Il devient récurrent d’entendre parler du « Dark Web » en tant que face sombre de l’Internet, néfaste à l’utilisateur, regorgeant de contenus illicites et choquants. L’intégralité de cet abysse est fréquemment associée, à tort, aux activités terroristes, violentes, ou pornographiques. Rendant difficile d’accès la majeure partie des contenus du net, les notions d’anonymat et de mystère qui l’entourent cristallisent les préjugés circulant à son égard. Pourtant, son régime juridique ne diffère pas du « Clear Web », accessible au grand public.
Le droit applicable au Dark Web
Créé par des chercheurs (sans nul doute un peu visionnaires), ce paradis digital avait pour ambition première d’être un lieu d’anonymat par excellence pour les utilisateurs : pas de reconnaissance de l’adresse IP, historique de recherche secret, absence de traçabilité. Ce voile noir dissimule de nombreux particuliers, voire des organisations, telles que la NSA ou le FBI, qui y mènent à bien certains travaux confidentiels.
Beaucoup de méprises entourent cette sphère, alors qu’il s’agit simplement d’une prolongation de l’Internet traditionnel, où les données sont cryptées. Encore non atteignable pour une grande partie des utilisateurs, de nombreux domaines juridiques y connaissent une absence de réglementation. Pour autant, le Dark Web n’est dissocié du Clear Web par aucun texte législatif. De facto, tous les textes de réglementation de la cyber-délinquance ont vocation à s’y appliquer, telle que la Convention de Budapest de 2001.
En outre, rien dans les textes de loi ne prohibe l’anonymat sur Internet. La loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique autorise, en ses articles 31 et suivants, l’usage de moyens de cryptologie, à condition que ceux-ci soient légaux et déclarés. A l’utilisateur de ne pas commettre de cyber-infraction, puisque l’ensemble des règles régissant les contenus en ligne est applicable en la matière. Envisageons qu’une personne ait subi une diffamation sur un site crypté : il serait tout à fait possible d’invoquer la loi du 29 juillet 1881 pour obtenir réparation. Le seul problème restera la difficulté de la preuve, pour la victime, comme pour les juges.
Le Dark Web abrite beaucoup d’activités criminelles. On y trouve de nombreuses entreprises illégales, comme ce fut le cas avec la vente de drogue dans l’affaire Silk Road. L’anonymat y est une vraie richesse, au même titre que l’utilisation de la monnaie virtuelle, qui empêche la traçabilité des transactions financières. Les récents évènements terroristes alimentent également le débat sur le contrôle de ce nouvel ordre numérique. Pourtant, les cyber-délinquants, qu’ils agissent de manière cryptée ou non, tombent sous le joug de la loi pénale. Même s’il semble plus ardu d’agir en la matière, l’avancée de nos compétences technologiques nous conduira peut-être, d’ici quelques années, à accéder à cette zone en quelques clics, pour pouvoir, in fine, appréhender ces criminels.
La stigmatisation du Dark Web
Sans négliger les risques qu’il représente, il n’a pas fallu attendre la démocratisation de son utilisation pour dénicher des contenus violent, dans les 5% restant accessibles au grand public. Parfois, il n’est pas nécessaire de les chercher : des fenêtres pop-up apparaissent sans raison, incitant à visionner, par exemple, des contenus pornographiques. Hors contrôle parental, ces contenus illicites peuvent aisément toucher les populations jeunes, qui ont l’avantage de maîtriser bien mieux que leurs parents les outils technologiques avec lesquels ils ont grandi. Sites pédopornographiques, rencontre en ligne avec des inconnus, ou incitations à la haine : les contenus malveillants sont tout aussi nombreux.
Cela révèle un phénomène sociojuridique : les technologies ont de l’avance sur la législation qui les concerne. De plus il existera toujours des individus criminels, et en conséquence, des détournements de puissants outils numériques. Marc Zuckerberg, en créant un réseau social, ne s’imaginait sans doute pas créer un support précis d’espionnage entre particuliers et de ciblage des utilisateurs. Sergueï Brin et Larry Page ne pensaient pas que leur moteur de recherche serait amené à devenir un puissant outil de publicité et leur holding une manne financière pour l’innovation de nombreuses entreprises.
Il est donc malvenu de considérer qu’une zone du web serait plus dangereuse qu’une autre. Il serait plus efficace de se pencher sur la régulation des contenus numériques dans leur ensemble.
L’anonymat, solution efficiente contre la protection de l’identité numérique ?
D’un point de vue sociétal, il semble évident que la régulation du Net abyssal est loin d’être optimale. Mais il n’en est pas de même du point de vue de l’individu. A l’heure du tatouage connecté pour alerter de l’état de santé de son porteur – exemple parmi tant d’autres d’un monde interconnecté en permanence -, difficile de protéger sa personne virtuelle. Bien que la loi pour une République numérique, du 7 octobre 2016, ait tenté d’accroître la protection des données personnelles, il n’y est pas fait mention des pratiques des moteurs de recherche et de nos objets connectés. Google est le premier à se servir des données de ses utilisateurs pour leur proposer un ciblage publicitaire très précis et quasi-instantané. Un utilisateur traditionnel voit ses données collectées de nombreuses fois en une seule journée : rien qu’on possédant un smartphone, la géolocalisation le suit en temps réel, aidée par son activité sur les réseaux sociaux. Ses tweets et humeurs postées sur blog permettent de connaître ses préférences, ses opinions, ses passions. Pour peu qu’il achète son repas en payant avec son smartphone, il révèle également ses habitudes alimentaires.
De nombreuses méthodes sont utilisées de nos jours pour mieux nous connaître. L’utilisation de moteurs de recherche en est une des principales. Face à la problématique complexe des données personnelles et de leur sécurisation, la navigation par le biais de logiciels tels que TOR pourrait être une solution afin d’améliorer l’anonymat ; sans négliger pour autant la nécessité de doter l’arsenal législatif d’outils de contrôle des contenus. La navigation totalement anonyme et sécurisée ne serait-elle pas finalement la concrétisation parfaite du respect de la vie privée ?
Reste à espérer que la vision américaine de la vie privée ne vienne pas supplanter la nôtre, puisque selon Éric Schmidt, président du Conseil d’administration de Google, « si vous avez quelque chose à cacher, peut-être que vous devriez commencer par ne pas le faire ».
SOURCES :
CHARPENEL Y., « Le Darkweb, un objet juridique parfaitement identifié », Dalloz IP/IT, 2017, pp. 71 – 73, consulté le 3 octobre 2017 <http://www.dalloz.fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=DIPIT/CHRON/2017/0060&ctxt=0_YSR0MT1kZWVwIHdlYsKneCRzZj1zaW1wbGUtc2VhcmNo&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PcKncyRzbE5iUGFnPTIwwqdzJGlzYWJvPUZhbHNlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2U=&nrf=0_UmVjaGVyY2hlfExpc3Rl >
DE MAISON ROUGE O., « Darkweb : plongée en eaux troubles », Dalloz IP/IT, 2017, pp. 74-79, consulté le 3 octobre 2017 <http://www.dalloz.fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=DIPIT/CHRON/2017/0060&ctxt=0_YSR0MT1kZWVwIHdlYsKneCRzZj1zaW1wbGUtc2VhcmNo&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PcKncyRzbE5iUGFnPTIwwqdzJGlzYWJvPUZhbHNlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2U=&nrf=0_UmVjaGVyY2hlfExpc3Rl>
LAUSSON J. « Pour Google, seuls les criminels sont préoccupés par leur vie privée sur Internet », numerama.com, mis en ligne le 8 décembre 2009, consulté le 4 octobre 2017?<http://www.numerama.com/magazine/14669-pour-google-seuls-les-criminels-sont-preoccupes-par-leur-vie-privee-sur-internet.html>
REYNAUD J., « DermalAbyss, le tatouage connecté au service de votre santé », stuffi.fr, mis en ligne 31 mai 2017, consulté le 4 octobre 2017, < https://www.stuffi.fr/dermalabyss-tatouage-connecte-service-de-sante/ >