Après avoir tenté de faire payer la contribution à l’audiovisuel public aux possesseurs d’ordinateurs ou de tablettes, cette fois ce sont les « nouveaux » modes de diffusion de vidéos en ligne qui sont visés – d’où le surnom de « Taxe YouTube ». 4 milliards de dollars, c’est le chiffre d’affaires de YouTube pour l’année 2015. En France 61 % des vidéos en lignes sont vues sur cette plateforme, soit 1,4 milliard de vidéos chaque mois. Une plateforme comme YouTube engrange des revenus publicitaires conséquents. Pourtant, dès qu’il s’agit de savoir à combien s’élèvent ses bénéfices, tout devient opaque.
Souvent perçus comme échappant systématiquement aux impôts, les géants du numériques ne devraient désormais plus pouvoir s’y soustraire. En tout cas, c’est l’objectif avancé par les parlementaires français, qui ont finalement adopté la fameuse « Taxe YouTube » le 29 décembre 2016. D’abord écartée lors des discussions sur le projet de loi de finances pour 2017 après un vif débat entre des élus du Parti socialiste et le gouvernement, cette taxe qui cible les revenus publicitaires des plateformes de vidéos en ligne, a finalement pris la forme d’un amendement dans la loi de finances rectificative pour 2016.
Au delà de l’avis défavorable du gouvernement, la mal nommée « Taxe YouTube » a également fait l’objet de vives récriminations de la part des professionnels. En effet, qui paiera vraiment cette nouvelle taxe ? Les grandes entreprises du numériques visées par le texte sont-elles réellement celles qui supporteront cette taxe ? Rien n’est moins sûr et de nombreuses voix se sont élevées dès les prémices de celle-ci pour en remettre en cause la pertinence.
L’assiette de la taxe sur les vidéogrammes étendue aux recettes publicitaires des services de vidéos en ligne
Cet amendement visait à adapter le dispositif existant depuis 1993 à l’article 1609 sexdecies B du code général des impôts, prévoyant une taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes et opérations assimilées (services de vidéo et VàD payants). Jusque là constituée du prix payé par les utilisateurs, les recettes publicitaires et de parrainage sont désormais intégrées dans l’assiette de la taxe.
La taxe est due par tout opérateur, et ce, quel que soit son lieu d’établissement, dès lors qu’il « propose un service en France qui donne ou permet l’accès, à titre onéreux ou gratuit, à des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles ou autres contenus audiovisuels ». Pour assurer l’égalité de traitement entre les redevables établis en France et ceux à l’étranger, seule la part des recettes de publicité résultant de la mise à disposition des contenus audiovisuels en France, sera comprise dans l’assiette de la taxe.
Deux types d’opérateurs sont considérés comme redevables de cette taxe : les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande (iTunes) et les plateformes communautaires (YouTube, Dailymotion) dès lors qu’elles permettent d’accéder à des contenus audiovisuels.
En France, la fiscalité est souvent accompagnée d’exemptions. Ainsi, la presse en ligne ou les sites de bandes-annonces (Allociné, IMdB), c’est-à-dire tous les services dont les contenus audiovisuels sont secondaires, seront exonérés de la taxe. Par ailleurs, afin de tenir compte de la spécificité des contenus audiovisuels disponibles via ces services, le texte prévoit un abattement d’assiette de 66 % pour les créations non professionnelles. En outre, une exemption pour les recettes publicitaires inférieures à 100 000€ serait même mise en place pour certains services gratuits. Au delà de ce montant, même la dernière vidéo virale de chat sera assujettie à la taxe.
Quant au taux de la taxe, il reste inchangé, c’est-à-dire qu’il est de 2 % et passe à 10 % lorsque les recettes publicitaires ou de parrainage sont liées à la diffusion de contenus pornographiques ou violents.
Enfin, les recettes publicitaires et de parrainage étant la plupart du temps encaissées par des régies publicitaires, un contrôle devra être mis en place. Ainsi, elles devront fournir à la plateforme, ainsi qu’à l’administration fiscale, un récapitulatif annuel des sommes encaissées.
L’établissement d’une nouvelle « usine à gaz fiscale » au périmètre mal défini
Les nombreuses exemptions risquent cependant d’apporter leur lot de difficultés notamment concernant le périmètre de cette taxe. En effet, il est très compliqué de déterminer ce qui est amateur ou non, informatif ou pas, sur de telles plateformes.
L’exonération des services dont les contenus audiovisuels sont secondaires crée une incertitude d’interprétation pour certains services comme Facebook, Twitter, ou Snapchat. En effet, pour ces services, la vidéo représente une part de plus en plus importante de leur activité. A l’avenir, il faudra donc déterminer les critères faisant basculer un contenu audiovisuel secondaire dans le périmètre de la taxe.
De plus, cette exonération conduirait à une forme d’injustice puisqu’une bande-annonce diffusée sur Allociné ne serait pas taxée contrairement à un même contenu diffusé sur YouTube.
Enfin, pour distinguer les services redevables, cette « nouvelle usine à gaz fiscale » va donc devoir appliquer une sorte de filtrage en amont afin de trier les vidéos hébergées sur ces plateformes. Cette pratique risque alors de contrevenir à l’interdiction pesant sur les intermédiaires d’opérer une surveillance généralisée sur les contenus mis en ligne par des tiers, prévue par la LCEN.
Une taxe au bénéfice de la création.. sauf pour les créateurs des plateformes redevables
Le produit de cette taxe ne tombera pas dans les caisses de Bercy mais sera directement versé au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) dans le but de financer la création. Selon les députés à l’origine du texte « L’extension de la taxe vidéo permet d’inclure dans le système vertueux du financement de la création cette nouvelle forme de diffusion des œuvres que constituent les plateformes gratuites ».
Alors que les chaines de télévision (TST), les salles de cinéma (TSA), et les plateformes de vidéos à la demande payante, contribuent déjà au financement de la création, il ne manquait plus qu’une taxe pour les services de vidéos diffusées en ligne gratuitement. C’est désormais chose faite.
L‘Association des Services Internet Communautaires (ASIC) a toutefois dénoncé une atteinte au principe du consentement à l’impôt. Cette initiative, qui regroupe Dailymotion, YouTube et Facebook notamment, estiment que le lien entre les bénéficiaires et les nouveaux contributeurs de cette taxe affectée s’avère relativement ténu. En effet, les plateformes de vidéos en ligne hébergent toute sorte de vidéos et pas seulement – voire pas du tout pour certaines – de films ou séries. Ainsi, on voit mal comment des tutoriels de maquillage, ou des vidéos de chat pourraient avoir un lien suffisant avec les missions de financement du cinéma d’auteur français.
Mais le CNC avait tout intérêt à ce que cette taxe soit adoptée. Une note blanche rédigée par le CNC lui-même, dans laquelle étaient proposés des éléments de réponse aux éventuels arguments avancés contre cet amendement, a d’ailleurs circulé entre les mains des parlementaires.
Cette taxe sur les vidéogrammes a permis en 2015 au CNC de collecter 664 millions d’euros, partagés entre 140 millions pour les salles de cinéma, 286 millions des télévisions commerciales, 217 millions des opérateurs et 20 millions des opérateurs de vidéos à la demande payantes. Selon les parlementaires porteurs du texte « [cette taxe] permet ainsi d’abonder le Centre national du cinéma et de l’image animée, qui a vocation à soutenir toutes ces nouvelles créations qui ne transitent pas par les canaux traditionnels de la diffusion ». Toutefois, en dix ans, jamais rien n’a été versé aux jeunes créateurs de YouTube ou Dailymotion par le CNC. L’ASIC a donc demandé que soit rétablie l’équité et que 30 % de la Trésorerie du CNC leur soit désormais reversé. En réalité, il est fort probable que seule une minorité de créateurs de vidéos en ligne parviendra à récupérer une partie de cette taxe à travers des subventions du CNC.
La tentative manquée de soumettre à l’impôt les grandes plateformes du numérique
Cette taxe poursuit à son origine un objectif tout à fait louable consistant à soumettre à l’impôt les revenus des grandes plateformes du numérique. Dans un rapport de 2013, le CSA soulignait que ces plateformes échappaient à la taxe sur les vidéogrammes grâce à leur statut très protecteur d’hébergeur. Pourtant, leurs activités convergent de plus en plus avec celles des services participant d’ores et déjà au financement de la création : elles concluent depuis quelques années des partenariats avec des éditeurs audiovisuels avec qui elles partagent les revenus publicitaires, elles jouent parfois un rôle de distributeur de services de médias à la demande, ou comme YouTube, proposent des chaines thématiques.
Pour les députés favorables à cette taxe, rien ne justifie qu’une vidéo soit taxée lorsqu’elle est diffusée sur une plateforme de VàD et non sur une plateforme gratuite. Cette extension de la taxe sur la location de vidéogrammes se justifie donc par une volonté de rétablir l’équité fiscale. Comme le souligne Karine Berger, députée ayant porté l’amendement « il n’y a strictement aucune raison que des services de télévision de rattrapage financent la création culturelle en France et que, à l’inverse, les plateformes numériques gratuites, qui sont détenues par de grands opérateurs américains, n’y contribuent pas ».
La mesure d’extension vise aussi à réaffirmer la souveraineté fiscale de la France vis-à-vis des plateformes gratuites établies à l’étranger. En effet, ces plateformes bénéficiant des revenus publicitaires relatifs à la diffusion sur le marché français ne financent pas la création sur celui-ci. Cette taxe est un symbole de la lutte, engagée par la Commission européenne notamment, contre les stratégies d’optimisation fiscale déployées par les multinationales du numérique pour échapper à l’impôt. Cependant, pour Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du Budget, ce n’est qu’au niveau international qu’une solution pourrait aboutir. Et finalement, cette lutte devrait avant tout passer par le recouvrement effectif des impôts existants, à commencer par l’impôt sur les sociétés et la TVA.
Les difficultés de recouvrement : de « Taxe YouTube » à « Taxe Dailymotion »
Supposée viser les grands acteurs du numérique, la taxe pourrait finalement se tromper de cible. En effet, la taxe risque de se heurter à la difficulté liée à son recouvrement. Des plateformes comme YouTube ou Netflix ne communiquent pas sur le chiffre d’affaires qu’elles réalisent en France. Ainsi, il sera très compliqué de recouvrer la taxe. Les mêmes difficultés avaient d’ailleurs conduit à abandonner la taxe sur la publicité en ligne adoptée en 2011.
Selon Christian Eckert, l’administration fiscale ne dispose pas des moyens nécessaires pour recouvrer la taxe auprès des plateformes étrangères qui constituent pourtant 90% du marché. Il avait d’ailleurs renommé cette taxe, la « taxe Dailymotion » affirmant « il sera extrêmement difficile d’aller recouvrer la taxe auprès d’un opérateur qui n’est pas situé sur notre territoire, alors qu’il sera plus facile de la recouvrer auprès d’opérateurs installés chez nous ». Ce sont donc les acteurs français qui seront pénalisés par cette taxe, à l’opposé du but originellement poursuivi.
Au delà de la problématique du recouvrement, le rendement de cette taxe s’annonce relativement faible puisque les sommes collectées ne devraient pas dépasser le million d’euros. Ce chiffre semble ridicule au regard du chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars d’une multinationale comme Google qui a racheté YouTube en 2006. En définitive, un tel dispositif risque essentiellement d’impacter l’attractivité de la France. La taxe pourrait alors avoir comme unique effet la délocalisation des plateformes de vidéos qui demeurent aujourd’hui en France car c’est la seule à l’heure actuelle à avoir mis en place une telle taxe.
Les conséquences de cette dernière ne pourront toutefois être constatées que dans les prochaines années. Pour l’heure, le gouvernement doit préparer un projet de décret d’application, qui devra être notifié à la Commission européenne. D’ailleurs, bien que la rapporteure Valérie Rabault a assuré que ce texte s’alignait avec le projet de directive européenne de mai 2016, modifiant la directive Services de médias audiovisuels (SMA), il n’est pourtant pas certain que la taxe soit réellement conforme au droit de l’Union européenne. Comme l’a souligné l’ASIC, l’alignement avec un texte qui n’en est qu’au stade de projet ne peut constituer un gage de conformité. Si malgré tout, le décret est jugé conforme au droit européen, le gouvernement pour le publier et la taxe s’appliquer, mais cela n’arrivera pas avant quelques mois.
SOURCES :
Note de l’ASIC, « Retour en catimini de la Taxe Dailymotion », lasic.fr, publié le 02/12/16, consulté le 21/01/17, disponible sur http://www.lasic.fr/wp-content/uploads/2016/12/Note-ASIC-Retour-en-catimini-de-la-taxe-Dailymotion.pdf
BERNE (X.), « Au Journal officiel, « taxe YouTube » et déclaration automatisée des revenus issus des plateformes », nextinpact.com, publié le 30/12/16, consulté le 30/12/16, disponible sur https://www.nextinpact.com/news/102689-au-journal-officiel-taxe-youtube-et-declaration-automatisee-revenus-issus-plateformes.htm
DURAND (C.), « Pourquoi la « taxe YouTube » adoptée à l’Assemblée sera une « taxe Dailymotion » », numerama.com, publié le 08/12/16, consulté le 21/01/17, disponible sur http://www.numerama.com/politique/215165-pourquoi-la-taxe-youtube-adoptee-a-lassemblee-sera-une-taxe-dailymotion.html
FARRUGIA (A.), « Les députés adoptent la taxe YouTube », ecommercemag.fr publié le 18/10/16, consulté le 14/01/17, disponible sur http://www.ecommercemag.fr/Thematique/cross-canal-1009/Breves/taxe-YouTube-passera-elle-projet-concret-309777.htm#rwIxvBLWXdZyWt6S.97
REES (M.), « Taxe YouTube : les éléments de langage soufflés par le CNC à l’oreille des députés », nextinpact.com, publié le 07/12/16, consulté le 21/01/17, disponible sur https://www.nextinpact.com/news/102409-taxe-youtube-elements-langage-souffles-par-cnc-a-oreille-deputes.htm