Le 1er octobre 2017, à Las Vegas, une fusillade éclate : Sur les réseaux, un flot d’informations s’en suit, mélangeant faits réels et fausses identités de criminels potentiels, allant même jusqu’à la publication de faux avis de recherche. Ce ne fut pas un cas isolé : au cœur de l’actualité en permanence, les fausses informations ou fake news floutent le paysage juridique du numérique.
Le mot « fake news » est devenu commun, prenant pour sens l’erreur ou le mensonge, véritable arme parfois, causant des blessures virtuelles, notamment en matière d’e-réputation.
Durkeim disait d’ailleurs que « le crime ne s’observe pas seulement dans la plupart des sociétés de telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés, de tous les types. Il n’en est pas où il n’existe une criminalité. Elle change de forme, les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes. » Il en est donc de même au sein des communautés sur internet, où les atteintes muent en permanence et portent potentiellement le nom de fausses nouvelles.
Ainsi, les fake news pourraient être considérées comme une des nouvelles pratiques menaçantes « à la mode » : d’où la nécessité de freiner celles-ci afin d’en contrôler la dangerosité indiscutable, pour éviter la désinformation totale et la méfiance quasi-systématique des utilisateurs.
Les solutions existantes mais insuffisantes
Au niveau national, à travers le délit de fausses nouvelles, certains justiciables peuvent trouver réparation mais l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 est difficile d’application, trop conditionné peut être, et se rapportant essentiellement à un trouble à l’ordre public, pour s’adapter au domaine d’internet, et ainsi tombe en désuétude.
Ensuite, il est possible de trouver des dispositions dans la loi de 1986 relatives à l’audiovisuel mais le champ d’application du CSA, autorité régulatrice, se limite aux services de communication audiovisuelle, peut-être qu’avec la révision de la directive SMA, prévue pour le printemps prochain, élargissant le champ de compétence du CSA, celui-ci pourrait se retrouver investi d’un pouvoir supplémentaire en matière de contrôle et répression concernant internet.
Il est facile de trouver la mention et la condamnation de la diffusion de fausses informations dans plusieurs codes (code de la santé publique, code de commerce…), mais ces dispositions sont toujours très précises, applicables seulement dans des cas particuliers et difficiles à employer la plupart du temps, surtout prenant en compte la jungle d’informations relayée tous les jours sur internet.
Une proposition de loi a été enregistrée au Sénat le 22 mars 2017, ajoutant un article au code pénal (art 226-12-1) mais, celle-ci étant trop répressive, le projet a été laissé sans suite. La nécessité de sanctionner les fausses nouvelles est incontestable, mais certains ont pris cette proposition comme une volonté d’encadrer encore un peu plus la liberté d’expression, et ont considéré que la protection actuelle était suffisante notamment en matière de presse écrite ou de publicité : un des exemples les plus connus est celui de la 14ème chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre qui avait condamné un journaliste en 1999 pour un reportage truqué ayant semé la panique dans une cité, preuve de l’efficacité du dispositif législatif en place.
Mais concernant ces fausses nouvelles sur internet, il est impossible de dire qu’une protection efficiente est mise en œuvre même si comme dit précédemment sur ce site, certains géants du net comme Google ou Facebook mettent en œuvre leur propre outil de reconnaissance des fake news, à travers des techniques de fact-checking : Néanmoins, mises en place il y a quelques années, celles-ci demeurent déjà insuffisantes.
L’issue utopique pour freiner la manœuvre : l’initiative personnelle et active
Avec les remous provoqués par le règlement européen sur la protection des données personnelles et le mois d’octobre 2017 dédiée à la cybersécurité, les défaillances et les choses à améliorer sont pointées du doigt dans le domaine du numérique : est-ce que les fake news doivent être vraiment considérées comme dangereuses pour les utilisateurs d’internet ? Ou ne doit-on pas s’auto-éduquer afin de faire attention et vérifier les renseignements ainsi que signaler les informations qui nous semblent mensongères ou abusives afin de permettre à tous, d’accéder à une meilleure information, fiable et honnête ?
Dans un monde, où la surinformation et la désinformation deviennent des notions clefs et où la méfiance envers les médias est reconnue, est-ce que les citoyens ne doivent pas être dotés d’une certaine clairvoyance afin de déceler le vrai du faux ?
Il convient de dire que le numérique ne cesse sa progression et au-delà de l’internet « visible », on peut trouver au sein du dark web, un commerce parallèle consistant à dégrader la réputation d’une personne ou d’une entreprise. Des professions de « lanceurs de fake news » se développe ainsi. Est -on réellement informé sur ce genre de pratiques?
Avec la problématique de la protection des données personnelles, actualité brulante du moment, un parallèle peut être fait : un « pacte avec le diable » est réalisé lorsqu’un utilisateur insère ses données personnelles sur les plateformes : en insérant ses données, ses orientations sexuelles ou politiques ainsi que sa situation familiale, l’internaute se complait dans ce système et a prend peu à peu conscience que ses données vont être utilisées par la plateforme. Il en est de même avec les fausses informations, peut-on se plaindre de ne pas savoir ? Une certaine paranoïa n’est-elle pas encouragée par la volonté perpétuelle de réguler et réglementer ?
Une initiative collective devrait être mise en place afin d’étouffer le phénomène des fausses informations.
Selon Guillaume Poupard, directeur général de l’ANSSI, le grand défi de la sécurité du numérique se trouve dans la sensibilisation de tous les publics.
Est-on habitué à se méfier de l’information venant d’internet, étant désormais bien au courant de l’instantanéité, de la possibilité de non vérification systématique vis à vis des hébergeurs ? Un courant utopiste de la doctrine du numérique notamment de Yochai Benkler expose que c’est la production sociale qui transforme les marchés et la liberté. Ainsi, la société serait capable de contrecarrer certaines pratiques comme les fake news par une certaine « manœuvre citoyenne internationale » dira-t-on, en pratiquant une forme de liberté d’expression différente.
L’Europe numérique en chantier : entre prise de conscience et accélération des procédés
L’exemple majeur d’avancée en la matière est celui de l’Allemagne qui sanctionne les fake news sur les réseaux sociaux : un délai de 24heures a été fixé pour les fournisseurs d’accès, et après ce temps, ils ont l’obligation d’avoir effacé les fake news, sous peine de sanctions lourdes.
Ces délais font peur et agitent les géants du net, notamment Facebook, qui a protesté à de nombreuses reprises, car il est vrai qu’il peut s’avérer difficile de tenir ce délai, car même si le réseau social s’en sort plutôt bien concernant l’effacement des fake news (33% en 24h), Twitter quant à lui, ressort grand perdant de la course, avec 1% seulement de fausses nouvelles effacées en 24 heures.
La répression au travers d’un délai fixe, n’est peut-être pas la solution face à internet et les informations continuelles et immédiates.
Selon la doctrine, la revalorisation du journalisme indépendant et professionnel est une solution probable pour contrecarrer la montée en puissance des fake news : La commission européenne a présenté un rapport controversé sur les droits d’auteurs en septembre 2016 qui parlait d’une obligation de filtrage automatisé et un droit spécifique pour les éditeurs de presse qui permettrait aux éditeurs de lutter contre les violations dues à l’exploitation systématique de leur contenu.
Autre solution, Publiq, un projet de blockchain particulièrement ambitieux, entend recourir à cet outil de stockage et d’échange d’informations basé sur la confiance réciproque pour proposer des actualités fiables et ainsi lutter contre la propagation des fake news.
Dernier mouvement en date de Google, l’annonce fin octobre d’un partenariat avec le réseau international de vérification des faits (International Fact Checking Network) de l’institut Poynter. Ces efforts servent indirectement les intérêts de Google, puisqu’ils permettent de fiabiliser les contenus qui transitent par ses services. Les plateformes, notamment les réseaux sociaux, se rendent compte que la sécurisation de leur réseau, ainsi que la vérification des faits, assurent leur pérennité dans le monde numérique.
Les manœuvres s’intensifient de plus en plus, d’ailleurs, le 13 novembre 2017, la commission européenne a lancé une consultation publique sur les fausses nouvelles et la désinformation en ligne, cette future proposition permettra peut-être de poser un cadre concernant les fake news : A elle, d’élaborer de nouvelles pistes et de rendre les fausses nouvelles contrôlables et évitables.
SOURCES :
ESCHAPASSE (B.), « faut-il sanctionner la propagation de fausses nouvelles ? », lepoint.fr, publié le 23 avril 2017, consulté le 3 novembre 2017,
LAUSSON (J.), « Désinformation : Google accentue ses efforts en faveur de la vérification des faits », numerama.com, publié le 27 octobre 2017, consulté le 5 novembre 2017,
ORSINI (A.), « Publiq, la blockchain qui veut mettre fin aux fake news », numerama.com, publié le 24 octobre 2017, consulté le 5 novembre 2017,
<http://www.numerama.com/tech/300206-publiq-la-blockchain-qui-veut-mettre-fin-aux-fake-news.html >
PERRONE (C.), « pour un journalisme indépendant contre les « fake news » », Legipresse, n°352, septembre 2017, p 414
SAUVAGE (G.) « quel(s) outil(s) juridique(s) contre la diffusion de « fake news » », Legipresse, n°352, septembre 2017, p 427-432