Le projet de loi pour une République Numérique a été adopté en 1ère lecture mardi 26 janvier, à 356 voix contre une et 187 absentions. Si le texte a été salué pour certaines de ces dispositions qui visent à conférer de nouveaux droits aux internautes, tout en garantissant un meilleur accès à internet, certains de ses amendements ont pourtant été remis en cause.
Citons ainsi l’amendement concernant la liberté de panorama, mesure très controversée qui ajoute une exception au droit d’auteur.
Le principe de protection par le droit d’auteur des œuvres d’architectures et de sculptures
En France, l’article L.111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle énonce que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
A cet effet, l’article L.112-2 du code nous donne une liste non exhaustive de créations considérées comme des œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur, dès lors qu’elles sont originales. On retrouve ainsi, dans cette énumération, les œuvres d’architectures et de sculptures. De ce fait, la protection énonce alors qu’il est interdit de photographier ou diffuser l’image d’une œuvre architecturale, sans l’autorisation de son auteur, même lorsque celle-ci se trouve dans l’espace public.
Pour autant, rappelons qu’il n’est pas interdit de reproduire une photographie d’une œuvre architecturale lorsque celle-ci est utilisée dans un but privé. Sont donc exclus les utilisations à des fins commerciales.
Mais alors qu’en est-il des personnes qui diffusent sur internet, par exemple, leurs photos de vacances prises devant la tour Eiffel ou encore devant la pyramide du Louvre ?
En premier lieu, il est opportun de se poser la question fondamentale de savoir si les clichés ont été pris devant une œuvre intégrée au domaine public car si c’est le cas, la protection par le droit d’auteur ne pourra pas s’appliquer.
En effet, si un touriste prend une photographie devant la tour Eiffel, pas de problème, étant été créée il y a plus de 70 ans, cette œuvre célébrissime, symbole de la France, est entrée dans le domaine public depuis 1990, par conséquent, toute personne peut en jouir.
En revanche, se prendre devant la tour Eiffel de nuit et la diffuser sur un réseau social par exemple, est interdit puisque l’éclairage est protégé par le droit d’auteur et le droit des marques. Pour la pyramide du Louvre réalisée par l’architecte Leoh Ming Pei, ou encore l’arche de la Défense, c’est le même constat. Ces deux œuvres architecturales sont protégées par le droit d’auteur.
Cette limitation, excessive enfreint quelque peu la liberté du public à profiter du patrimoine culturel français, privé en ce sens de l’espace commun.
Dans la pratique, les juges n’ont encore jamais prononcé de condamnations contre un utilisateur lambda, qui se serait pris en photo devant une œuvre placée dans l’espace public. Pour autant, cette exception n’étant pas inscrite dans le code, elle est source d’insécurité juridique. Cependant, la jurisprudence admet depuis nombreuses années, qu’une œuvre architecturale située dans un lieu public puisse être licitement diffusée, même en totalité, à la condition qu’elle ne constitue pas le sujet principal. On parle alors de théorie de l’accessoire, validée par la cour de cassation en 2005, dans l’affaire de la Place des Terreaux.
Par hypothèse, il est alors possible qu’un touriste qui s’immortalise devant un monument bénéficie de cette exception, dès lors que le sujet principal est lui même et non l’œuvre architecturale. Étant une hypothèse, il était donc essentiel de créer une exception inscrite dans le code pour sceller une liberté de panorama, déjà reconnue dans différentes législations européenne, telles que l’Allemagne ou encore l’Espagne.
L’insertion d’une nouvelle exception au droit d’auteur restreinte à des fins non lucratives
Cette exception au droit d’auteur, née en 1876 en Allemagne, autorise à reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l’espace public ; à savoir que c’est une exception optionnelle prévue par la directive européenne sur le droit d’auteur en 2001, donnant donc la possibilité aux états de la transposer ou non.
Toutefois, il faut préciser que cette liberté de panorama doit cependant être limitée aux « œuvres architecturales et aux sculptures placées en permanence sur la voie publique ». Cette restriction est imposée par l’article 5, paragraphe 3 (h) de ladite directive. Ainsi, une œuvre d’art telle qu’une photographie, un tableau ou les œuvres street art placées temporairement sur la voie publique, ne rentrerait pas dans ce cas de figure.
D’autre part, cette liberté diffère selon le pays où l’on se trouve. En effet, cette exception au droit d’auteur peut concerner les œuvres d’art ou les œuvres d’architecture, ou être encore plus liberticide en incluant les deux possibilités.
Mais concernant la France, la liberté de panorama n’a jamais été consacrée puisque déjà rejetée par deux fois ; une fois lors de la transposition de cette directive par la loi DADVSI en 2006, et une seconde fois lors de l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi sur la copie privée.
Cela va certainement changer puisque le jeudi 21 janvier, la commission des affaires culturelles a adopté en première lecture, l’amendement porté par Luc Bélot, rapporteur des lois, pour intégrer au CPI, la liberté de panorama. Si à l’origine, Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique était d’accord pour intégrer cette disposition, elle avait énoncé par la suite que le sujet devait être réglé au niveau européen. Mais c’était sans compter sur Wikimédia France qui a profité de la consultation publique pour demander à nouveau l’intégration de la liberté de panorama.
Avec l’adoption de cet amendement, l’article L.122-5 du CPI intégrerait donc un dixième alinéa aux exceptions déjà présentes afin d’autoriser « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des particuliers à des fins non lucratives ».
À la lecture de ce texte, il convient donc d’énoncer que ces prises de vue seront licites, si elles répondent à quatre conditions cumulatives. Ne seront alors concernées que les œuvres architecturales ou sculpturale (condition première), placées en permanence sur la voie publique (seconde condition), et seuls les particuliers pourront diffuser les clichés (troisième condition). Ainsi, par exemple, une association ne pourrait se prévaloir d’une telle exception, et si une personne partage une photo, elle ne pourra être reprise par un photographe professionnel ou une société, au motif de cette liberté. C’est le but non commercial que l’on vise ici.
Effectivement, l’amendement adopté a restreint la liberté de panorama à des fins non lucratives (quatrième condition) contrairement aux deux amendements précédemment proposés par les élus écologistes et socialistes, qui souhaitaient eux une liberté « totale » soit en ne limitant pas cette exception à un usage particulier et non lucratif.
Évidemment, ces deux amendements ont été rejetés lors du vote de l’assemblée car, l’objectif avec la liberté de panorama est de trouver un juste équilibre entre le droit d’auteur et le droit du public à profiter des biens présents sur l’espace public. A contrario, le but n’est pas de déposséder les architectes et les sculpteurs de la protection à laquelle ils ont droit.
Enfin, la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques a salué le compromis offert par cet ajout dans le code ; elle rappelle cependant que « la mise en place d’une nouvelle exception au droit d’auteur est toujours une expropriation des créateurs ».
En revanche, la directrice de Wikimédia France, Nathalie Martin a énoncé quant à elle que l’une des conditions avancées rend le texte inopérant.
La remise en question du caractère non lucratif par Nathalie Martin
Pour la directrice exécutive de Wikimédia France, ce texte est décevant car il est ambigu. En effet, cette dernière qui voulait une liberté étendue, a énoncé que « sur internet, c’est compliqué de dire ce qui est lucratif et non lucratif ».
Nathalie Martin a pointé du doigt les conditions d’utilisations des réseaux sociaux et celles de Wikipédia, et du fait que ces services usent de la publicité. Elle dénonce effectivement que « La licence de Wikipédia prévoit l’utilisation commerciale des contenus. Nous espérons que l’amendement ira plus loin en seconde lecture à l’Assemblée ».
Il est opportun de dire que l’édition française de Wikipédia est l’une des plus pauvres en photographies de monuments. L’argument de Nathalie Martin est juste car cet amendement ne prend pas en compte la célèbre encyclopédie du net qui permet entre autre de mettre en avant le patrimoine français.
Ainsi, si l’exception de panorama est adoptée définitivement, on ne pourra que se réjouir de cette avancée législative, d’une part car elle répond à une situation quelque peu absurde, et d’autre part, cette nouvelle exception permettra d’harmoniser les législations en Europe. Enfin, comme l’ont énoncé les écologistes, « la liberté de panorama permettrait des retombées économiques pour le tourisme en France, et pour les artistes aux mêmes à travers l’obtention de nouvelles commandes ». Les français et les touristes en général ne peuvent qu’applaudir cette nouvelle adoption (ne nous réjouissons pas trop vite et attendons la seconde lecture) dont l’absence était synonyme d’une certaine privatisation de l’espace public.
SOURCES
COUTAGNE (G.), « Qu’est ce que la liberté de panorama, disposition controversée de la loi numérique ? », lemonde.fr, publié le 19 janvier 2016, mis à jour le 21 janvier 2016, consulté le 15 février 2016, <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/01/19/qu-est-ce-que-la-liberte-de-panorama-disposition-controversee-de-la-loi-numerique_4850027_4408996.html>
REES (M.), « À peine reconnue, la liberté de panorama déjà sous les barreaux », nextinpact.com, publié le 22 janvier 2016, consulté le 15 février 2016, <http://www.nextinpact.com/news/98206-a-peine-reconnue-liberte-panorama-deja-sous-barreaux.htm>
VALLERIE (E.), « La liberté de panorama progresse mais Wikipédia reste sur sa faim », ouest-France.fr, publié le 2 février 2016, consulté le 16 février 2016, <http://www.ouest-france.fr/economie/photos-dimmeuble-la-liberte-de-panorama-progresse-un-peu-4010612>
LAUTRÉAMONT (A.), « Liberté de panorama : une loi vraiment utile ? », exponaute.com, publié le 22 janvier 2016, consulté le 16 février 2016,<http://www.exponaute.com/magazine/2016/01/22/liberte-de-panorama-une-loi-vraiment-utile/>