La société américaine Donuts a annoncé, le 3 novembre dernier, le lancement des nouvelles extensions de noms de domaine internet en .vin et .wine. Société leader sur le marché mondial des noms de domaine, elle détient plus de deux cents extensions qu’elle commercialise de manière progressive.
Bien que la maxime latine « in vino veritas » laisse entendre que la vérité se trouve dans le vin, il n’en est pas de même pour le numérique avec les suffixes .vin et .wine. En effet, ce n’est seulement qu’après trois années de négociation que viticulteurs et producteurs de vins européens ont trouvé un accord avec l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisme mondial en charge de la gestion des noms de domaine.
Jeff Davidoff, directeur du marketing de la société Donuts s’est notamment félicité de cet accord qui prévoit qu’une liste de noms soit réservée aux détenteurs légitimes d’une appellation : « La très, très bonne nouvelle, c’est que les problèmes soulevés d’abord par les régions viticoles françaises, puis par d’autres régions productrices de vin à travers le monde, ont été résolus par ces mêmes groupes. Ils ont proposé une résolution qui a été adoptée par Donuts ».
Les noms de domaine : clés des adresses sur l’internet
Le système des noms de domaine ou Domain Name System (DNS), est un système de nommage qui a été créé pour rendre plus lisibles les séries de chiffres et d’adresses IP. Ce système permet la localisation d’une ressource sur l’internet mais aussi l’identification informatique du chemin pour accéder à un site, c’est ce que l’on appelle l’architecture de bout en bout.
Un nom de domaine est tout à la fois une dénomination, il permet l’identification d’un serveur, et une série de contingences techniques qui identifie l’adresse IP du site consulté. Indispensable à l’exercice d’une activité économique, le nom de domaine a également une valeur commerciale pour celui qui l’occupe, il apparaît même comme un élément du fonds de commerce pour certaines entreprises.
Un nom de domaine est composé de trois éléments : un préfixe technique « www » (world wide web), un radical (cœur du nom de domaine et de la protection) et d’un suffixe ou extension qui caractérise le site dans son unité géographique et son secteur d’activité de manière de plus en plus large.
Schéma : AFNIC – Qu’est-ce qu’un nom de domaine ?
Suite à la saturation des extensions de noms de domaine en .com, l’Icann a annoncé en 2011, la fin des restrictions sur les suffixes car auparavant il fallait se borner aux extensions proposées. Désormais, ces dernières peuvent être sollicitées par des entreprises ou par des associations. C’est dans ce cadre que le .vin et le .wine, ô combien précieux pour les vignerons, va se hisser aux côtés des classiques .com, .org ou encore .net.
Concernant le choix du nom de domaine, se pose la problématique de l’attribution. « Premier arrivé, premier servi » est la règle de principe : celui qui dépose un nom de domaine en devient le détenteur, il détient alors un droit d’occupation sur le nom qu’il réserve.
Ce principe a été formalisé en droit interne à l’article L45-1 du Code des postes et des communications électroniques qui dispose en son alinéa 3 : « Le nom de domaine est attribué au demandeur éligible ayant le premier fait régulièrement parvenir sa demande. Un nom de domaine attribué et en cours de validité ne peut faire l’objet d’une nouvelle demande d’enregistrement. ». Aussi, un nom de domaine est attribué pour une durée déterminée et renouvelable.
Nul doute que les noms de domaine sont un réel enjeu politique. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré que tant pour les particuliers que pour les entreprises, le choix des usages et noms de domaine sur l’internet affectaient les droits de propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d’entreprendre (Cons. const., décision n°2010-45 QPC du 6 octobre 2010, Mathieu P).
L’extension en .vin en est une parfaite illustration. Ayant suscité une vive polémique quant au refus de l’Icann de prendre en compte les appellations d’origine dans l’attribution de nouveaux noms de domaine, professionnels du monde viticole, élus et gouvernements ont oeuvré pour protéger la réputation de ces appellations.
La reconnaissance des appellations d’origine : une mobilisation internationale déterminante
A l’été 2014, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et la secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Axelle Lemaire ont requis le Président de la Commission européenne de refuser l’attribution de noms de domaine en .vin et .wine par l’Icann. Motif ? Les appellations d’origine ne seraient pas protégées et de fait, nombre de viticulteurs seraient contraints d’enregistrer leurs marques afin d’éviter que celles-ci soient utilisées par un tiers contrefaisant.
Le débat porté au niveau international doit concilier des intérêts divergents avec d’une part l’universalité de l’accès à Internet, et d’autre part le respect des appellations d’origine. Le poids économique de l’Union européenne est conséquent puisqu’il représente près de 65 % du marché mondial du vin.
C’est ainsi que la société Seattlienne, Donuts et la communauté mondiale du vin ont conclu un accord privé et confidentiel qui vise à protéger les appellations d’origine de la contrefaçon mais également la tromperie du consommateur, le détournement de notoriété ou le cybersquatting. Pour ce faire, les titulaires de marque présents sur les marchés internationaux seront prioritaires dans la réservation du nom de domaine correspondant au nom de leur marque. De surcroît, le processus d’allocation de ces nouvelles extensions sera conduit par un expert extérieur à la société. L’ouverture sera ensuite étendue à toute personne intéressée à compter du 27 janvier 2016 moyennant une cinquantaine de dollars.
Dans un entretien accordé à la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées (Cnaoc), la secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Axelle Lemaire, a déclaré : « Nous avons gagné une première bataille autour des extensions .vin et .wine, mais le combat mené par la France pour une réforme de l’Icann, notamment dans le sens d’une prise en compte globale des appellations d’origine, est loin d’être terminé ». La secrétaire d’Etat a assuré qu’elle se montrera particulièrement vigilante sur l’ouverture de nouveaux noms de domaine.
Une nécessaire réforme de la gouvernance de l’internet : la fin de l’Icann ?
Créé en 1998, l’Icann est une association californienne de droit privé à but non lucratif directement contrôlée par le gouvernement fédéral, elle relève du département du commerce au moyen d’un service qui est la NTIA (National Telecommunications and Information Administration).
L’Icann est chargé de la gestion du DNS qui est la racine d’internet, ceci s’explique car les américains ont développé les codes sources qu’ils sont les seuls à maîtriser. Cet organisme repose sur un système multi-acteurs, acteurs de nature et d’objectifs différents. En effet, se côtoient à la fois des Etats étrangers, le gouvernement américain mais aussi des associations qui ne reflètent plus ou moins aucun Etat.
L’Union Européenne et de nombreux autres Etats contestent la gestion multi-acteurs et plus largement le contrôle exclusif de la gouvernance de l’internet aux Etats-Unis.
Le mystérieux départ du directeur de l’Icann, Fadi Chehade, cet été ne va sans poser certaines interrogations.
Quoiqu’il en soit la fin de la tutelle américaine sur l’Icann a été annoncée en mars 2014 par Barack Obama, et une réforme de l’ICANN est en cours en vue d’une gouvernance d’internet plus partagée.
Quant aux nouvelles extensions de noms de domaine, l’ouverture générale du .corsica est prévue pour le 16 janvier 2016.
SOURCES :
ANONYME, « Internet : lancement des noms de domaine en .vin et .wine », france24.com, publié le 5 novembre 2015, consulté le 29 décembre 2015, <http://www.france24.com/fr/20151105-internet-lancement-noms-domaine-vin-wine>
CORPET (C.), « Lancement des nouvelles extensions de noms de domaine internet en .vin et .wine », lemondedudroit.fr, publié le 10 novembre 2015, consulté le 29 décembre 2015, <http://www.lemondedudroit.fr/droit-a-entreprises/technologies-de-linformation/211094-lancement-des-nouvelles-extensions-de-noms-de-domaine-internet-en-vin-et-wine.html>
KREMER (J-B.), « Ouverture des nouvelles extensions .vin et .wine », cnaoc.org, publié le 30 octobre 2015, consulté le 29 décembre 2015, <http://cnaoc.org/ouverture-des-nouvelles-extensions-vin-et-wine/>
OUTREBON (T.), « Le forum de gouvernance de l’Internet va-t-il souligner les soucis crées par l’Icann ? », informartiquenews.fr, publié le 10 novembre 2015, consulté le 29 décembre 2015, <http://www.informatiquenews.fr/le-forum-de-gouvernance-de-linternet-va-t-il-souligner-les-soucis-crees-par-icann-41509#.VkRN_aah4o0.twitter>