Par un jugement du 5 mai 2015, rendu public en octobre, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris a reconnu la société de production de Luc Besson Europacorp coupable de contrefaçon pour son long-métrage « Lockout » (2012) qui ne serait qu’une copie du film « Escape from New York » (1981), réalisé par John Carpenter. Cette décision a créé pour certains un malaise au regard des conséquences qu’elle pourrait engendrer. Sont notamment mis en lumière l’entrave à l’activité artistique et le frein à l’inspiration tirée d’oeuvres cinématographiques préexistantes et l’hommage rendu à celles-ci. Bien que ces réflexions ne se trouvent pas entièrement dépourvues de fondement, ces notions et pratiques ne peuvent empêcher l’application du droit lorsque ce-dernier est amené à se prononcer.
Une bonne application du droit et une appréciation souveraine justifiée
De prime abord, il convient de souligner que les juges du fond semblent avoir pris une décision en bonne application du droit d’auteur français. Bien que les idées soient de libre parcours comme l’a énoncé Henri Desbois, suivi par la jurisprudence (ex. TGI de Paris, 4 nov. 1980), elles sont protégeables dès lors qu’elles ont fait preuve d’originalité, c’est à dire possèdent l’empreinte de la personnalité de l’auteur, mais surtout ont fait l’objet d’une fixation sur un support (L.111-1 et L.111-2 du Code de la propriété intellectuelle). En l’espèce, il y a eu fixation de l’idée de John Carpenter non seulement par la rédaction d’un scénario, mais également par la réalisation du film. Ainsi l’auteur est légitime à saisir le juge au titre de la contrefaçon s’il estime qu’il y eu une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.
Dans cette perspective, les juges sont amenés à contrôler si l’allégation de contrefaçon est suivie d’éléments probants. Pour ce faire, les juges doivent baser leur appréciation sur les similitudes et non les différences (ex. Civ. I, 26 septembre 2012). Il s’en suit qu’un argumentaire mettant en lumière les différences afin de justifier d’une absence de contrefaçon est irrecevable. En l’espèce, les juges du fond ont mis en oeuvre leur pouvoir souverain d’appréciation et relevé la présence de plusieurs similitudes. Selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel, le tribunal a effectué une analyse détaillée des deux films en procédant à des comparaisons allant du thème du film et de son intrigue, aux caractéristiques des personnages et des séquences prises. Les juges du fond ont alors soulevé de nombreuses ressemblances entre les films. En effet, « tous deux présentent un héros athlétique, rebelle et cynique, condamné – alors qu’il a un passé glorieux – à exécuter une peine de prison dans un endroit séparé du reste du monde, qui se voit proposer d’aller libérer le président des États-Unis ou sa fille retenue en otage en échange de sa liberté; il s’introduit dans le lieu de captivité de manière subreptice après un vol en planeur/ navette spatiale; il retrouve sur place un ancien comparse qui meurt, réussit in extremis la mission et conserve à la fin les documents secrets récupérés en cours de mission » (Observatoire européen de l’audiovisuel).
Au regard de ce faisceau d’indices, le tribunal en a conclu que le film de Luc Besson constituait une contrefaçon du film de John Carpenter et a condamné Luc Besson, les co-scénaristes et Europacorp in solidum à verser la somme de 20 000 euros au réalisateur du film contrefait, 10 000 euros au scénariste, et 50 000 euros à la société cessionnaire des droits d’exploitation. Alors qu’Europacorp a interjeté appel, plusieurs voix se sont levées afin de mettre en exergue le caractère néfaste qu’une telle décision pourrait avoir pour l’activité cinématographique.
Un risque d’impact disproportionné
Tout d’abord, certains redoutent que ce jugement « pourrait faire jurisprudence » et ainsi rendre automatique la condamnation pour contrefaçon. Il convient de rappeler qu’il ne s’agit ici que d’un jugement rendu par une juridiction de première instance et que pour « faire jurisprudence », il faut plusieurs décisions rendues dans un certain intervalle de temps et allant dans un même sens. Or, bien qu’il soit possible en théorie d’avoir une jurisprudence initiée par un tribunal de première instance, ce sont en général aux juridictions d’appel et à la Cour de cassation que cette tâche est reconnue. S’y ajoute que cette question n’a finalement pas lieu d’être, puisqu’en l’espèce les juges ont simplement fait usage de leur pouvoir souverain d’appréciation. En s’appuyant sur les mêmes sources juridiques que les décisions antérieures traitant de la même question avec des faits différents, les juges du fond peuvent aboutir à une décision différente. Selon les faits de l’espèce, la contrefaçon sera écartée dans certains cas, et reconnue dans d’autres. Ainsi, la Cour d’appel n’a, par exemple, pas fait jurisprudence en estimant en 2001 que le scénario du film « Léon » de Luc Besson ne constituait pas une contrefaçon du scénario « L’Enfance déchirée » de Franck Gerardi (Cour d’appel de Paris, 27 juin 2001). Ici, les juges du fond avaient simplement considéré que les similitudes n’étaient pas suffisantes pour caractériser la contrefaçon.
Ensuite, d’autres redoutent que la décision constituerait un frein à l’initiative créatrice d’oeuvres cinématographiques. Ils mettent notamment en exergue l’hypocrisie de cette décision et soulignent que tous les films ont fait plus ou moins l’objet d’inspirations. Il est vrai qu’au regard du nombre incommensurable de films réalisés depuis le premier essai de film « Une scène au jardin de Roundhay » de Louis Aimé Augustin Le Prince en 1888 ou « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat » des frères Lumière en 1895, il est difficile d’être réellement novateur. Cela étant, cette réalité n’a pas échappé aux juges. En effet, ces derniers distinguent dans leur analyse les éléments relevant d’un fonds commun du cinéma inappropriable et pouvant donc être repris, avec les éléments constituant le traitement fait de l’oeuvre. Ainsi, rien ne peut empêcher un cinéaste de traiter le sujet de la Shoa, mais il ne peut pas le faire de la même manière que Steven Spielberg dans « Schindler’s List » (1993). Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait par exemple rejeté l’action en contrefaçon introduite par une scénariste contre le scénario du film « Syriana » (2005) de Stephen Gaghan, au motif que les thématiques traitées, en l’espèce notamment les conflits du Moyen-Orient, le pétrole, l’islamisme, l’influence des Etats-Unis et les actions de la CIA, ne pouvaient faire l’objet d’une appropriation (TGI de Paris, 12 juin 2006). Quel que soit le thème traité, il relèvera toujours « du domaine des idées » et sera donc « inappropriable par nature » (TGI de Paris, 8 avril 1998). Ainsi, le risque de porter atteinte à la création cinématographique est relatif, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que Luc Besson et sa société ont fait l’objet d’une assignation en justice pour contrefaçon et ce ne sera sans doute pas la dernière. C’est simplement la première fois que leur inspiration est allée trop loin. Cela arrive.
Néanmoins, certains journaliste critiquent la décision en soulevant qu’elle ne serait pas juste au regard de certaines oeuvres artistiques qui semblent clairement reprendre les éléments du film de John Carpenter, mais qui n’ont fait l’objet d’aucune condamnation. L’exemple phare est le jeu vidéo « Metal Gear Solid » dans lequel les similitudes seraient flagrantes comme notamment la reprise du personnage du film « Snake » (appelé Solid Snake dans le jeu). Cet argument ne diminue en rien la légitimité de la décision des juges du fond, puisque la question n’a pas été soumise à leur étude. Les droit d’auteurs étant des droits subjectifs, il revient au seul titulaire de ses droits de les défendre. Ainsi, John Carpenter peut saisir les cours d’une action en contrefaçon contre les créateurs du jeu. Mais il peut également décider de ne pas le faire. Le fait que les créateurs du jeu n’aient pas fait l’objet d’un procès ne change rien à l’espèce à laquelle était confronté le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Quoi qu’il en soit, au-delà de l’absence de réelles conséquences juridiques et artistiques, la décision n’aura pas de réelles conséquences économiques et est loin d’être dissuasive au regard des sommes engendrées mondialement par les films de la société de Luc Besson (The Fifth Element (1997), $263Mio; The Transporter (2002), $43Mio; Taken (2009), $226Mio; Lucy (2014), $463Mio). Ce qui peut d’ailleurs poser la question du besoin de subventions et de crédits d’impôts pour le nouveau film de Luc Besson « Valérian » (2017).
Sources:
ANONYME, « Luc Besson et Europacorp condamnés pour “contrefaçon” d’un film de John Carpenter », huffingtonpost.fr, mise en ligne le 16 octobre 2015, <http://www.huffingtonpost.fr/2015/10/16/luc-besson-europacorp-contrefacon-film-new-york-1997-john-carpenter_n_8312980.html>
ANONYME, « Luc Besson condamné pour avoir plagié New York 1997 : S’inspirer est-il plagier?», mcetv.fr, mise en ligne le 18 octobre 2015, <http://mcetv.fr/mon-mag-culture/mon-mag-cinema/luc-besson-condamne-pour-avoir-plagie-new-york-1997-sinspirer-plagier-1810/>
ANONYME, « Polémique Besson/Carpenter : hommage, plagiat ou contrefaçon ? », leblogducinema.com, mise en ligne le 28 octobre 2015, <http://www.leblogducinema.com/analyses/polemique-besson-carpenter-hommage-plagiat-ou-contrefacon-77015/>
BLOCMAN (A.), « Condamnation pour contrefaçon d’un film de science-fiction sorti trente ans plus tôt sur les écrans », merlin.obs.coe.int, mise en ligne en octobre 2015, <http://merlin.obs.coe.int/cgi-bin/article.php?iris_r=2015+9+12&language=fr>
LACHAUSSEE (S.) et PONCET (V.), « La contrefaçon de scénario », avocatl.com, mise en ligne le 14 octobre 2014, <http://www.avocatl.com/#!La-contrefa%C3%A7on-de-sc%C3%A9nario/cddg/B68D8472-5C46-4CB1-BDFB-C8C2720739EE>
PULVER (A.), « John Carpenter wins legal action against Luc Besson-scripted thriller Lockout », theguardian.com, mise en ligne le 16 octobre 2015, <http://www.theguardian.com/film/2015/oct/16/john-carpenter-wins-legal-action-against-luc-besson-scripted-thriller-lockout>