En septembre dernier, le groupe d’Assurance Axa a annoncé le lancement d’un « produit d’assurance d’un genre nouveau » : Fizzy. Cette offre utilise le smart contract et la technologie blockchain Ethereum afin de déclencher le remboursement automatique lors d’un retard d’avion. Cette première utilisation réelle en France des contrats intelligents amène à s’interroger sur leur qualification juridique.
Le smart contract: un code informatique avant tout
Traduire la notion de smart contract par « contrat intelligent » est en réalité une erreur et mène à une confusion des notions. Par cette traduction littérale, on pourrait considérer ces contrats intelligents comme des contrats au sens du Code civil. Or, les smart contracts sont avant tout des programmes informatiques fonctionnant dans le système de la blockchain, plus précisément dans la blockchain Ethereum.
Définir la blockchain n’est pas chose aisée mais n’est pas chose vaine au vu de l’ampleur et de l’agitation actuelle. L’ordonnance du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse a consacré juridiquement l’utilisation de la blockchain dans le secteur financier concernant le financement participatif. Le 24 mars 2017, la direction Générale du Trésor ouvrait une consultation publique sur les projets de réformes législative et réglementaire relatives à la blockchain et notamment sur la gestion des titres non cotés via cette technologie.
La blockchain est un logiciel stockant et transférant de la valeur ou des données par le biais d’internet. Cette base de données contient l’historique de tous les échanges, transferts et transactions effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Cette technologie repose sur des échanges de pair à pair utilisant des clés cryptographiques asymétriques, c’est à dire une clé privée et une clé publique. La véritable révolution apportée par la blockchain est son processus décentralisé permettant une redistribution de la confiance. Aucune autorité centrale et aucun intermédiaire n’interviennent pour garantir et certifier les transactions. « Code is Law » est l’expression la plus communément employée pour invoquer le fait qu’une transaction, une fois exécutée sur une blockchain, ne peut être rectifiée. Cette technologie repose donc sur un consensus décentralisé et collectif entre les participants. Pour simplifier, la blockchain est un grand livre de comptes infalsifiable, sécurisé, intangible, public et partagé. Cette définition concerne la blockchain publique qui se distingue des blockchains privées limitées à un certain nombre d’utilisateurs.
La blockchain Bitcoin est la plus connue. Elle repose sur un protocole cryptographique permettant à deux personnes de s’accorder sur une transaction. La transaction intègre un bloc au sein du réseau et est ensuite transmise aux membres du réseau qui la valident. La transaction est inscrite et verrouillée dans le dernier bloc de la blockchain ce qui permet le versement de bitcoins (monnaie de la blockchain Bitcoins) au créancier. Tous les participants ont une visibilité sur la transaction. Depuis sa création en 2009, le bitcoin a séduit. Le 8 novembre dernier, le cours du Bitcoin a atteint un record historique de 7 888 dollars avant de redescendre deux jours plus tard sous la barre des 7 000 dollars. La blockchain Ethereum est présentée comme la nouvelle génération de Bitcoin. Créée en 2013 par Vitalik Buterin, cette forme de blockchain permet de supporter différentes applications et ne se limite pas uniquement au transfert d’argent. La particularité de la blockchain Ethereum est de permettre l’utilisation de smart contracts. L’origine de ce terme revient en réalité à Nick Szabo, spécialiste du chiffrement et créateur d’un réseau qui a servi de base au réseau Bitcoin.
Les smart contracts consistent à former, mettre en œuvre et éteindre automatiquement les termes d’un contrat en les traduisant en langage informatique. Il s’agit de programmes reposant sur un processus appelé « If … then », « si telle condition, telle conséquence ». Les termes sont préalablement définis par les parties puis traduits en code. Lorsque ces termes arrivent à échéance, les smart contracts les exécutent. Les smart contracts tirent donc en réalité les conséquences d’une suite d’informations enregistrées dans un premier temps sur la blockchain. Les termes peuvent nécessiter une vérification externe et alors le recours à des tiers appelés Oracle dans le jargon Ethereum, est nécessaire.
L’objectif est d’établir une relation commerciale entre deux personnes sans confiance entre elles et sans intervention d’un tiers. Comme le souligne Laurent Leloup, auteur de « Blockchain, la révolution de la confiance », les smart contracts « donnent une dimension intelligente à la blockchain » qui ne se limite plus uniquement à un stockage d’informations.
Le monde de l’assurance porte un intérêt tout particulier à l’utilisation des smart contracts comme le démontre la création de la plateforme Fizzy, une plateforme présentée par Axa comme paramétrique « 100% automatisée et 100% sécurisée ». Le remboursement se fait automatiquement dès qu’un retard d’avion de plus de deux heures est constaté sans besoin de remplir un formulaire ou une déclaration de sinistre. En pratique, le passager contracte en ligne cette assurance retard d’avion 15 jours avant son vol. Le contrat est enregistré sur la blockchain Ethereum afin de garantir l’inviolabilité du contrat puis connecté aux bases de données du trafic aérien mondial. Le smart contract s’exécute dès que le retard est avéré grâce à un suivi de vols. Fizzy se fonde sur un paramètre de statistiques aériennes pour déclencher l’exécution du contrat. Pour l’instant, Fizzi couvre uniquement les vols directs entre Paris-Charles de Gaulle et les Etats-Unis et inversement, mais a l’ambition, dès 2018, de s’étendre à d’autres destinations. L’enjeu est d’améliorer le délai d’indemnisation et la relation de confiance avec l’assuré mais aussi d’éviter les cas de fraude. L’intérêt pour les assureurs est qu’ils peuvent suivre l’historique et l’évolution d’un contrat stocké dans la blockchain. D’autres assurances voient l’opportunité de recourir à la blockchain et aux smart contracts. La Fédération Française de l’Assurance (FFA) a annoncé, le 9 novembre dernier, l’expérimentation par 14 compagnies « d’une blockchain inter-assureurs autour de l’échange de données sécurisées » pour faciliter les processus de résiliation de contrats d’assurance mise en place par la loi Hamon. Par cette loi, l’assuré peut changer d’assureur automobile ou habitation au bout de douze mois d’engagement. Le nouvel assureur doit effectuer la demande de résiliation pour le compte de l’assuré. La plateforme permettra aux assureurs de faciliter et fluidifier les envois de notifications de résiliation. La blockchain permet une avancée en termes d’horodatage et un gain de temps par rapport aux processus actuels.
D’autres usages des smart contracts ont été avancés. On pourrait citer à titre d’exemple la start-up allemande slock.it qui propose de connecter la serrure de votre porte à la blockchain et lier cette serrure à un smart contract de location. Lorsque le locataire paye le prix de la location, la porte s’ouvre automatiquement pendant la durée correspondant au paiement, le contrat de location étant lié à la serrure sur la blockchain.
La confrontation entre smart contract et droit contractuel
L’intégration des smart contracts dans notre ordre juridique soulève plusieurs interrogations. A première vue, les principes de la blockchain et les principes de notre droit contractuel semble s’opposer.
A vrai dire, l’automaticité des smart contracts inquiète. On peut se se demander si le principe de bonne foi dans les relations contractuelles est compatible avec un contrat dont l’application est automatique. Il en va de même avec le consentement. Consentement des parties et contrat auto-exécutant sont-ils conciliables ?
Comme nous l’avons précédemment vu, le smart contract permet d’éteindre automatiquement le contrat lorsqu’une condition n’est pas respectée par l’une des parties. Ainsi, lorsqu’un locataire voit sa serrure verrouillée en raison d’un retard de paiement de loyer, le smart contract met alors en œuvre une exception d’inexécution. Or l’article 1219 du Code civil dispose « qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». La mise en application de l’exception d’inexécution n’obéit à aucune condition spécifique. Il n’est pas nécessaire de demander l‘autorisation du juge, ni d’adresser à son cocontractant une mise en demeure. L’automaticité permet-elle d’apprécier la gravité de l’inexécution ? On peut également envisager le problème sous l’angle de la résolution unilatérale prévue par l’article 1226 qui dispose que le créancier peut résoudre à ses risques et périls le contrat. Résoudre un contrat avant l’exécution du terme n’apparait pas envisageable.
Par ailleurs, la blockchain est réputée intangible. Comment alors concilier l’intangibilité de la blockchain et le principe de révision de l’article 1195 du Code civil ? En application de cet article, il est prévu qu’en cas de « circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut redemander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Dans cette situation, comment renégocier un contrat dont la modification est impossible ? L’immutabilité des smart contracts rendrait impossible toute modification ultérieure des termes du contrat. Exécuter un contrat automatiquement ne semble pas compatible avec les aléas qui peuvent surgir dans les relations contractuelles.
Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité peut être annulé en application de l’article 1178 du Code civil. Dans l’hypothèse où le smart contrat inscrit sur la blockchain est la transposition informatique d’un contrat physique, sera-t-il possible de l’annuler lorsqu’une condition de validité fera défaut ?
Envisager le smart contract comme un contrat au sens légal conduit à ces interrogations. Certains estiment que l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats est déjà obsolète et qu’un droit spécial devra être mis en vigueur pour ces contrats intelligents. Or, le smart contract est la traduction numérique d’un engagement contractuel. Le smart contract est écrit par un développeur et exécuté par l’ensemble des nœuds de la blockchain. Il s’agit d’une application technique d’un échange de consentement d’un contrat physique. Une législation spécifique n’est pas indispensable. La solution serait que les parties aménagent conventionnellement les conditions et prévoient dans le code une possibilité de modification des conditions de l’exécution automatique. L’exécution de ce contrat est certes infaillible mais sa rédaction ne l’est pas. Une autre solution serait de recourir aux smart contracts pour des exécutions automatiques dépourvues de tout imprévu et dépendant d’un paramètre temporel. Ce paramètre constituera le terme extinctif du contrat.
Les inquiétudes ne doivent pas se concentrer sur les règles applicables mais plutôt sur la force juridique des smart contracts.
En effet, considérer les smart contracts comme une application technique d’un contrat physique permet de les voir comme des preuves digitales irréfutables et infalsifiables. Les contrats intelligents enregistrent de manière sécurisée sur la blockchain des informations contractuelles entre les parties. En matière civile, un contrat se prouve par tout moyen. Un écrit est nécessaire lorsque la valeur dépasse 1500 Euros. Peut-on considérer le code informatique du smart contract comme un écrit valable au sens de l’article 1365 du Code civil ? Cet article dispose que « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ». En vertu de l’article 1366, un écrit électronique a la même force probante qu’un écrit papier sous condition de pouvoir identifier l’auteur et de garantir le maintien de l’intégrité de l’acte.
Dans une blockchain publique, l’identification est assurée par une clé publique et la signature par la clé privée. Le concept des clés cryptographiques asymétriques, utilisé par des blockchains publiques pour signer des transactions peut être analysé comme étant un moyen d’identification. La question sera de savoir si le système de la blockchain peut bénéficier de la présomption de fiabilité de l’article 1367. Le décret d’application du 20 septembre 2017 de cet article instaure une présomption de fiabilité aux signatures électroniques qualifiées c’est-à-dire celles qui « sont créées à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié » et reposant « sur un certificat qualifié de signature électronique » (art 1 du décret). Pour savoir si la clé privée est une signature électronique qualifiée, il faudra se référer au règlement du Parlement et du Conseil du 23 juillet 2014 électronique et les services de confiance (eIDAS).
En conclusion, les smart contracts n’ont pas d’autorité juridique à eux seuls mais ne sont pas pour autant dépourvus d’assise juridique. A l’avenir, ils pourront poser des questions relatives à la responsabilité, à la protection des données personnelles ou à la sécurité. En juin 2016, la plateforme DAO (organisation autonome fonctionnant dans le système de la blockchain Ethereum) a été la cible d’une attaque. Une faille présente dans le code des smart contracts a permis à un hacker de détourner sur une adresse non contrôlée un tiers des capitaux. Cette attaque qui a conduit à la mort prématurée de cette plateforme a soulevé les limites d’un système présenté comme infaillible.
SOURCES
*Laurent Leloup, Blockchain. La révolution de la confiance, Eyrolles, 2017, p.223.
*Gaëtan Guerlain, Considérations sur les smart contracts, Dalloz IP/IT n°10 du 16/10/2017, p.512
*Thibault Verbiest, Quelle valeur juridique pour les smart contracts, Revue Lamy droit des affaires n°129, septembre 2017, p.35.
*Célia Zolynski, Blockchain et smart contracts : premiers regards sur une technologie disruptive, Revue de droit Bancaire et Financier, n°1, septembre 2017, p.85.
*http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/retard-d-avion-axa-lance-une-assurance-automatique-sur-la-blockchain-750202.html mis en ligne le 14/09/2017 consulté le 05/11/2017.
*https://www.axa.com/fr/newsroom/actualites/axa-se-lance-sur-la-blockchain-avec-fizzy mis en ligne le 13/09/17 consulté le 05/11/17.
*https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/030846452011-quand-la-blockchain-simplifie-la-resiliation-de-contrats-dassurance-2128843.php mis en ligne le 09/11/17 consulté le 11/11/2017.
*http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/blockchain-l-etat-prend-en-main-la-gestion-des-titres-non-cotes-755647.html mis en ligne le 25/10/2017 consulté le 11/10/2017.
*https://www.ethereum-france.com/slock-it-la-promesse-des-objets-connectes-sur-la-blockchain/ mis en ligne le 04/04/2016 consulté le 11/11/2017.
* http://www.businessinsider.fr/le-bitcoin-perd-1000-dollars-en-48h mis en ligne le 10/11/2017 consulté le 11/11/2017.