Garantir la liberté d’expression et la liberté d’information constitue une nécessité dans notre société démocratique. Le journaliste peut être vu comme un défenseur de ces libertés. Il est définit par la loi comme toute personne qui exerce une activité de communication au public par le biais de la presse ou des médias contre une rémunération. Cette liberté d’expression portée par la presse est essentielle, en témoigne le fait pour les citoyens de vouloir la maintenir face à certains actes terroristes qui ont tenté de la remettre en cause. L’information délivrée par ces journalistes est soumise à un principe d’éthique qui impose une information loyale et claire. De ce principe découle celui du secret des sources qui est une condition essentielle de liberté de la presse. En effet, son respect permet aux journalistes de ne pas dévoiler l’identité des personnes intervenant dans la réalisation d’un article ou d’un reportage. Ce principe, bien qu’affirmé dans la loi, n’a pas toujours été bien défini et encadré dans son application. L’arrêt Becker en l’espèce permet de revenir sur la protection du secret des sources et de donner à ce principe une importance essentielle dans le domaine journalistique.
La protection des sources journalistiques : une affirmation par étapes
La protection des sources journalistiques est aujourd’hui un principe encré mais il a fallu plusieurs lois et précisions pour en arriver là. En France la presse est une institution plus qu’importante, celle-ci permet d’exercer une liberté essentielle qui est la liberté d’expression. À ce titre, la Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950 en son article 10 indique que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées (…) ». En France, la presse permet la diffusion de ces idées de manière libre, bien que parfois celle-ci soit entravée. Les attentats du 7 janvier 2015 au sein du siège de Charlie Hebdo prouvent que cette liberté doit être entretenue malgré les opinions contraires en ce qu’elle constitue un droit essentiel dans une société démocratique. Suite à cet événement, la réaction des citoyens a été de revendiquer cette liberté de presse et non de la renier.
Cette liberté d’expression et d’information passe également par la protection des sources journalistiques. Ces sources constituent tous les témoignages obtenus lors des enquêtes menées par les journalistes pour la rédaction d’articles, elles peuvent donc parfois être en lien avec des affaires délicates. La législation française permet à ces journalistes de ne pas révéler l’identité de leurs sources même dans un cadre procédural. Ce principe a été reconnu par plusieurs lois, notamment la loi du 29 juillet 1881 ou la loi 2010-1 du 4 janvier 2010 sur la protection du secret des sources journalistiques. Il s’agit d’un principe constitutionnel puisque l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen indique que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
L’application concrète de cette protection des sources et son affirmation par les institutions s’est établie par étapes grâce à la jurisprudence. La première affaire marquante en la matière est la jurisprudence « Goodwin c/ Royaume-Unis ». Le Royaume-Uni avait été sanctionné par la Cour Européenne à propos de la violation du secret des sources d’un journaliste. Lors d’un procès, celui-ci avait refusé de dévoiler l’identité des personnes lui ayant permis d’écrire à propos des difficultés financières d’une entreprise. Le problème du secret des sources de ce journaliste s’est posé car la société avait remarqué la disparition d’un document relatant de cette difficulté financière. Sans connaître l’identité de l’informateur du journaliste, la société ne pouvait alors intenter d’action contre lui et, de ce fait, ne pouvait éviter de voir les informations confidentielles contenues dans ce document être révélées au grand jour. Par ailleurs, la volonté de découvrir l’identité de la personne ayant volé les documents était très importante pour empêcher une récidive de sa part. Il y a alors une contradiction qui se crée entre la protection des sources journalistiques qui est un droit essentiel de la presse mais également le droit à un procès équitable pour l’entreprise qui est également essentiel. Le gouvernement britannique a penché en faveur de la société afin de lui permettre d’exercer ses droits contre la personne responsable du vol de document et d’intenter contre celle-ci une action en justice. L’affaire a été menée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin « d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 10 de la Convention ». Les juges de la Cour vont alors défendre les droits du journaliste contre ceux de la société. Ils indiquent que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse », si elle n’est pas respectée, alors c’est toute la liberté d’expression qui est remise en cause. Cela se comprend par la relation de confiance qui existe entre un journaliste et sa source. En effet, si une personne sait que sa responsabilité peut être engagée à la suite d’un témoignage, la difficulté pour obtenir des informations sera telle que les journalistes ne pourront plus jouer leur rôle d’informateur des citoyens. Pour la Cour, cette liberté prime sur l’intérêt de la société à engager des poursuites contre l’informateur. Une limite a tout de même été ajoutée ; la révélation des sources peut se justifier dans le cas où il y aurait un impératif prépondérant d’intérêt public, et si tel est le cas, l’atteinte aux sources doit être proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.
Cette affaire a permis à la Cour d’indiquer l’importance considérable de cette liberté de la presse dans une société démocratique, ce qui explique qu’elle supplante parfois d’autres droits essentiels.
La difficile définition de l’impératif prépondérant d’intérêt public
La protection des sources journalistiques est un droit consacré au niveau européen qui trouve également son application en droit français. En effet il existe plusieurs législations faisant état de cette règle. La loi de 1881 qui encadre la presse et ses droits énonce une protection des journalistes en indiquant qu’il ne peut être porté atteinte à ce principe du secret des sources que si il existe un impératif prépondérant d’intérêt public le justifiant. Il existe donc bien une protection pour les journalistes qui pourront conserver leurs informations même dans le cadre d’un procès. Néanmoins l’expression « impératif prépondérant d’intérêt public » peut amener à plusieurs interprétations qui peuvent alors limiter ce droit au lieu de le conserver. Ce terme ne trouvant aucune définition précise, il peut être sujet à plusieurs interprétations ce qui ne permet pas aux journalistes d’exercer pleinement leur droit au secret des sources.
Une loi promulguée en 2010, la « Loi Dati » revient sur ce principe du secret des sources mais conserve la rédaction ancienne et la limite de l’impératif prépondérant d’intérêt public qui était déjà présente dans la législation. Les syndicats de journalistes et les spécialistes du droit de la presse se sont alors indignés du fait que la protection soit trop « faible » et peu précise dans ce domaine. En outre ils déplorent le fait qu’il n’existe aucune sanction prévue dans le cas d’une réelle atteinte à ce droit qui est « le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ». Il s’agit pour eux d’une remise en cause de la liberté de presse mais plus globalement également de la liberté d’expression. Le rédacteur en chef du « Canard enchaîné » s’est exprimé à ce sujet en indiquant que « s’il n’y a pas de protection des sources, les sources se tarissent, et donc il n’y a pas d’information » ce qui va à l’encontre d’une information claire sur tous les sujets possibles.
Face à ces indignations, en 2016 une proposition de loi a été adoptée visant à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme dans les médias ». Ce texte revient notamment sur la protection des sources et décide de supprimer le terme « d’impératif prépondérant d’intérêt public ». Cette seule suppression constitue une grande avancée pour le droit des journalistes en ce qu’elle permet de mieux encadrer la protection des sources. Le nouveau texte énonce que seul le juge peut porter atteinte au principe du secret des sources lorsqu’il s’agit de délits « portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou liés au terrorisme, s’ils sont punis d’au moins dix ans de prison ». Ce seuil a plus récemment été abaissé à sept ans mais le principe reste le même. En outre, le nouveau texte permet aux journalistes de ne plus être poursuivis « pour recel de documents provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l’enquête ou de l’instruction ou du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée » si il est démontré que la diffusion de ces informations s’inscrit dans un but légitime. Ce texte marque un tournant pour ce principe de secret des sources qui se trouve mieux encadré, ce qui ne pourra qu’améliorer le quotidien des journalistes. L’affaire Becker s’inscrit dans cette logique de protection du journaliste.
D’une acceptation difficile à un principe élargi : l’affaire Becker
Ce principe de protection des sources journalistiques a pu être réaffirmé dans un arrêt du 5 octobre 2017 de la CEDH Becker c/ Norvège. Il s’agit d’une journaliste norvégienne ayant écrit un article sur une société pétrolière dans lequel elle révèle des informations sur les difficultés financières de celle-ci, informations obtenues grâce à une source anonyme. Après la publication de cet article le cours de l’action de la société en question ayant chuté, celle-ci forme alors une plainte pour manipulation. La journaliste est entendue dans le cadre de l’affaire, elle décide de ne révéler aucune information à propos de sa source, bien que la personne constituant cette source ait décidé de se révéler d’elle-même au début de l’enquête. La journaliste invoque le principe de protection des sources journalistiques. Là où le problème se pose pour les tribunaux norvégiens c’est qu’en l’espèce la source s’est dévoilée d’elle même pendant l’affaire. Selon eux il n’y a donc plus de « sources à protéger ». De plus, face à une « affaire pénale grave » la révélation des sources journalistiques est, selon les tribunaux, une nécessité. C’est dans le cadre de cette réflexion qu’ils décident de condamner la journaliste à verser une amende d’environ 3 700€ pour « avoir refusé de répondre aux questions sur ses contacts avec M.X » qui est la source de l’information.
L’affaire est alors portée devant la Cour européenne des Droits de l’Homme qui doit répondre à la question de savoir si le fait que la source du journaliste se dévoile a un quelconque impact sur le principe de protection. Si c’est le cas, la journaliste pourra alors être contrainte de répondre à des questions concernant les informations qu’elle a reçues. Les juges de la Cour rappellent que la protection des sources ne peut pas être directement écartée au motif que celle-ci se soit dévoilée volontairement. Le point important ici est celui de savoir si le témoignage apporté par la journaliste était indispensable au bon déroulé de l’enquête pénale et, ultérieurement, au procès. En l’espèce, le refus par la journaliste de dévoiler sa source n’a pas entravé l’enquête pénale ou le procès selon la Cour. Pour preuve, l’acte d’inculpation a été délivré à l’accusé sans même que la journaliste ait été interrogée à propos de ses informations. Cela n’a, en aucun cas, empêché l’étude des charges sur le fond par les juges car le dossier contre M.X (la source) était suffisamment en l’état. En se fondant sur ces affirmations, la Cour donne raison à la journaliste et renforce un peu plus la protection du secret des sources.
A travers cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme insiste un peu plus sur la protection des sources journalistiques même lorsque des enjeux économiques et procéduraux entrent en compte. Mais, face à de nouvelles menaces comme le terrorisme, il faut se demander si la révélation des sources pourrait être utilisée comme un atout en ce qu’elle permettrait de découvrir l’identité de personnes liées à ce mouvement. Face à cela, le problème se pose de la légitimité des journalistes car n’étant plus protégé par ce principe, ils ne seront plus à même de récolter des informations et notamment les informations dites sensibles. Les témoignages seront difficiles à obtenir si les personnes y participant savent que leur identité pourra être dévoilée au grand jour. Cela pourrait entraver la liberté de la presse et plus globalement la liberté d’expression. L’équilibre entre la liberté d’information et la lutte contre les nouvelles menaces est, certes, difficile à mettre en œuvre mais nécessaire. Dans cet arrêt la Cour se positionne un peu plus pour le renforcement de cette liberté d’information.
SOURCES :
Laville, Camille. « Le journaliste, un professionnel de la transparence ? », Sens-Dessous, vol. 20, n°2, 2017, pp. 29-36.
Sénat, Étude de législation comparée n° 252, décembre 2014, « La protection du secret des sources des journalistes », <http://www.senat.fr/lc/lc252/lc2520.html>.
JACQUIN B., « L’assemblée élargit les possibilités d’atteintes au secret des sources des journalistes », Le Monde médias, 19 juillet 2016 < http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2016/07/19/l-assemblee-elargit-les-possibilites-d-atteintes-au-secret-des-sources-des-journalistes_4971514_3236.html>.
Association des journalistes professionnels, « La loi protège les sources du journaliste » < http://www.ajp.be/la-loi-protege-les-sources-du-journaliste/>.