La Loi Égalité et citoyenneté est promulguée ! Mais respecte-t-elle les exigences constitutionnelles d’égalité et de légalité des délits et des peines en matière de répression des abus à la liberté d’expression ? Le Conseil des sages a validé, le 26 janvier dernier, l’essentiel des modifications de la loi de 1881 introduites par la loi Égalité et citoyenneté dans le but de favoriser la lutte contre les discriminations et le racisme. Seule l’une des dispositions introduites à l’article 24 bis n’a pas passé le filtre du Conseil. Amputée de ces quelques lignes, la loi Egalité et citoyenneté a été publiée au JO du 28 janvier 2017.
Le projet de loi Egalité et citoyenneté comporte, dans un titre III intitulé « pour l’égalité réelle », des mesures qui ont vocation à améliorer la lutte contre le racisme et les discriminations et qui modifient en substance certaines dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et le code pénal. Néanmoins, certaines mesures font l’objet de vives critiques de la part de la doctrine et de certains députés et sénateurs à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel.
Une extension du champ d’application de la loi pénale en matière d’abus à la liberté d’expression contraire à la Constitution
Dans ce texte figure la nouvelle rédaction de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui vise, entre autre, à réprimer les infractions d’apologie ou de négation des crimes causés pendant la seconde guerre mondiale. Dans sa nouvelle rédaction, cet article est étendu aux crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité mais aussi aux crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage. Aussi, le texte s’applique maintenant à tous ceux qui nient, banalisent ou minorent de façon outrancière l’existence de ces crimes. Dans un souci de clarté, la minoration ou la banalisation du crime doit s’apparenter à une incitation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe en raison de son identité.
Selon la professeur Nathalie Mallet-Poujol, cette rédaction suscite de nombreuses questions. Tout d’abord, le remplacement du concept de contestation par ceux de négation, de minoration ou de banalisation, paraît peu opportun puisque les deux premiers concepts sont déjà appréhendés par la jurisprudence comme des contestations. Par ailleurs, le concept de banalisation semble vague et risque de porter atteinte de manière attentatoire à la liberté d’expression. Le texte fait également doublon avec l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881 qui réprime déjà le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Pour la directrice de recherche au CNRS, « il n’est jamais bon pour la liberté d’expression de multiplier des incriminations, surtout quand elles font doublon et sont sources de confusion ; a fortiori dans le contexte extrêmement sensible du débat sur les lois mémorielles et sur l’écriture d’une histoire « officielle » par le législateur ou par les juges ». Dans une décision du 8 janvier 2016, le Conseil constitutionnel relevait que la répression du « négationnisme » était constitutionnelle dans la mesure où le législateur avait entendu « sanctionner des propos qui incitent au racisme et à l’antisémitisme ». Dans l’esprit de la loi Égalité et citoyenneté, il était question d’élargir la répression à la négation de certains crimes, y compris si ces crimes n’ont pas fait l’objet d’une condamnation judiciaire. C’est entre autres sur cette question, qui ne lui avait pas été posée, que le Conseil constitutionnel s’est prononcé d’office le 26 janvier 2017.
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées étaient contraires à la Constitution puisqu’elles portaient une atteinte ni nécessaire ni proportionnée à l’exercice de la liberté d’expression. Le Conseil constitutionnel a constaté dans un premier temps que ces dispositions n’étaient pas nécessaires à la répression des incitations à la haine ou à la violence qui sont réprimées par la loi de 1881. Dans un second temps, le Conseil estime qu’il résulte de ce texte une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire débats. En effet, sur le fondement de ce texte, des propos auraient pu donner lieu à des poursuites pénales au motif qu’ils nieraient, contesteraient ou banaliseraient des faits n’ayant pas été reconnus judiciairement comme criminels au moment où ils sont tenus.
Le Conseil constitutionnel valide la substitution de la notion « d’identité de genre » à celle « d’identité sexuelle »
Le Conseil a été saisi de plusieurs dispositions modifiant les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ces dispositions visent à substituer à la notion « d’identité sexuelle » celle « d’identité de genre ». Par là, sont réprimées de manière plus grave les infractions d’injures publiques, de diffamations, de provocation à la haine ou à la violence et les discrimination lorsqu’elles sont commises à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur identité de genre.
Les requérants estimaient que ces dispositions contrevenaient au principe de légalité des délits et des peines du fait de l’imprécision de cette notion. Il est vrai, à la charge du législateur, qu’un manque de clarté de la loi pénale applicable en matière d’abus à la liberté d’expression peut porter préjudice à l’exercice même de cette liberté. Pourtant cette notion est assez claire et précise pour le Conseil qui souligne que plusieurs textes internationaux en font mention. C’est le cas par exemple de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 12 avril 2011 ou encore de la directive du parlement européen et du conseil du 13 décembre 2011. Par ailleurs, les sages précisent que le législateur vise le genre auquel la personne s’identifie quelle que soit la mention indiquée sur les registres de l’état-civil, quelle que soit l’expression de l’appartenance au sexe féminin ou masculin. Ainsi les termes « d’identité de genre » respectent le principe de légalité des délits et des peines.
Pas de difficultés autour de la question du droit des associations de se porter partie civile
Une autre disposition du texte soumis à l’approbation du Conseil constitutionnel mérite notre attention. C’est celle concernant le droit d’agir des associations. Le nouvel article 48-1-1 accorde à certaines associations la possibilité de se porter partie civile, pour les infractions de négation, d’apologie, de minoration ou de banalisation des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage. En revanche l’action de l’association n’est recevable que si elle a reçu l’accord des personnes et si elle justifie que ces personnes ne s’opposent par aux poursuites. Les sénateurs requérants soutiennent que ces articles contreviennent à l’exigence de clarté de la loi et élargissent de manière disproportionnée les poursuites qui pourraient être engagées.
La seule référence à l’opposition de la victime peut être dangereuse si au final elle conduit à éclipser l’accord de la personne qui a été directement victime de l’infraction. Dans le cas d’une infraction d’apologie ou de négationnisme par exemple, la victime doit pouvoir décider si elle veut poursuivre ou pas et donner ou non de l’importance aux propos illicites. La victime peut ainsi ne pas vouloir raviver sa douleur à travers de potentielles poursuites.
Pour le Conseil, il n’y a pas non plus en matière d’action des associations de quoi contrevenir aux principes constitutionnels qu’il garantit. Il estime en ce sens que le fait d’imposer aux associations le fait de justifier que les victimes ne s’opposent pas à la constitution de partie civile ne méconnait aucunes exigences constitutionnelles et permet aux victimes ne souhaitant pas poursuivre la possibilité de s’y opposer. Pour le Conseil, le législateur a ainsi souhaité éviter qu’une victime se trouve dans la position inconfortable d’être demandeur de poursuites pénales.
Par cette décision, le Conseil constitutionnel valide une modification substantielle de la loi du 29 juillet 1881. Au milieu de considérations politiques et morales, les apports de la loi Égalité et citoyenneté vont sans aucun doute modifier l’exercice de la liberté d’expression en France. Dès lors, il revient aux juges d’interpréter, au cas par cas, l’esprit de ces dispositions.
SOURCES
ANONYME, « Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel des modifications de la loi de 1881 introduites par la loi Egalité citoyenneté », legipresse.com, publié le 27/01/2017, consulté le 27/01/2017,<http://www.legipresse.com/011-49001-Le-Conseil-constitutionnel-valide-l-essentiel-des-modifications-de-la-loi-de-1881-introduites-par-la.html>
PEROT (J.), « Non-conformité partielle de la loi relative à l’égalité et la citoyenneté : dispositions pénales », actualitesdudroit.fr, publié le 30/01/2017, consulté le 30/01/2017, < http://www.actualitesdudroit.fr/browse/penal/droit-penal-general/4713/non-conformite-partielle-de-la-loi-relative-a-l-egalite-et-la-citoyennete-dispositions-penales>
Communiqué de presse du Conseil constitutionnel – 2016-745 DC, conseil-constitutionnel.fr, consulté le 27/01/2017, <http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2017/2016-745-dc/communique-de-presse.148544.html>
Observations du Gouvernement sur la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, JORF n°0024 du 28 janvier 2017, legifrance.gouv.fr, consulté le 28 janvier 2017, < https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=CEFF7A5FE4EF0C71AA5E4D9ED862BFED.tpdila14v_1?cidTexte=JORFTEXT000033935306&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000033934945>