Le 23 novembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur la communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers. Elle a été adoptée avec 304 votes pour et 179 contre. Ce rapport avait en outre été largement validé par la Commission des Affaires étrangères qui l’avait diffusé publiquement. Le Parlement européen y dénonce une « propagande » de plus en plus virulente à l’encontre de l’Union. La résolution invite à agir « contre les campagnes de désinformation et de propagande de la part de pays comme la Russie et d’acteurs non étatiques comme l’État islamique Al-Qaida et d’autres groupes terroristes djihadistes violents ».
Bien que n’ayant aucune force contraignante pour les Etats membres de l’Union européenne, cette résolution est éminemment politique et invite les Etats à agir dans ce domaine. À l’Est, cette résolution a fait couler beaucoup d’encre, certains y voient déjà une attaque à l’encontre de la liberté d’expression quand d’autres s’inquiètent d’une atteinte au travail journalistique des médias russes. S’exprimant sur le sujet, le Président Vladimir Poutine estime que cette résolution est un signe de dégradation de l’idée de démocratie en occident.
Pourtant, « la propagande hostile et la désinformation dirigées contre nos sociétés par le Kremlin et des acteurs non étatiques tels que Daech existent de fait » a indiqué le rapporteur du texte Anna Fotiga. Le seul moyen de leur faire barrage efficacement est avant tout d’être capable de les identifier ajoute-t-elle. Les députés invitent d’ailleurs à se mobiliser en faveur d’une sensibilisation, d’une éducation, et d’une information qui permettraient aux citoyens européens d’analyser les contenus des médias d’une manière critique.
Quels moyens faudrait-il mettre en œuvre pour lutter contre la désinformation sans limiter la liberté l’expression ? Comment faire la différence entre une critique légitime dans une société démocratique, un mauvais traitement de l’information et un acte de propagande ? Quels enjeux pour le droit du public à recevoir une information de qualité ? Autant de questions que la lutte contre la « propagande » soulève et qui font ressurgir dans nos sociétés démocratiques le spectre de l’affrontement idéologique et médiatique suscité en son temps par la guerre froide.
Une résolution européenne visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers
Le texte affirme que « la propagande hostile contre l’UE et ses États membres vise à dénaturer la vérité, à provoquer le doute, à diviser l’Union et ses partenaires nord-américains, à paralyser le processus décisionnel, à discréditer les institutions européennes et à susciter la peur et l’incertitude parmi les citoyens européens ».
La guerre d’information, aussi ancienne soit-elle et largement menée pendant la guerre froide ne semble pas pour autant s’être éteinte. Après l’annexion de la Crimée par la Russie, la politique russe dans le Donbass et les stratégies de communication et de propagande à l’origine de groupes islamistes, il est apparu nécessaire aux députés européens d’intensifier la lutte contre les actions de désinformation. Le texte l’énonce explicitement : « La Russie joue un rôle plus actif dans l’environnement médiatique européen, afin de créer dans l’opinion publique européenne un soutien politique en faveur de l’action russe et de nuire à la cohérence de la politique étrangère de l’Union ». En outre, la stratégie de désinformation à l’encontre de l’Union européenne prend des formes variées et implique les médias traditionnels comme les réseaux sociaux, les partis politiques et même les programmes scolaires, à l’intérieur de l’Union ou en dehors.
Par ailleurs, le Parlement estime que la Russie injecte dans ces opérations de désinformation des sommes importantes, directement ou par l’intermédiaire d’entreprises ou d’organisations qu’elle contrôle. La résolution nomme les principaux médias russes qui menacent les européens. Il s’agit de l’agence de presse Sputnik, du service de média RT et de la chaîne de télévision Russia Today en particulier. Aux yeux des rédacteurs, ces services se livrent à la diffusion d’informations fondées sur une interprétation manipulée des évènements historiques dans le but de justifier les actions géopolitiques du Gouvernement Russe.
Pour contrer ces diverses menaces, les États membres de l’Union européenne sont invités à réagir à ce phénomène en faisant de la communication stratégique une priorité. La coopération entre les États membres est la clé.
Communication stratégique ou propagande, la frontière sémantique entre ces deux notions peut cependant s’avérer étroite si bien que distinguer l’une de l’autre peut sembler difficile. Il serait en effet malaisé et contre productif de faire front à la propagande en y ayant soi-même recours. Afin d’y voir plus clair, les eurodéputés misent sur l’éducation et la sensibilisation des citoyens européens.
Entre risque de censure et menace de désinformation, une liberté d’expression malmenée
La réaction des principaux médias visés par la résolution ne s’est pas faite attendre. Selon eux le Parlement s’est livré à des accusations sans fondements ni preuves assimilant des médias Russes avec des actions du groupe terroriste État islamique. Pour la rédactrice en chef de l’agence Sputnik, la résolution frappe un certain nombre de médias réputés et se trouve en désaccord avec les normes de l’UE dans le domaine des droits de l’homme et de la liberté des médias telles que l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Certains médias alternatifs vont même jusqu’à parler de censure. Sans surprise, ce sont de la part des agences visées par la résolution qu’émanent les critiques les plus vives à son égard.
Pourtant, dans ce rapport est soulignée la nécessité de renforcer l’objectivité et le pluralisme des médias ainsi que l’indépendance et l’impartialité des médias dans l’UE et son voisinage. Pour le Parlement, la promotion de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et le droit d’accès à l’information sont les visas d’une action de l’Union visant à contrer la propagande.
Le rapport souligne que « l’incitation à la haine, à la violence ou à la guerre ne peut pas se cacher derrière la liberté d’expression ».
Force est de constater que loin d’une censure à l’égard de certains acteurs relayant une information qualifiée de propagandiste, le Parlement européen souhaite mettre en garde des dangers d’une information dont la fiabilité, l’objectivité ou encore l’honnêteté est plus que douteuse. En ce sens il serait souhaitable d’encourager l’éducation et la formation au journalisme à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe, comme le souligne la résolution « afin de produire une analyse journalistique de qualité et un niveau élevé d’exigence rédactionnelle ». Selon les députés européens de la commission des affaires étrangères, la propagande mise en place par certaines organisations terroristes ainsi que par la Russie à l’égard de l’UE utilise les médias afin de déformer la vérité, provoquer la peur et diviser l’Union. Ce n’est donc qu’en sensibilisant l’opinion publique et en éduquant les citoyens européens sur ces dangers que cette propagande peut être contrée. En ce sens, les critiques à l’encontre de cette résolution émanant de certains médias russes n’hésitant pas à parler de censure ou d’utilisation d’une propagande au motif de la contrer sont quelque peu exagérées.
La liberté d’expression exige, en Europe comme ailleurs, qu’on puisse faire la libre critique d’un événement ou d’une politique. En revanche, faire la distinction entre critique et propagande s’avère parfois être délicat, surtout lorsque d’éventuelles manipulations visant à exacerber cette critique poussent à remettre en doute la pertinence du message véhiculé. Il n’est pas non plus évident de faire la différence entre maladresse journalistique, défense de conviction et propagande. « Les convictions sont des ennemies de la vérité plus dangereuses que les mensonges » disait Friedrich Nietzsche. Une telle politique pourra porter atteinte à la liberté d’expression en faisant l’amalgame entre des journaux alternatifs sérieux et des journaux effectivement en faveur d’une manipulation de l’information.
Il est donc important que les citoyens européens puissent identifier les acteurs de la désinformation. Pour le rapporteur Anna Fotyga, cette résolution « constitue une étape très importante pour sensibiliser les individus à ce problème, au sein de l’Union européenne ainsi que dans les Etats membres ». « Le Parlement européen ne peut pas rester silencieux sur une question aussi vitale pour la sécurité européenne » ajoute t-elle.
Attendons maintenant de voir qui gagnera la guerre de la désinformation : La politique de l’Union européenne ? Les acteurs de la désinformation comme le Kremlin ou les organisations terroristes ? La liberté d’expression et le droit du public à recevoir une information de qualité ?
SOURCES
MIELCAREK (R.), « Accusé de propagande, Sputnik tombe dans la caricature », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 28. 11. 2016, consulté le 29. 11. 2016, <http://www.huffingtonpost.fr/romain-mielcarek/romain-mielcarek/accuse-de-propagande-sputnik-tombe-dans-la-caricature/>
DRUZHININ (A.), « Les eurodéputés fustigent la « propagande » anti-européenne de Moscou », rfi.fr, mis en ligne le 23. 11. 2016, consulté le 24. 11. 2016, <http://www.rfi.fr/europe/20161123-parlement-europeen-fustigent-resolution-propagande-russie>
KAMENKA (V.), « Russie. L’Europe n’accepte plus la liberté d’expression », humanite.fr, mis en ligne le 25. 11. 2016, consulté le 25. 11. 2016, <http://www.humanite.fr/russie-leurope-naccepte-plus-la-liberte-dexpression-627181>
PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution du 23 novembre 2016, A8-0290/2016 : « communication stratégique visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers », europarl.europa.eu, consulté le 24. 11. 2016, <http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2016-0441+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR>