Depuis 2013, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale sont équipés de caméras « boutonnières », aussi appelées « caméras-pétons ». Ces caméras se situent au niveau de la poitrine des agents et sont donc mobiles, contrairement aux caméras de vidéoprotection installées sur la voie publique. En 2015, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a, dans son rapport annuel, affirmé la nécessité de créer un encadrement législatif spécifique à ces caméras mobiles. A cette occasion, elle a émis plusieurs recommandations afin d’éviter toute entrave à la vie privée. Cependant, une partie de ses conseils n’a pas été suivie par le législateur, ce qu’elle rappelle au gouvernement dans un avis publié le 27 décembre 2016.
Le droit applicable en matière de vidéosurveillance depuis 1978
Concilier le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public a toujours été une question délicate. Afin d’éviter toute atteinte disproportionnée à la vie privée, la loi impose de longue date, de nombreuses formalités et obligations à toute personne disposant d’un système de vidéosurveillance.
Lorsque le lieu placé sous vidéosurveillance est un lieu public ou un lieu privé ouvert au public, il est nécessaire d’obtenir une autorisation préfectorale d’après la loi du 21 janvier 1995 et/ou, de déclarer l’équipement à la CNIL si le système de videosurveillance enregistre ou traite les images dans un fichier et permet d’identifier les personnes filmées (loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004).
Concernant les obligations du responsable du traitement, il se doit d’informer les personnes concernées que leurs données à caractère personnel font l’objet d’un traitement. En ce qui concerne la vidéosurveillance, cela peut se traduire par un signal visuel sur la caméra, comme une diode rouge, prouvant qu’elle enregistre. Le public doit également être informé du nom de la personne responsable, du nom du destinataire des images et des modalités d’exercice de son droit d’accès aux images.
En outre, toute personne qui le souhaite peut demander au responsable d’avoir accès aux enregistrements qui la concernent et de vérifier que les images ont été effacées dans le délai légal. Ce droit peut être refusé pour des motifs de sûreté nationale.
La durée de conservation des images doit être déterminée et ne peut dépasser 1 mois.
Enfin, le dispositif mis en place doit être proportionnel au but recherché.
Cependant, ces obligations générales concernant les traitements informatisés de données à caractère personnel sont difficilement applicables aux caméras de surveillance, et à plus forte raison, lorsqu’elles sont mobiles.
La nécessaire création de dispositions spécifiques applicables aux caméras-piétons
L’installation de caméras sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public soulève, en général, de nombreuses questions en matière de respect des libertés individuelles.
Les systèmes de vidéosurveillance pouvant naturellement porter atteinte à la vie privée, le législateur avait dans un premier temps, encadré la mise en œuvre des dispositifs de vidéoprotection fixes installés sur la voie publique. Cependant, les dispositions du code de la sécurité intérieure (CSI) prévues en la matière étaient, pour la CNIL, difficilement applicables aux caméras embarquées. C’est pourquoi dès 2015, cette dernière a affirmé la nécessité de mettre en œuvre un encadrement législatif spécifique, afin d’éviter les risques d’atteinte à la vie privée qui pourraient résulter de l’usage de ces caméras-piétons. Selon la Commission, « la préservation du droit fondamental à la protection des données personnelles constitue non seulement une obligation juridique, mais également une condition d’acceptabilité, par les citoyens, de ces nouvelles caméras ».
Le ministère de l’intérieur a acquiescé le raisonnement de la Commission et les pouvoirs publics ont, par la loi ° 2016-731 du 3 juin 2016, ouvert la possibilité aux agents de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale, d’utiliser des caméras-piétons dans le cadre de leurs interventions (article L. 241-1 du CSI).
La CNIL a été saisie pour avis par le ministre de l’intérieur de trois projets de décrets d’application de ces textes. Dans ses délibérations, la Commission fait remarquer que nombre de ses recommandations n’ont pas été suivies par le législateur.
La méconnaissance des recommandations de la CNIL par le législateur
La CNIL est une autorité administrative indépendante, chargée de veiller à la protection des données personnelles et au respect de la vie privée dans l’environnement numérique. Elle est compétente quelle que soit la personne qui traite ces données, que ce soit une administration, une entreprise ou encore une association. Cependant, ses avis ne sont que consultatifs. Dès lors, le législateur n’est pas tenu de les suivre, même s’il est préférable de ne pas s’en éloigner.
Ainsi, concernant le droit d’accès, la gardienne des données personnelles aurait souhaité que les personnes concernées par les enregistrements aient un droit d’accès direct à ces derniers. Or, c’est non seulement un droit d’accès indirect qui a été maintenu, mais ce droit d’accès risque selon elle de ne pas être effectif pour les personnes concernées, au vu de la durée de conservation des enregistrements. Pour rappel, le droit d’accès indirect implique que les personnes concernées doivent passer par la CNIL pour accéder aux fichiers les concernant.
En outre, pour ce qui est de la probabilité que le domicile privé de personnes soit filmé, la Commission avait émis plusieurs recommandations.
En effet, ces caméras sont mobiles. Elles sont donc susceptibles de filmer plusieurs lieux dans le cadre d’une même intervention. Dès lors, la CNIL avait souhaité que la loi détermine les lieux dans lesquels les agents pourraient activer leurs caméras. Etant donné le but recherché par l’utilisation de tels dispositifs, la Commission avait toutefois considéré que tous les lieux pourraient être concernés, à la condition que soient mises en œuvre de fortes garanties juridiques et techniques. Le respect du principe de proportionnalité impose que des règles claires soient édictées, en particulier lorsque l’enregistrement a lieu au sein de domiciles privés. Le législateur a donc autorisé l’utilisation des caméras-piétons « en tous lieux », y compris au domicile privé des personnes concernées. Cependant, contrairement aux recommandations de l’autorité administrative indépendante, les agents ne disposent toujours pas de lignes directrices claires, n’autorisant des enregistrements dans un lieu privé, qu’en cas de « circonstances impérieuses ».
Malgré toutes les alertes données par la CNIL, l’expérimentation de ces caméras a été étendue à la police municipale et aux agents de sûreté de la SNCF et de la RATP.
Quelques recommandations ont tout de même été suivies. Ainsi, des précisions ont été apportées concernant les finalités de ces dispositifs et la durée de conservations des données. L’exploitation des vidéos quant à elle, est limitée aux besoins exclusifs d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Elle est également possible dans un objectif de formation des agents.
Dans son avis transmis le 8 décembre au gouvernement, la Commission a donc rappelé que selon elle, le ministère de l’intérieur « devrait définir plus précisément les conditions d’utilisation de ces caméras », afin « d’éviter toute collecte disproportionnée de données à caractère personnel ».
Pour autant, le projet de loi Égalité et citoyenneté adopté en décembre dernier par le Parlement, prévoit que les forces de l’ordre pourront, dans certains territoires et dans le cadre d’une expérimentation d’un an, être obligées d’activer leurs caméras lors des contrôles d’identité.
Sources :
CNIL, « Caméras-piétons utilisées par les forces de l’ordre : l’avis de la CNIL », cnil.fr, publié le 3 janvier 2017, consulté le 9 janvier 2017, <https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil-36e_rapport_annuel_2015_0.pdf>
CNIL, « Rapport d’activité 2015 », cnil.fr, consulté le 9 janvier 2017, <https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil-36e_rapport_annuel_2015_0.pdf>
BERNE (X.), « Caméras-piétons : le gouvernement piétine les recommandations de la CNIL », nextinpact.com, publié le 28 décembre 2016, consulté le 28 décembre 2016, < https://www.nextinpact.com/news/102667-cameras-pietons-gouvernement-pietine-recommandations-cnil.htm>
BERNE (X.), « Vers une activation systématique des caméras-piétons lors des contrôles d’identité », nextinpact.com, publié le 30 juin 2016, consulté le 28 décembre 2016, <https://www.nextinpact.com/news/102667-cameras-pietons-gouvernement-pietine-recommandations-cnil.htm>