Le 29 décembre 2015, les sociétés Paramount et CBS ont déposé une plainte auprès de la Cour fédérale de Californie à l’encontre de la société Axanar Productions pour contrefaçon de leur franchise « Star Trek ». La société visée par l’action est à l’origine du projet de fan-film intitulé « Axanar » qui avait fait l’objet d’une campagne de financement participatif considérable avec une collecte de près d’un million d’euros (£674,581). Alors que la production du fan-film était sensée être achevée en 2016, cette plainte rend l’avenir de cette oeuvre audiovisuelle incertain et pose la question de la protection des droits d’auteurs contre les fan-films, qui sont une pratique courante.
Une action fondée juridiquement contre une pratique largement acceptée par les studios
La réaction initiale à une telle situation peut être la surprise, étant donné que la production de « fan-films », c’est à dire la réalisation par des fans de films se déroulant dans l’univers d’une franchise pré-existante, n’est pas nouvelle et pour certains même aussi ancienne que la production des oeuvres elles-mêmes. Les exemples phares sont les franchises de science-fiction telles que Star Wars, Star Trek et Stargate qui ont déjà fait l’objet de nombreux fan-films. En ce qui concerne Star Wars, par exemple, il y a eu des films réalisés par des fans dès 1977 avec « Hardware Wars », lequel illustre des ustensiles de cuisine comme vaisseaux spatiaux, « Troops » qui parodie la série télévisée « COPS » et l’intègre dans l’univers Star Wars en mettant en scène des soldats impériaux affectés sur la planète Tatooine ou plus récemment « Star Wars: Threads of Destiny » (2014) qui montre le risque d’un nouvel affront entre les organismes dominant la galaxie 100 ans après le sixième épisode de la saga cinématographique officielle de « Star Wars ».
Cependant, au regard du régime juridique applicable, l’action de la Paramount et de la CBS n’est pas illégitime. Comme le droit français, le droit états-unien prévoit des exceptions au droit d’auteur. Mais contrairement au droit français, elles ne sont pas claires et limitatives et sont donc sujettes à interprétation. Elles se trouvent au Titre 17 du United States Code (USC) et notamment aux §101 et suivants. Les fan-films ne font pas partie des exceptions et doivent par conséquent recourir au §107 autorisant l’utilisation d’une oeuvre protégée par le droit d’auteur dès lors que l’usage qui en est fait est raisonnable (fair use). Le recours à cette notion est d’ailleurs systématique dès lors qu’une oeuvre s’inspire ou intègre partiellement une oeuvre originaire protégée par le copyright, comme l’illustre également le cas récent de l’artiste peintre et photographe américain Richard Prince, auquel il est reproché d’avoir porté atteinte aux droits d’auteur de Patrick Carion en photographiant les photographies de ce-dernier pour en faire une oeuvre nouvelle. Selon ce paragraphe, le juge est alors amené à apprécier cet usage à partir des critères suivants:
- l’objectif et la nature de l’usage qui ne doit pas être commercial ou à but lucratif
- la nature de l’oeuvre protégée
- la quantité et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble de l’oeuvre protégée
- les conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre protégée
En l’espèce, les sociétés à l’origine de l’action demandent la cessation de la production du long-métrage « Axanar », ainsi que des dommages et intérêts allant jusqu’à 150.000 dollars pour chaque élément contrefaisant (personnages, véhicules/vaisseaux, éléments de l’histoire etc.). Si le juge faisait droit à cette requête, les sommes à verser seraient largement supérieures à celles collectées pour la production du film contrefaisant. Afin de justifier cette demande, les demanderesses soulignent d’une part, ce qui est incontesté, que les défenderesses ont créé une oeuvre basée sur la franchise protégée « Star Trek » sans obtenir une autorisation quelconque de la part des détenteurs des droits exclusifs; et d’autre part, ce qui est plus intéressant, que les personnes mises en cause ont joui de « bénéfices financiers directs par le biais de la préparation, la duplication et la distribution des travaux Axanar » (Plainte émise par la Paramount).
Une action peu justifiée au regard des acceptations passées
Ce dernier argument peut faire l’objet de questionnement relatif à la nature même des fan-films, ainsi qu’à l’acceptation jusqu’alors de cette pratique, entre autres par Paramount elle-même qui n’a pas saisi le juge lors de la sortie des fan-films « Star Trek: New Voyages » et « Star Trek Continues ». En rapport avec l’exception du « fair use », les avocats considèrent que l’oeuvre en question ne respecte pas l’obligation de ne pas avoir d’objectif commercial et de but lucratif. Bien que ce ne soit pas explicité dans le document soumis à la Cour de Californie, les juristes font référence à la présence de « professionnels » du cinéma, c’est à dire de réalisateurs, comédiens et techniciens, qui en grande majorité font l’objet d’une rémunération. Il convient toutefois de noter, que le projet en lui-même ne génère pas de profit pour ceux qui en sont à l’origine et pour la société qui produit le film.
Deux choses sont à souligner. La première étant que ce n’est pas la première fois que des personnes sont rémunérées pour participer à un projet de fan-films. Ces films, par essence, ont beau être réalisés par des « fans », ces-derniers souhaitent rendre hommage à la franchise et par conséquent avoir de bons résultats. Or pour ce faire, il est nécessaire de consacrer du temps et du savoir-faire et au regard du nombre de personnes nécessaires à la réalisation d’un film, il est normal que certaines personnes soient rémunérées en conséquence. La seconde étant que la distinction entre « fan » et « professionnel » est fictive et n’a pas lieu d’être. En effet, certains arguent que le fait d’avoir été payé a pour conséquence que les personnes impliquées devaient être qualifiées de « professionnel » et les défaisait donc de toute qualité de « fan ». Le film n’étant ainsi plus un véritable fan-film. Ceci est une fiction inopportune puisque les deux qualifications ne sont pas exclusives l’une de l’autre. D’autant plus que force est de constater que la situation n’est en aucun point différente des fan-films pré-existants.
En revanche, la dimension et l’envergure de ce projet le distingue et crée cette situation quasiment inédite provoquant les sociétés à faire valoir leur droits de propriété intellectuelle. En effet, il convient de s’attarder un instant sur le critère des « conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre protégée ». L’année 2016 marque le 50e anniversaire de la franchise et à cette occasion Paramount sortira son long-métrage « Star Trek: Beyond ». Or la sortie cette même année du film « Axanar » qui a bénéficié d’un budget important ainsi que d’une production de qualité pourrait créer un certain parasitisme pour l’oeuvre officielle. Dans le prolongement de cette pensée, les avocats ont fait valoir que le fan-film pourrait créer une confusion sur l’origine des films et par conséquent sur les détenteurs des droits exclusifs. Bien que cet argument ne soit pas dénué de sens, il ne semble pas que le risque de parasitisme soit réel étant donné qu’il existe une différence fondamentale, à savoir que le film de la Paramount sera distribué en salle de cinéma et commercialisé, alors que le film d’Axanar Productions ne le sera pas et sera accessible gratuitement sur des plateformes de visionnage gratuites.
Quoi qu’il en soit, le producteur à l’origine du projet de fan-film a déclaré souhaiter trouver une solution à l’amiable d’autant plus qu’il avait fait la rencontre des responsables de Paramount et CBS après l’atteinte de l’objectif financier dans le but d’éviter tout problème juridique. Même s’ils ne lui avaient pas donné de feu vert expresse, ils ne lui avaient pas interdit de réaliser le projet. L’évolution et le dénouement de cette affaire sont à suivre, mais contrairement à la crainte de certains journalistes, elle ne créera pas de précédent si les juges californiens font droit à la demande de cessation de la production. Par le passé, des sociétés ont déjà interdit la production de fan-films, comme par exemple le fan-film « The Dead can’t be distracted » qui a été interdit par Marvel Studios. En fin de compte, il convient de constater que la pratique des fan-films est largement acceptée, dès lors que la qualité reste largement inférieure à celle des oeuvres originales.
Pour finir, contrairement au droit américain qui n’interdit pas formellement les fan-films et permet leur réalisation dès lors qu’il n’enfreignent pas certains critères, aucune disposition du droit français n’autorise cette pratique. En effet, le Code de la Propriété Intellectuelle énumère des exceptions limitatives au droit exclusif à l’article L.122-5. Les fan-films n’entrent dans aucune catégorie et sont donc soumis au droit commun. Pour autant, l’absence d’exception ne porte pas atteinte à cette pratique juridiquement interdite. Le dernier fan-film français notable étant « Dragon Ball Z: The Fall of Men », qui a récolté plus de 14 millions vues depuis sa sortie sur YouTube il y a deux mois. Celui-ci n’a pas eu de problèmes juridiques avec le propriétaire des droits Akira Toriyama.
SOURCES
Plainte de Paramount Pictures Corporation et CBS Studios Inc. contre Axanar Productions, Inc., «Star Trek Lawsuit», déposée le 29 décembre 2015, <https://www.documentcloud.org/documents/2660454-Startreklawsuit.html>
ANDERTON (E.), « Crowdfunded “Star Trek” Fan Film “Axanar’ Sparks Lawsuit from Paramount and CBS », slashfilm.com, mise en ligne le 31 décembre 2015, <http://www.slashfilm.com/star-trek-fan-film-lawsuit/>
CADOT (J.), « Un fan film Star Trek menacé par CBS et Paramount pour violation de copyright », numerama.com, mise en ligne le 3 janvier 2016, <http://www.numerama.com/pop-culture/136725-136725.html>
GARDNER (E.), « Crowdfunded “Star Trek” Movie Draws Lawsuit from Paramount, CBS », hollywoodreporter.com, mise en ligne le 30 décembre 2015, <http://www.hollywoodreporter.com/thr-esq/crowdfunded-star-trek-movie-draws-851474>
SMITH (A.), « “Star Trek” fan film sued for copyright infringement », money.cnn.com, mise en ligne le 31 décembre 2015, <http://money.cnn.com/2015/12/31/media/star-trek-axanar-cbs-paramount/>
VERHOEVEN (B.), « Why Star Trek fan film producers should have seen CBS Paramount lawsuit coming », thewrap.com, mise en ligne le 8 janvier 2016, <http://www.thewrap.com/why-star-trek-fan-film-producers-should-have-seen-cbsparamount-lawsuit-coming/>