 10 titres sur NRJ, et à peine plus de 50% pour Fun Radio, toujours sur le même nombre de titres. Les radios à destination du jeune public, diffusant ainsi les mêmes morceaux en boucle, ne permettent pas l’épanouissement de nouveaux jeunes artistes français et se trouvent être dans la ligne de mire du gouvernement. Ainsi l’amendement impose aux radios de diffuser 2 à 3 titres francophones supplémentaires par mois, ces chiffres peu élevés laissant largement aux radios la possibilité de s’y conformer selon Fleur Pellerin.
La plupart des radios privées se sont certes pliées à la règle des quotas en passant 10 titres en boucle, notamment au travers du fameux Top 10 des tubes francophones mais certaines stations n’ont pas toujours joué le jeu, notamment les radios à destination du jeune public. Les auditeurs français écoutent en effet une rotation de titres à la radio sur la journée et selon la ministre cette méthode ne permet pas de véritable diversité culturelle.
Fleur Pellerin entend ainsi, en appuyant l’amendement de l’Assemblée sur les quotas, faire en sorte que les radios diffusent davantage de titres francophones, aboutissant à la fois à cet impératif de diversité mais notamment à ce que de jeunes artistes français puissent se constituer un public. Cet amendement vise donc à ce que les jeunes Stromae ou encore Louane se fassent connaître.
La nouvelle réglementation en matière de diffusion des chansons francophones a été votée le 30 septembre par les députés.
La révolte des radios privées
Malgré une volonté de diversifier la découverte musicale, les radios ont vu cet amendement d’un mauvais œil et se sont ainsi rebiffées. Les nouvelles obligations en matière de quotas ont été qualifiées de liberticides par certaines radios indépendantes, qui mettent en avant leur travail de longue haleine afin de se conformer à la règle des quotas préexistante et cela depuis une vingtaine d’années.
Toujours en septembre dernier, les radios du groupe Lagardère telles qu’Europe 1, Virgin Radio et TMC, ainsi que les groupes RTL et NRJ avaient alors annoncé dans un communiqué qu’ils interrompaient leur participation aux dispositifs des quotas de chansons francophones pour une durée de 24 heures. Les radios indépendantes se sont jointes au mouvement de protestation en affirmant que lors de la journée du 29 septembre elles ne diffuseraient que les morceaux français souhaitant être entendus par les auditeurs et non ceux étant imposés par les quotas.
L’évolution de l’application de cet amendement par les radios est donc à suivre, la restriction de la liberté des éditeurs de radio étant le prix pour une plus grande diversité culturelle.
Sources :
DE BELLESCIZE (D.) et FRANCESCHINI (L.), Droit de la communication, 2e édition mise à jour, puf, Paris, 2011, 560 pages
ANONYME, « Chansons françaises à la radio : l’Assemblée a voté pour plus de diversité », francetvinfo.fr, publié le 1er octobre 2015 <http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/chanson-francaise/chansons-francaises-a-la-radio-lassemblee-a-vote-pour-plus-de-diversite-228393>
ANONYME, « Radio: Pellerin favorable à l’amendement sur les quotas de chansons francophones », leparisien.fr, publié le 28 septembre 2015 <http://www.leparisien.fr/flash-actualite-politique/chansons-francophones-a-la-radio-pellerin-favorable-a-l-amendement-sur-les-quotas-28-09-2015-5133805.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr>
RIALS (E.), « Il est urgent de réformer la loi sur les quotas radio », lemonde.fr, publié le 17 février 2014 <http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/17/il-est-urgent-de-reformer-la-loi-sur-les-quotas-radio_4367972_3232.html>