La Commission, le Conseil et le Parlement européens affirment le 7 février être parvenus à un accord sur la portabilité des contenus, une étape décisive pour la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne et l’élaboration d’un marché unique numérique. Mais une étape sans doute plus difficile à atteindre que la fin des tarifs de l’itinérance.
« Un marché unique numérique pour l’Europe : la Commission définit 16 initiatives pour en faire une réalité. » Le 6 mai 2015, la Commission européenne rend publique sa stratégie d’un Marché unique numérique (Digital Single Market). L’ambition est de transposer à l’économie et à la consommation numériques le principe fondateur de l’Union européenne, qu’est l’abaissement des frontières au sein de l’Union. Ce Digital Single Market repose sur trois piliers, le premier étant de permettre aux entreprises et aux consommateurs européens de bénéficier de biens et services sans discrimination de leur lieu de résidence. Ce principe a pour conséquence que le prix pour un même bien ou service ne peut varier du simple fait qu’un ressortissant se situe en Estonie ou en France. Des soupçons sont pourtant actuellement portés du côté de plusieurs acteurs et notamment de Steam, plateforme majeure de l’industrie du jeu vidéo en ligne. En effet, la Commission européenne a ouvert des enquêtes aux fins de savoir si une différence de prix en raison de l’Etat de résidence persisterait dans le e-commerce.
Disparition des frais d’itinérance mais persistance de la question de la libre consommation des contenus par les ressortissants
Le chemin vers le Digital Single Market risque donc d’être long. Toutefois, une étape a été franchie sur ce parcours incertain avec la fin des frais supplémentaires de l’itinérance internationale. Jusqu’à présent, un ressortissant français en déplacement en Belgique pouvait s’acquitter de frais pour conserver sa souscription auprès d’un opérateur de télécommunications français pour effectuer des appels ou envoyer des messages. Dès le 15 juin 2017, l’absence de ces frais succèdera à l’Eurotarif dans les conditions prévues par le règlement européen 2015/2120 du 25 novembre 2015. Prise sur le fondement du premier pilier, la mesure semble davantage favoriser le consommateur que l’opérateur de télécommunications qui ne pourra plus répercuter le coût de l’itinérance sur l’utilisateur final.
La bataille contre les frais d’itinérance étant remportée, les services de médias audiovisuels se trouvent à présent au cœur de l’itinérance du ressortissant européen. En effet, l’itinérance ne se limite pas aux frais facturés au consommateur et qui augmentaient parfois outrageusement la facture. Elle cristallise des préoccupations éminemment politiques. Le règlement du 25 novembre 2015 qui pose le régime transitoire vers la fin des tarifs de l’itinérance “vise à protéger les utilisateurs finals et à garantir en même temps la continuité du fonctionnement de l’écosystème de l’internet en tant que moteur de l’innovation.” Or, qu’il s’agisse de livre numérique, de contenu musical ou audiovisuel, il existe une forte tendance des acteurs tant privés que publics à mettre en place un blocage géographique (geoblocking). Il est question de geoblocking dès lors qu’il existe une limite fixée en fonction du pays dans lequel les consommateurs souhaitent accéder à un contenu. « Les différentes feuilles de route de la Commission s’accordent à dire que l’harmonisation du marché européen du numérique ne pourra se faire que lorsque les barrières nationales auront été brisées. »
Dans cette démarche, le Parlement et la Commission européenne tentent depuis 2015 d’élaborer un système qui permette de lutter contre ce blocage géographique, en promouvant la portabilité des contenus. Le 7 février 2017, ils annoncent être parvenus à un accord sur cette question qui semble résonner davantage comme une itinérance qu’une portabilité. La portabilité renvoie à la possibilité de passer d’une entreprise à une autre tout en conservant ses données. Elle existe déjà en matière de téléphonie mobile afin de ne pas abandonner son numéro du simple fait de changer d’opérateur. Elle est reconnue en matière de données à caractère personnel par le règlement général du 27 avril 2016.
Mais en se référant à une portabilité des contenus, l’Union européenne appréhende la possibilité de bénéficier des mêmes biens numériques acquis dans son Etat membre dans les autres Etats du Marché intérieur. Le terme d’itinérance des contenus parait alors plus approprié pour cerner les enjeux. Par ailleurs, le régime prévu par la proposition de règlement rendue publique depuis deux ans est similaire à celui de l’itinérance téléphonique. En effet, le critère déterminant pour bénéficier des contenus numériques est, comme en pour la téléphonie mobile, la résidence habituelle. Le but affiché étant de lutter contre l’instrumentalisation de ce nouveau principe par des ressortissants qui souscriraient, par exemple, à une offre hongroise pour son attractivité tout en ne cherchant à en bénéficier qu’en France et jamais en Hongrie.
Reconnaissance d’une itinérance des contenus numériques mais persistance de difficultés techniques et politiques
Si Bruxelles a trouvé un accord pour rendre les contenus disponibles au sein du marché unique, elle opère tout de même une distinction entre les contenus payants et les contenus gratuits. La portabilité est jugée être une mesure d’ordre public, à laquelle les parties ne pourront par définition pas déroger, dès lors que le contenu est payant. Elle ne sera qu’une faculté pour les contenus gratuits. En somme, un abonné Canal+ doit pouvoir bénéficier de son offre partout en Europe tandis que son compte utilisateur Pluzz ou 6play pourrait ne pas être disponible. Cette différence de traitement est justifiée par la volonté de ne pas faire peser sur le fournisseur de services l’obligation de recourir à des moyens trop lourds.
L’existence d’un contrôle de l’identité de l’abonné, souvent par le biais d’un compte utilisateur et d’un mot de passe est rendue nécessaire pour accéder à des services payants. Dès lors, il est inhérent au fonctionnement de tels services de recueillir de nombreuses informations telles que des données techniques, l’adresse IP récurrente impliquant qu’il s’agirait de la résidence habituelle de l’abonnée et une adresse IP inhabituelle permettant d’alerter en cas d’utilisation non souhaitée par des tiers. Les fournisseurs de services payants ont déjà les moyens nécessaires de vérifier qu’un ressortissant européen n’use de cette portabilité que pour un court séjour et non quotidiennement.
L’accord semble donc présumer que les fournisseurs de services gratuits pourraient ne pas disposer de tels moyens techniques. La question du blocage géographique demeure à travers cette considération et persiste avec la prise en compte des droits d’auteur. Ce qui a été annoncé comme une avancée certaine dans l’établissement de cet environnement numérique européen est une victoire en demi-teinte. La portabilité (ou itinérance) des contenus, tout en ne remettant pas en cause la territorialité des systèmes de rémunération, ravive les débats autour d’une harmonisation des droits d’auteur dans l’Union européenne. La portabilité, faute de pouvoir repenser le fonctionnement de l’acquisition et de la répartition des droits à l’échelle européenne – pour des raisons manifestement politiques mais également culturelles – se contente d’esquisser un équilibre fondé sur la durée de séjour.
L’entrée en vigueur est prévue pour janvier 2018. Cependant, les rapports de forces constatés lorsque la fin des frais d’itinérance supplémentaire devait être organisée ont occasionné de nombreux accros à l’échéancier. Il est donc possible que les abonnés de Canal+ doivent encore attendre pour faire jouer ce principe lors de leurs déplacements dans l’Union.
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SOURCES :
Commission européenne, Communiqué de presse du 9 décembre 2015 <http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-6261_fr.htm>
BARBAUX (A.), Le marché numérique unique, Graal ou nouvelle chimère européenne ?, 5 mai 2015 <http://www.usine-digitale.fr/editorial/le-marche-numerique-unique-graal-ou-nouvelle-chimere-europeenne.N328286>
DESAUNETTE (M-E.), Le marché unique européen, 16 janvier 2016 <https://www.lepetitjuriste.fr/droit-des-ntic/marche-unique-numerique/>
PÉPIN (G.), Europe : la portabilité des contenus, une réalité mitigée dès 2018, 8 février 2017 <https://www.nextinpact.com/news/103214-europe-portabilite-contenus-realite-mitigee-des-2018.htm>
ITR News, Portabilité des contenus numériques : un accord, et après ? <http://www.itrnews.com/articles/167206/portabilite-contenus-numeriques-accord-apres.html >