L’usage des robots se démocratise dans nos comportements quotidiens. Catherine Simon, spécialiste du marché mondial de la robotique, avance certains chiffres clés, témoignant de l’importance du phénomène. En effet, celui-ci représentait pour l’année 2014 près de 10,7 milliards de dollars, avec une forte croissance de 29% en un an. Dans cette course folle à la vente de robot, l’Asie se trouve en première position, suivi de l’Europe. Les secteurs les plus porteurs étant l’automobile, l’électronique et la métallurgie.
Ainsi, tant au sein du cadre professionnel que personnel (domestique), la robotique et l’intelligence artificielle ont fait leur apparition, amenant avec eux des conséquences et de nouvelles problématiques philosophiques, éthiques, sociales et juridiques, notamment en terme de responsabilité. C’est dans ce contexte que fut présenté à la commission des affaires juridiques européennes en mai 2016 par l’Eurodéputé, Mady Delvaux, un rapport contenant des recommandations sur les règles de droit civil de la robotique.
Ce rapport présente la mise en place d’un cadre légal en la matière comme une urgence liée à la multiplicité de ces outils ainsi qu’à leurs impacts économiques. Néanmoins, au-delà des questions de responsabilité émergente et encore sans réponse, si l’Union Européenne souhaite aujourd’hui instaurer une règlementation unique et harmonisée, c’est avant tout pour devancer les pouvoirs nationaux des pays étrangers qui envisagent d’établir des règles auxquelles l’Union devrait se conformer.
Le 12 janvier 2017, ce rapport, après plusieurs amendements de compromis, a été adopté avec 17 voix pour, 2 contres et 2 abstentions. Il ne s’agit là que de la première étape qui pourrait ne pas aboutir, mais il s’agit tout de même d’un pas vers une législation dont l’ambition est de résoudre les problématiques liées au respect des normes éthiques et à la responsabilité en cas d’accident.
Une proposition innovante et controversée en termes de responsabilité
Jusqu’à présent, en cas d’accident, la responsabilité était essentiellement une responsabilité contractuelle, bien que la jurisprudence ait déjà étendu cette dernière. Dans l’arrêt de la cour d’Appel de Reims du 24 janvier 2001, une société a été condamnée pour défaut de conception d’un logiciel de gestion qui a été commercialisé. Entre autres, la société a dû verser une indemnité pour trouble de gestion lié au préjudice subi et qui relève donc de la responsabilité délictuelle. Ainsi, plusieurs personnes peuvent être tenues pour responsables, qu’il s’agisse du fabricant, du concepteur, du fournisseur ou encore du distributeur.
Maintenant, avec l’autonomisation accrue des robots et de l’intelligence artificielle, les problématiques liées à la responsabilité sont mises en exergue et l’appartenance juridique est débattue. Ce débat se concentre autour de la création d’une personnalité juridique. Le rapport Delvaux propose de lui appliquer une “personnalité électronique” permettant aux robots d’avoir le même statut que les entreprises et de clarifier les responsabilités en cas d’accident.
Cette qualification implique des droits, devoirs ainsi que la possibilité d’agir en justice, les opposants à cette qualification invoquent la personnalisation de la machine qui ne peut pas être responsable car il s’agit d’une obligation juridique propre à l’homme, en ce sens, cette proposition est une révolution anthropologique.
Tous les robots ne sont pas concernés par le texte, il ne cible que les véhicules autonomes, les drones, les robots industriels, les robots de soins et ceux de divertissement, la catégorie des robots pouvant être utilisée comme des armes est exclue.
Dotés d’une personnalité juridique, les robots les plus évolués, les plus autonomes, permettent la déresponsabilisation de leurs fabricants. L’exemple le plus concret est celui de la voiture connectée sans conducteur, qui pourrait causer des accidents, il faudrait alors un régime d’assurance obligatoire et un fonds de garantie pour dédommager les victimes d’accidents provoqués par ces véhicules. Ainsi, la responsabilité du robot croît au détriment de celle du fabricant. Il n’y aurait qu’un régime de responsabilité limitée pour les fabricants, programmeurs, propriétaires, utilisateurs…
Mady Delvaux reconnaît que cette proposition, si elle était définitivement adoptée, mettrait du temps à être mise en œuvre dans l’espace européen, mais en attendant deux possibilités s’ouvrent à nous en matière civile :
Soit c’est le fabricant qui est tenu pour responsable et qui pourra par la suite se retourner vers ses fournisseurs ;
Soit un système d’évaluation des risques préalables est instauré et une compensation à laquelle toutes les parties contribuent est créée.
Ces règles de responsabilité seraient intégrées dans un code d’éthique volontaire qui, à titre d’exemple, proposeraient l’insertion d’un bouton « d’arrêt d’urgence » sur tous les robots afin de pouvoir les mettre aisément hors circuit.
Parallèlement aux effets directs en matière de responsabilité en cas d’accident, un robot doté d’une personnalité permettrait également l’existence d’une fiscalité. Cette proposition a été reprise par Benoît Hamon qui souhaite voir les robots soumis à l’impôt ainsi qu’aux cotisations sociales.
De plus, une problématique demeure. Selon les lois de la robotique de l’écrivain Isaac Asimov un robot :
- Ne peut pas porter atteinte à l’être humain
- Obéis aux ordres des humains
- Protège son existence
Dans l’hypothèse où le robot doit faire un “choix” entre plusieurs vies humaines à sauver, comment faut-il le programmer ? Selon quels critères le choisir ?
La robotisation, un facteur de mutation sociale
Il est prévisible que l’impact de la robotisation sur la société va être considérable, notamment en matière d’emploi. Le remplacement de l’homme par les robots, risque de provoquer des effets néfastes pour l’avenir de l’emploi et la viabilité des régimes de sécurité sociale. Certaines professions seraient amenées à disparaître et dans ce cas, il faudrait assurer aux personnes sans emploi une vie décente. Pour permettre cela, l’imposition des robots, déjà citée précédemment, viserait à alimenter un fonds de soutien à la reconversion des chômeurs pour maintenir une certaine cohésion sociale.
Notons que l’Union Européenne mentionne timidement l’hypothèse d’un revenu universel européen qui permettra d’assurer le bien-être social mais qui, pour le moment, relève encore d’une certaine utopie.
Parallèlement à la disparition de certains emplois, d’autres se développeraient, voir apparaîtraient. Il s’agit d’emplois liés aux nouvelles technologies, innovations, développement… dont les formations sont spécifiques. Le rapport souligne d’ailleurs qu’en « 2020, 90% des emplois nécessiteraient de posséder des compétences numériques de base ».
Il y a donc ici un véritable défi éducatif afin de s’adapter au nouveau marché du travail émergent, car force est de constater qu’aujourd’hui de nombreuses lacunes sont à relever dans l’apprentissage des outils numériques.
Alain Bensoussan, Président de l’association du droit des robots et avocat en droit des nouvelles technologies, met en lumière un autre aspect de l’impact social des robots, « les robots domestiques sont en quelque sorte des concentrateurs d’intimité. Ils créent de l’empathie avec les humains en interagissant avec eux au quotidien ». Afin d’éviter ou tout au moins de limiter les risques de dépendance affective, le rapport propose la création d’une charte.
Pour répondre aux problématiques restantes ou susceptibles d’apparaître, ce projet propose l’instauration d’une agence européenne pour la robotique et l’intelligence artificielle, destinée à fournir l’expertise technique, éthique et règlementaire nécessaire pour soutenir les acteurs publics concernés.
Une législation acquise ?
Bien que le rapport ait été adopté ce mois-ci par la commission des affaires juridiques, il ne s’agit que d’un projet qui doit faire maintenant l’objet d’un vote du parlement européen réuni en assemblée plénière. Ce vote est programmé pour le mois prochain et aucune contrainte ne pèse sur les députés qui peuvent encore librement rejeter ce rapport. Dans cette hypothèse, le parlement européen devra exposer les motifs de son refus.
Affaire à suivre…
SOURCES :
DE JAEGER (J-M), « La personnalité juridique des robots en question au parlement Européen », 24 juin 2016, le Figaro
DELVAUX (M), « Projet de Rapport <Titre>contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique »</Titre>, 31 mai 2016, 24 pages