CONDAMNATION POUR HAINE RELIGIEUSE : ERIC ZEMMOUR ET LA LIBERTE D'EXPRESSION

Dans une décision du 17 décembre 2015, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné Eric Zemmour à une amende de 3.000 euros au motif que les propos tenus lors d’un entretien du 19 octobre 2014 avec un journaliste du quotidien italien Corriere Della Sera constituaient une incitation à la haine raciale et religieuse contre les citoyens de confession musulmane. De nouveau se pose la question de la limite existante entre les paroles qui relèvent de la liberté d’expression et celles qui passent outre et entrent dans le champ des propos pénalement répréhensibles. Selon les juges de première instance, Eric Zemmour aurait abusé de sa liberté d’expression.

La nécessité d’une limitation de la liberté d’expression

Les sujets touchants à l’exercice de la liberté d’expression sont toujours délicats. Cette liberté, constituant la pierre angulaire de toute démocratie occidentale, a été proclamée pour la première fois dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Bien qu’elle ait été reprise dans d’autres textes notamment internationaux comme la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, la formulation et le texte initial sont toujours d’application en droit positif et ont d’ailleurs une valeur constitutionnelle. Ainsi selon l’article 11 du texte de 1789, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. “

Bien que la liberté d’expression soit un droit fondamental, l’article indique en vertu de l’adage « trop de liberté tue la liberté » qu’il n’est pas absolu. En effet, il existe une multitude de libertés fondamentales et l’exercice de certaines peut empiéter sur l’exercice d’autres ou porter atteinte à d’autres principes ayant vocation d’assurer le maintien de l’ordre public. Dans une perspective de conciliation, la mise en place de restrictions a donc été nécessaire et confiée au législateur. Le résultat en matière de presse, puis étendu à tous les médias, fut la loi du 29 juillet 1881 qui a mis en place notamment trois limites à la liberté d’expression qui sont la diffamation, l’injure et l’incitation à la haine raciale ou religieuse. Par conséquent, les personnes ne peuvent se prévaloir de la liberté d’expression pour des propos tenus lorsque ceux-ci constituent notamment un des trois griefs précités.

La question qui se pose aux magistrats en cette manière est celle de savoir si les paroles soumises à leur étude constituent un abus de la liberté d’expression ou non. Les juges du fond sont alors amenés, comme dans le cas de Eric Zemmour, à faire application de leur pouvoir d’appréciation. Etant donné que ce n’est pas une appréciation purement en droit, il en résulte que chaque affaire doit être analysée au cas par cas et cela crée une certaine incertitude. La conséquence logique étant que les jugements ne peuvent satisfaire tout le monde. Le jugement rendu le 17 décembre 2015 en atteste.

Des propos dépassant, selon les juges, le cadre de la liberté d’expression

En l’espèce se posait la question de savoir si lors d’un entretien avec le journal italien Corriere Della Sera du 19 octobre 2014, Eric Zemmour avait abusé de sa liberté d’expression et incité à la haine contre les citoyens de confession musulmane. Traduites de l’italien, voici les paroles notamment en cause:

Les musulmans « ont leur code civil, c’est le Coran. […] Ils vivent entre eux, dans les banlieues. Les Français ont été obligés de s’en aller. […] Je pense que nous nous dirigeons vers le chaos. Cette situation de peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile ».

A la question du journaliste italien « Que suggérez-vous faire? Déporter cinq millions de musulmans français? », Monsieur Zemmour a répondu: « Je sais, c’est irréaliste, mais l’histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d’Algérie pour revenir en France? Ou bien qu’après-guerre, cinq ou six millions d’Allemands auraient abandonné l’Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles? […]Des millions de personnes vivent ici, en France, mais ne veulent pas vivre à la française. »

Selon les juges du fond, ces paroles permettaient de caractériser le délit de l’incitation à la haine religieuse contre les musulmans. Ils sont ainsi allés dans le sens du procureur de la République qui énonçait dans son réquisitoire que les propos de Eric Zemmour étaient notamment « stigmatisants », « sans nuance », prenaient pour cible « l’ensemble de la communauté musulmane » et qui se demandait si l’accusé n’avait pas « pour but de la mettre en place, cette guerre civile » et ne mettait pas en place « tout ce qu’il faut pour y arriver ». Le tribunal n’a toutefois condamné le journaliste français qu’à 3.000 euros d’amende au lieu des 10.000 euros exigés par le magistrat.

Une décision politique peu impartiale

Comme toujours, une telle décision est médiatisée et donne lieu à deux types de réactions: d’une part, ceux qui se félicitent de la victoire de la justice et de la répression des abus et d’autre part ceux qui se désolent de la fin de la liberté d’expression. Mais au demeurant, le débat sur ce jugement est purement politique. Force est de constater que selon les personnes concernées, la conséquence juridique est à géométrie variable. Cela commence par le fait qu’il est douteux que si de tels propos avaient été tenu à l’égard d’une autre religion, la réaction juridique et médiatique aurait été aussi vive.

Il convient dans cette perspective de faire un rapprochement avec le mouvement féministe FEMEN. Au-delà du fait d’insulter l’Eglise catholique sur les réseaux sociaux, des membres de ce dernier avaient célébré le renoncement du pape Benoit XVI en février 2013 en dégradant une cloche de Notre-Dame de Paris, se dénudant et proférant notamment « Pope no more! » (« Plus de pape! ») et « In gay we trust! » (« Nous croyons en l’homosexualité »), parodiant ainsi la devise états-unienne « In God we trust » (« Nous croyons en Dieu »). D’aucuns s’attendaient à ce que le procureur demande la condamnation pour incitation à la haine contre les citoyens de confession catholique et que le tribunal correctionnel fasse droit à cette demande. Or, ce ne fut pas le cas en l’occurrence. En effet, le procureur n’a même pas retenu le chef d’inculpation de l’incitation à la haine raciale dans son réquisitoire, mais uniquement celui de la dégradation de biens matériels. Les juges du fond du tribunal correctionnel et de la Cour d’appel de Paris ont alors décidé de relaxer les jeunes femmes. En revanche, ils ont jugé opportun de condamner à des amendes deux gardiens de la cathédrale ayant fait leur travail en cherchant à les expulser pour les empêcher de dégrader davantage la cloche. Il en résulte que certains peuvent penser qu’il existe une pratique judiciaire à deux poids, deux mesures: les actes islamophobes sont condamnés pour incitation à la haine religieuse et les actes chistianophobes ne le sont pas.

D’autres soulignent qu’il y a un acharnement sur le journaliste dès lors qu’il se prononce notamment sur un sujet relatif aux musulmans et à l’immigration. Ceci est indéniable sur le terrain médiatique, comme le démontre par exemple le remerciement du journaliste dans l’émission « Ça se dispute » sur iTélé au motif qu’il avait suggéré la déportation au journaliste italien, alors que c’est ce dernier qui avait évoqué le sujet de la déportation. Sur le terrain judiciaire, il est vrai que Eric Zemmour avait déjà fait l’objet de procès judiciaires notamment en 2011 et 2015. Pour autant, il n’est pas exact de dire qu’il est automatiquement condamné dès lors qu’une affaire à son encontre passe devant les juridictions. En effet, bien qu’il ait été condamné en 2011 pour provocation à la haine raciale, il a été relaxé en septembre 2015 alors qu’il lui avait été reproché une incitation à la haine raciale. Cela dit, le parquet a fait appel et reste donc fidèle à lui-même.

Il demeure cependant difficile de dire quoi que ce soit sur la religion musulmane et sur l’immigration, puisque les médias et les gouvernants ont tendance à automatiquement criminaliser la moindre interrogation sur les migrants (Michel Onfray). Au-delà de Eric Zemmour, peuvent être mis en avant tous les membres du Front National, qui ne peuvent, quelle que soit la pertinence de leurs propos, se prononcer sans faire l’objet d’un procès médiatique. Dernier exemple en date: Robert Ménard, qui n’a pas félicité la communauté musulmane pour avoir protégé des messes de minuit, mais l’a condamnée. Pour ce simple fait divers, l’association SOS Racisme a décidé de porter plainte contre lui. Nous sommes loin de la citation apocryphe de Voltaire, selon laquelle « Je ne suis pas d’accord avec vous mais je mourrai pour défendre votre liberté de le dire. »

SOURCES

ANONYME, « Eric Zemmour condamné à 3000 euros d’amende pour provocation à la haine envers les musulmans », liberation.fr, mise en ligne le 17 décembre 2015, <http://www.liberation.fr/france/2015/12/17/eric-zemmour-condamne-a-3000-euros-d-amende-pour-provocation-a-la-haine-envers-les-musulmans_1421427>

ANONYME, « Dégradations d’une cloche de Notre-Dame : relaxe confirmée pour huit Femen », lemonde.fr, mise en ligne le 29 octobre 2015, <http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/10/29/degradations-d-une-cloche-de-notre-dame-relaxe-confirmee-pour-huit-femen_4798980_1653578.html>

BOCK-CÔTÉ (M.), « Éric Zemmour condamné ou la tentation autoritaire du multiculturalisme », lefigaro.fr, mise en ligne le 21 décembre 2015, <http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/12/21/31003-20151221ARTFIG00094-eric-zemmour-condamne-par-la-justice-ou-la-tentation-autoritaire-du-multiculturalisme.php>

GRAZIANI (J.), « Relaxe des Femen : pas de justice pour Notre-Dame ! », lefigaro.fr, mise en ligne le 10 septembre 2014, <http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/09/10/31003-20140910ARTFIG00137-relaxe-des-femen-pas-de-justice-pour-notre-dame.php>

GUERICOLAS (L.), « ERIC ZEMMOUR: “ON ESSAIE DE M’ELIMINER PETIT A PETIT”», parismatch.com, mise en ligne le 4 mai 2015, <http://www.parismatch.com/Culture/Medias/Eric-Zemmour-On-essaie-de-m-eliminer-petit-a-petit-Zemmour-Naulleau-sur-Paris-Premiere-756702>