La loi pour une République Numérique promulguée le 7 octobre 2016, a enfin permis la pénalisation du phénomène de « revenge porn ». Le revenge porn ou vengeance pornographique est le fait de diffuser publiquement sur des réseaux sociaux ou sur des sites dédiés, des photos ou vidéos d’une personne nue ou sexualisée sans son consentement. L’intention de cette divulgation est clairement l’humiliation de la personne visée. Le revenge porn n’était jusqu’à lors pas répréhensible sur le plan pénal, bénéficiant d’un vide juridique déconcertant pour toutes les victimes. Selon Marie-Joseph Chénier, « La défense est de droit, la vengeance est infâme ».
Imaginez-vous … vous vous prenez en photo dans une pause sexy ou votre amant(e) de l’époque le fait, dans la confiance que confère une relation amoureuse et le jeu de séduction qui se met en place. Puis, la relation prend fin et l’amant(e) éconduit(e) ne l’acceptant pas, décide de se venger en publiant ces clichés sur le web (dans 90% des cas, ce sont des hommes qui publient). Bien souvent, la publication de ces photos s’accompagne de votre nom, votre adresse, votre profession ainsi qu’une description de vos moeurs sexuelles…
Sans subir de violence physique, les épisodes de revenge porn peuvent être comparés comme un viol, et même un viol collectif, les vidéos devenant (trop) souvent virales et cumulant les milliers de vues. Cette immixtion dans la sphère privée intime aboutit à un sentiment de honte, à l’issue parfois dramatique. En septembre 2016, l’italienne Tiziana Cantone s’est suicidée, un an et demi après qu’une vidéo de ses ébats sexuels fut diffusée sur internet. Les réseaux sociaux ont permis une circulation fulgurante de la vidéo qui fut visionnée plus d’un million de fois sous les regards concupiscents des internautes.
Le déconcertant vide juridique français entraînant l’imparfaite répression du revenge porn
Ce phénomène sociétal mondial a été encadré en Israël dès 2014. Le Canada, certains états fédérés américains ainsi que le Japon ou encore le Royaume-Uni en 2015 se sont dotés de textes condamnant le revenge porn. En France, le dispositif juridique s’est révélé inadapté pour condamner pénalement le « revenge porn » donnant lieu à un vide juridique. Les divers articles du code pénal sur l’atteinte à la vie privée ne sanctionnaient pas précisément le revenge porn.
Un arrêt du 16 mars 2016 rendu par les Hauts magistrats a illustré le vide juridique de la loi pénale française. En espèce, un homme avait pris en photographie son ex-compagne nue et enceinte. Suite à leur rupture, il a diffusé sur internet, sans son accord, le cliché. S’étant constituée partie civile, la jeune femme a vu la juridiction d’appel lui donner raison et expose que « le fait, pour la partie civile, d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée ».
Les Hauts magistrats, sur le fondement de l’article 226-2 du Code pénal, casse la décision des juges du fond au motif que « le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers, soit des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, soit l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé, n’est punissable que si l’enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le contentement de la personne concernée ».
La rédaction antérieure de l’article 226-1 du Code pénal ne permettait pas de réprimer le revenge porn. A différents niveaux, le revenge porn échappait à la pénalisation.
- Tout d’abord, sur la notion de consentement lors de la prise en photo ou en vidéo : le problème se situe au niveau de la présomption du consentement. La personne ayant consenti à la captation, les magistrats considèrent qu’une fois accordé son consentement, il doit être présumé pour les futures diffusions. L’article ne dissociait pas le consentement lors de la prise en photo dans un cadre intimiste et l’absence d’accord de la personne lors de sa divulgation sur le web.
- De plus, l’article ne prévoyait la fixation d’un cliché que dans un « lieu privé ». Ainsi, toutes les photographies ou vidéos à caractère sexuel prises dans un lieu public ne pouvaient pas rentrer dans le cadre de cette loi.
Les juges de la Cour de cassation ont retenu l’interprétation stricte de la loi pénale, la jeune femme nue et enceinte était consentante lors de la prise en photographie. Ainsi, son consentement est présumé quant à la diffusion sur le web. L’interprétation des juges du fond peut être critiquée. Sur la forme, cette décision semble en décalage complet avec la réalité numérique. Il apparaît de manière non équivoque que le destinataire initial de la photographie était son compagnon et non la communauté tout entière du web. Le cadre était intimiste, propice à se laisser prendre en photo. Elle lui avait tout simplement accordé sa confiance.
A l’ère du cyberharcèlement et de la cybercriminalité, la désinvolture par laquelle les vengeurs décomplexés mettent en ligne ces vidéos se devait de trouver une réponse pénale adaptée.
Les apports de la loi pour une République Numérique pénalisant enfin le revenge porn
A l’occasion de la lecture de la loi pour une République Numérique, le député Sergio Coronado dans une communication publiée sur Facebook, fait part de son voeu de renforcer la sanction face à ce phénomène. Quelques députés ont donc déposé un amendement en vu de durcir les sanctions pénales et de définir le délit de revenge porn. Ils auront gain de cause, le 7 octobre 2016, la loi pour une République Numérique est promulguée, avec en son sein un délit portant sur le phénomène de revenge porn.
L’article 33 quater du projet de loi amendé (examen du Sénat) prévoit la création de l’article 226-2-1 du Code pénal. Une innovation car le champ de l’infraction est étendu. Juridiquement, le revenge porn est donc « le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1 ». De plus, le législateur en a profité pour créer une circonstance aggravante en portant les peines à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende (Code pénal, 226-2-1, al. 2) lorsque le délit porte sur des « paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu privé ou public ».
De la sorte que, si une personne montre à un tiers ou à un public en utilisant des réseaux, de e-mails, de textos des images ou vidéos ayant un caractère sexuel explicite, elle commet une infraction. Le texte prévoit également que la divulgation peut concernée soit une seule personne, soit un groupe d’individu, la personne sera réprimandée dans les deux cas.
En plus des dispositions législatives, certains hébergeurs de contenus ont mis en place des systèmes pour prévenir le revenge porn. Ainsi, la plateforme de contenus pour adultes « Pornhub » a mis en place un outil permettant aux visiteurs de signaler des vidéos de revenge porn et de la retirer rapidement (en 24h ou 48h). La limite à ce système apparaît clairement : il faut que la victime elle-même ou quelqu’un l’a reconnaissant fasse le signalement. Google a également mis en place un système similaire.
Avec la maîtrise des outils technologiques qui s’acquiert de plus en plus jeunes, l’augmentation d’histoires sordides à propos de vengeance pornographique sont révélées. Un sondage révèle qu’au moins une jeune fille sur quatre a été victime de chantage par rapport à des photographies de nues ou sexualisées, ou encore lié à la pratique du sexting (envoi électronique de messages textes ou photos ayant un caractère sexuel explicite). Ces phénomènes de harcèlement sur le web, notamment le chantage à partir de vidéos précédemment prises est désormais punissable.
Aux Etats-Unis, il n’est pas rare de voir des images de nudités ou de rapports sexuels circulés sur le web (affaire Celebgate). Un site détenu par l’américain Hunter Moore, « IsAnyoneUp.com » recensait des vidéos ou images de revenge porn, envoyés par les amant(e)s éconduit(e)s eux-mêmes. Après une rupture, cet américain avait mis en ligne des photos de son ex-copine. Il est d’ailleurs considéré comme l’instigateur du revenge porn. Son site a connu un tel succès qu’il l’a fait fructifier (plusieurs dizaine de milliers de dollars de revenus par mois) en donnant « l’opportunité » à d’autres personnes d’humilier en ligne leurs anciennes compagnes. Ce site a depuis été fermé mais cumulait quelques 30 millions de vues par mois. En France, la scène médiatique a été confrontée à ce phénomène avec les révélations de la nageuse Laure Manaudou ou encore certains footballeurs…
Une association américaine « EndRevengePorn » a été créée après que sa PDG fut victime de son ex-compagnon. Elle milite pour la reconnaissance de ces agissements et recommande vivement le visionnage du documentaire produit par Netflix « Audrie and Daisy », victimes de viol mais aussi du cyberharcèlement qu’elles ont subi à la suite de cet épisode traumatisant. Le visionnage de ce documentaire démontre la force ravageante du cyberharcèlement et la destruction tant mentale que physique qu’elles ont subi.
Une autre voie de recours est également possible afin d’endiguer la propagation des contenus : le droit au déférencement. Il s’agit pour les victimes de demander le déférencement auprès des moteurs de recherches; les contenus de revenge porn étant manifestement attentatoires à la vie privée. Le droit au déférencement est une moindre mesure puisqu’il ne permet pas de supprimer à proprement parler les informations sur le site internet source. Il permet seulement la suppression de certains résultats de recherche lors d’une requête associant votre nom et prénom auprès d’un moteur de recherche. Les vidéos ou photographies de revenge porn s’accompagnant très souvent de l’identité de la victime, le droit au déférencement permettrait ainsi d’éviter la propagation virale du contenu.
En 2016, les femmes sont toujours en proie à des comportements inadmissibles visant à l’humiliation. Le revenge porn est un acte abject, détruisant la réputation et la e-réputation, l’estime de soi à des niveaux tellement différents qu’il conduit à des actes désespérés. Ce type de comportement doit cesser, espérons que les nouvelles sanctions pénales dissuaderont les éventuels vengeurs.
Sources :
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