De la Cité idéale conceptualisée par Platon dans La République (427 à 348 av. J.-C.) à la ville définie par l’historien Jean-Luc Pinol dans son ouvrage Histoire de l’Europe urbaine de l’Antiquité à nos jours publié en 2003, la ville, « phénomène total » et structurant de nos sociétés urbaines se trouve être aujourd’hui le point névralgique de diverses problématiques tant philosophiques, qu’économiques, sociales, sociétales et environnementales. En effet, elle est l’objet des préoccupations des opérateurs publics qui se voient devancés par les opérateurs privés dans leur volonté de participer à l’émergence de villes intelligentes ou selon l’expression consacrée, smart cities, alors en pleine expansion. Selon un rapport publié par l’Organisation des Nations Unies en date du 21 juin 2017, la population mondiale devrait atteindre en 2050 9,8 milliards d’urbains, soit 2,5 milliards d’urbains de plus qu’en 2017. Ces chiffres impressionnants induisent nécessairement de repenser la ville aux fins de la rendre plus durable, écologique, sécurisée et au service des urbains, en la pourvoyant notamment d’outils numériques efficaces et interopérables lui conférant alors le statut de smart city.
La smart city, est un concept d’origine anglo-saxonne, en vertu duquel, pour qu’une ville soit smart, celle-ci doit répondre à une triple exigence : sociétale, économique et environnementale. Autrement dit, elle doit pouvoir, au moyen des nouvelles technologies, s’intégrant parfaitement dans la ville, améliorer la qualité de vie des urbains. Pour ce faire, la smart city doit être à même de parvenir à une optimisation, des coûts, de l’organisation de la ville (ce qui se traduit par une gestion optimale des flux de personnes, des informations, du matériel) et de la gestion des infrastructures diverses (d’énergie ou non). De plus, les urbains participent, par le partage de leurs données personnelles, au développement économique de la smart city. Ce développement économique doit par ailleurs être durable. En effet, la ville smart doit être dotée de structures limitant les consommations d’énergie. Doivent y être implantées de préférence des industries favorisant une économie circulaire, et une gestion limitée des ressources naturelles doit y être effectuée.
Cependant, alors qu’un réel besoin de repenser la ville existe, la question de la protection des données personnelles des urbains se pose. Chaque habitant transporte aujourd’hui avec lui par le biais de son smartphone, ses propres données personnelles. Ces données sont remises entre les mains des acteurs privés ou publics, alors détenteurs d’un savoir sur les urbains, leur permettant un nombre incalculable d’utilisations diverses et variées. Par exemple, ces données peuvent être utilisées pour la gestion des déchets mais également à des fins de surveillance par divers opérateurs. Différentes « tours de contrôle » s’érigent ainsi. In fine, la détention de ce savoir, générant un pouvoir détenu en plusieurs mains, permettrait de dicter aux urbains leurs comportements et habitudes et ce, à leur détriment. En outre, la ville, phénomène polymorphe, peut, de par le développement des outils numériques, donner aux pouvoirs publics et privés, l’opportunité de s’immiscer dans la vie privée des urbains sans que ceux-ci ne le sachent totalement. Les habitants voient ainsi la protection de leurs données personnelles mise à mal. De telles pratiques s’avèrent problématiques face aux exigences posées dans le Règlement du Parlement et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dont l’entrée en vigueur est prévue le 25 mai 2018.
Ainsi on peut se demander si un développement des smart cities est nécessaire dans nos sociétés urbaines et le cas échéant, s’il est conciliable avec les exigences posées par le Règlement Européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) ?
L’émergence nécessaire d’une smart city face aux facteurs démographiques et environnementaux contemporains
Deux phénomènes d’importance induisent aujourd’hui la nécessité de parvenir à rendre les villes intelligentes. Le premier est le phénomène de concentration de la population dans les villes du fait de l’augmentation de la population mondiale. Dans son cinquième cahier innovation et prospective, le Laboratoire d’innovation numérique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) fait état d’une concentration de près de 10 millions d’habitants dans au moins 41 villes du monde, à l’horizon 2030. Le service des populations du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, dans l’édition 2014 du rapport sur les perspectives de l’urbanisation, fait le constat qu’aujourd’hui 54% de la population mondiale vit dans des zones urbaines, une proportion qui devrait passer à 66% en 2050. Ainsi, ce premier phénomène induit le deuxième qui est l’augmentation d’émissions de gaz à effet de serre. Selon une grille de données de la population mondiale réalisée par la NASA en 2016, 50% de la population mondiale occuperait 1% de la surface terrestre disponible. De plus, les villes aujourd’hui occupent près de 2% de la surface de la Terre et produisent près de 80% d’émissions de gaz à effet de serre, selon le cinquième cahier innovation et prospective du Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL. Ainsi, comme l’a souligné John Wilmoth, Directeur de la Division de la population, lors d’une conférence de presse au siège de l’ONU « la Gestion des zones urbaines est devenue l’un des défis de développement les plus importants du 21e siècle » et « le succès ou l’échec de la construction de villes durables sera un facteur important pour la réussite du programme de développement pour l’après-2015 ». Il paraît donc inconcevable aujourd’hui de ne pas parvenir au développement de la smart city quand on sait que les enjeux environnementaux et sociétaux sont d’envergure.
Aujourd’hui la smart city devient un outil incontournable à une meilleure gestion des zones urbaines. Les nouvelles technologies viennent estomper et limiter les effets des deux phénomènes précités à savoir démographique et environnemental. En effet, leur utilisation illustre qu’aboutir à la smart city confère de nombreux avantages aux urbains. Concernant le phénomène de concentration des personnes, l’on peut citer plusieurs applications qui ont été développées et qui participent à la fluidité de la ville. On peut donner l’exemple de Foursquare, application créée à New-York en 2009 par Denis Crowley, Naveen Selvadurai, Harry Heymann, Nathan Folkman et Mike Singleton, qui permet aux urbains d’indiquer où ils se situent dans une ville grâce à un système de géolocalisation et de recommander certains endroits de la ville. Ainsi, l’on pourra s’attendre à des flux plus importants de personnes aux alentours d’endroits recommandés, laissant d’autres aires géographiques peut-être plus désertes. L’application Strava quant à elle, créée en 2009 par Michael Horvath et Mark Gainey, permet à des cyclistes et coureurs de partager leurs itinéraires. Ce qui permettra à des adeptes du sport de fréquenter plus certains endroits que d’autres ou au contraire d’en fréquenter un différent à chaque fois, permettant ainsi de recouvrir uniformément toute une partie du territoire en question. De plus, on ne peut ignorer l’influence que l’application Uber exerce sur les flux de véhicules. Cette application, lancée en France en 2012, permet aux utilisateurs de commander en quelques secondes une voiture avec un chauffeur ce qui fait notamment concurrence aux entreprises de taxis. Bien que tel soit le cas, cette application permet par exemple de pouvoir se déplacer rapidement d’un endroit à un autre, le but étant de bénéficier d’un trajet sur mesure et ainsi d’aller plus rapidement au but escompté. Il en est de même pour l’application Blablacar, plateforme communautaire payante de covoiturage lancée en 2013 par la société Comuto, fondée par Frédéric Mazellea, qui permet aux urbains de se passer des services traditionnels tels que le train ou l’avion, en se tournant vers un moyen de transport leur permettant d’être acheminés plus rapidement à l’endroit qu’ils souhaitent qui de surcroît est on ne peut plus écologique puisqu’il favorise le covoiturage.
Les collectivités locales se tournent vers les acteurs privés lors de la mise en place d’outils numériques visant à améliorer la qualité de vie des habitants par le développement d’applications permettant de mesurer certaines données telle que la pollution de l’air, ou visant la collecte des déchets. L’idée d’une poubelle intelligente par exemple a été pensée dans le but de faciliter la régulation des tournées de camions. En effet, il s’agirait de poster sur des bennes à ordures des capteurs de poids permettant d’alerter les services de ramassage lorsque le ramassage des ordures devient nécessaire. En l’espèce, la donnée collectée permet simplement la localisation de benne et la charge de déchets qu’elle supporte. En France, une start-up, Green Creative, a conçu une poubelle connectée et intelligente « R3D3 » qui pourrait contribuer à la collecte des déchets. Le principe de cette poubelle intelligente est d’analyser, de trier puis de compresser les déchets avant de prévenir les entreprises de collecte que la poubelle est pleine. Ce qui va en faveur d’une optimisation des flux de véhicules de ramassage d’ordure, d’une réduction des coûts liés à la consommation d’essence des camions bennes, ainsi que d’une réduction d’émission de gaz d’échappement. D’autres initiatives et applications mettent en lumière les avantages de la smart city. A ce titre on peut citer la volonté du collectif Citoyen Capteurs de diffuser des capteurs de pollution open source afin de permettre à chacun de mesurer la pollution de l’air. Ceci pourra alors aller dans le sens d’une sensibilisation des citoyens à la pollution de l’air, pouvant aller jusqu’à une responsabilisation de ceux-ci, leur donnant aussi la possibilité d’être informés sur l’environnement qui les entoure.
Enfin, l’application Fix My Street, permet aux habitants de signaler à la municipalité les dégradations et incidents ayant lieu dans la ville, tels que les trous dans la chaussée et permet également d’informer les citoyens et les administrations à chaque étape de la résolution de l’incident. Cela allant dans le sens du confort des urbains.
In fine, on peut donner l’exemple de l’application Waze, qui a été rachetée par Google le 11 juin 2013, qui est une application mobile de navigation GPS qui s’appuie sur une cartographie élaborée à partir de données partagées par ses utilisateurs, qui collaborent à son élaboration. Cette application propose depuis 2015 le service Waze connected Citizens aux collectivités en vertu duquel la collectivité dispose d’un outil de monitoring urbain, que le service lui concède, et ce sans contrepartie. Ce service se base notamment sur les données fournies par les utilisateurs qui donnent des informations sur la ville telles que des données liées à des travaux en cours, du trafic ou des accidents.
Ainsi, il est indéniable qu’un développement de la smart city est incontournable puisque celui-ci répond à un besoin d’optimisation des flux, des coûts tout en répondant au bien être des urbains dans un environnement et un développement économique durables. En outre, force est de constater que les opérateurs publics tels que les collectivités locales se voient devancés dans la mise en place de technologies visant au développement de la smart city par des opérateurs privés tels que Google par exemple. Une coopération entre opérateurs publics et privés commence à s’opérer. Or, cette ville intelligente, aux avantages multiples apparaît néanmoins être un instrument permettant la détention d’un savoir, partagé entre des acteurs privés et publics. Ce savoir généré sur les urbains s’avère problématique en termes de protection des données à caractère personnel.
De la gestion urbaine à la surveillance des individus : une difficile conciliation de la smart city avec les exigences posées par le RGPD :
La smart city est génératrice de savoir sur les individus grâce aux nouvelles technologies. Cependant, il est important de rappeler que la ville a toujours été génératrice de savoir sur les individus. La ville pestiférée en France au XVIIème siècle est l’illustration même de l’existence d’un savoir généré sur les habitants. En l’espèce, ce savoir était généré afin d’endiguer la propagation de la peste. A ce titre, Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et Punir de 1975, décrit ainsi qu’au sein des villes pestiférées, des personnes telles que « [d]es intendants, [d]es syndic, [d]es soldats de gardes ou encore « [d]es bons officiers et gens de bien » avaient pour tâche d’identifier les habitants de la ville, de faire le départ entre les personnes contaminées de celles qui ne l’étaient pas, et de faire un bilan du nombre de personnes décédées par la peste pour pouvoir en avertir les magistrats qui étaient à l’origine de l’orchestration de cette collecte de données. Ce savoir induisait le contrôle des habitants citoyens par des personnes physiques bien distinctes se différenciant des bases de données que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, les bons officiers d’hier pourraient être incarnés aujourd’hui par des opérateurs privés tels que Google, qui pourraient avoir pour rôle d’identifier et de contrôler des personnes.
Comme on a pu l’étudier, le développement des nouvelles technologies aux fins de rendre la ville plus smart est de fait générateur de données personnelles. Ce qui laisse à penser qu’au-delà de la smart city, l’on serait peut-être plus en présence d’une data city. Une ville qui, bien qu’intelligente, est détentrice d’un nombre de données colossale, lui conférant ainsi le statut de data city. Le savoir généré au sein des zones urbaines s’avère problématique quant à son utilisation, notamment en termes de surveillance, il pourrait porter atteinte à la protection des données à caractère personnel garantie par le Règlement Européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
A ce titre, dans son cinquième cahier innovation et prospective, le Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL cite Rob Kitchin professeur à l’université de Maynooth qui dresse une sorte d’état des lieux concernant la protection de la vie privée et la sécurité des données personnelles dans les villes intelligentes. Selon lui, 6 problématiques surgissent du fait de l’émergence des smart cities. Nous les évoquerons tout en en regroupant certaines. En premier lieu, il fait état d’une « intensification de la datification » en vertu de laquelle « divers opérateurs concourants au développement de la smart city collectent une masse de données personnelles très importante du fait de sa circulation d’une plateforme à une autre » et de sa granularité. Cette intensification allant de pair avec une multiplication des transferts de données tendant à une « opacité et automatisation des systèmes » ce qui rend notamment complexe de satisfaire aux exigences de consentement au traitement et à l’information du sujet au traitement posées aux articles 5 et 6 du RGPD. Puis, il fait état des « risques croissants d’interférences liées aux modèles prédictifs », un modèle prédictif étant un algorithme permettant, à partir de bases de données, de prédire une tendance. Tendance pouvant alors influencer les opinions des urbains, voire « renforcer [leurs] préjugés ». Les modèles prédictifs peuvent également être à l’origine de fausses informations qui peuvent alors être véhiculées. En effet, ces modèles ne sont pas d’une fiabilité absolue. Ensuite, Rob Kitchin pointe du doigt la fausse anonymisation dont les données personnelles font parfois l’objet et qui ne sont en réalité que pseudonymisées et qui permettent alors l’identification des personnes. Enfin, Rob Kitchin dénonce la possible réutilisation des données partagées pour des « usages et finalités inattendues et imprévisibles » ce qui va à l’encontre, une fois de plus, des exigences de consentement et de finalité déterminée du traitement posées aux articles 5 et 6 du RGPD.
C’est ce que met en lumière la professeure néerlandaise Liesbet van Zoonen dans une analyse qu’elle fait concernant le projet de poubelle intelligente. En effet, celle-ci met en exergue le fait que ce projet pourrait passer d’un projet dont l’ambition est la collecte de données personnelles à des fins de services à un système de collecte de données personnelles à des fins de surveillance. Tel fût le cas à Londres en 2012. En effet, lors des jeux olympiques de Londres de 2012, des poubelles conçues pour résister à l’explosion de bombes furent équipées d’un système wifi et d’écrans digitaux. Selon leur fabricant, Kaveh Memari, le but de ces équipements était de comptabiliser simplement le nombre de passants et non pas de collecter les données personnelles. Cependant, il a été démontré que cette technologie pourrait permettre de cibler des campagnes publicitaires en fonction par exemple du temps passé dans les commerces. En juin 2012 ces poubelles ont enregistré plus d’un demi-million de téléphones grâce au wifi. Ce qui fait de la société Renew, fabricante de ces poubelles, une détentrice d’un très grand nombre d’informations sur les citoyens, qui pourrait être utilisé à des fins de surveillance.
Une autre illustration de ce que dénonce Rob Kitchin est ce que l’on appelle le wifi tracking. Cette pratique a été utilisée à Londres. Il s’agit d’un système de capteurs implantés en certains endroits dans les villes, en vertu duquel les données des passants peuvent être collectées depuis leur smartphone grâce au wifi. En 2016, l’agence de transport collectif de la ville de Londres (Tfl) a usé de ce système. En effet, cette agence avait déployé un système de transports intelligents en vertu duquel des capteurs, implantés dans les transports en question, enregistrent des identifiants des smartphones dont le wifi est activé, pour permettre, grâce à ces données, de comprendre les usages de l’infrastructure et d’améliorer le service. On voit alors, que les opérateurs publics et privés sont aujourd’hui en mesure de collecter un savoir sur les urbains, et ce à leur insu. Même si la visée première de ce système est d’améliorer l’infrastructure, la possibilité d’un détournement des données collectées pose question.
En effet, l’article 5 du RGPD pose une exigence de licéité, de transparence et un caractère loyal du traitement à l’égard de la personne concernée par celui-ci. Cependant, on voit mal pour certaines applications usant du wifi tracking, comment celles-ci pourraient informer l’urbain que celui-ci est traqué. Par exemple dans le cadre des systèmes de transports intelligents mentionnés ci-dessus, il serait souhaitable que les responsables avertissent les urbains que leurs données sont collectées aux fins d’améliorer le service, cependant, comment envisager une mise en œuvre pratique d’une telle information ? Dans ce même article 5 sont posées plusieurs exigences quant à la donnée traitée. En effet, celle-ci doit être explicite, correspondre à une finalité déterminée et être nécessaire au regard de la finalité concernée. Le caractère explicite de certains traitements semble difficile à mettre en évidence, cela rejoint la problématique de l’information des urbains. D’autre part, comment déterminer la nécessité d’un traitement de données ? La justification tendant au développement durable et à l’écologie peut être légitime cependant qu’en est-il des traitements de données visant au confort des urbains ? Comment apprécier ce qui permet leur confort ou non ?
A l’instar de l’article 5 du RGPD, l’article 6 du RGPD pose une exigence de licéité du traitement ce qui implique notamment que la personne ait consenti au traitement. Là encore, on peut se poser la question de savoir comment les opérateurs publics et privés vont pouvoir mettre en œuvre le recueil du consentement des urbains. Concernant les applications ayant pour simple objet de compter des personnes et d’étudier les flux de personnes, comment recueillir le consentement de tout un chacun se promenant de la rue ?
De plus, l’on pourrait aller plus loin dans l’analyse. En effet, le fait pour certains opérateurs de détenir du savoir pourrait les amener à opérer une forme de contrôle des comportements des urbains qui agiraient en fonction de ce que leur dicteraient les applications dont ils sont utilisateurs. Par exemple, l’application Waze pré-citée, cherche à dissuader les automobilistes de traverser certaines zones « à risque » dans les villes en leur signalant par un pop-up qu’ils devraient éviter un quartier, un service, une zone. Ce qui est discutable de deux points de vue. En effet, une application est-elle en droit de dicter les comportements des urbains ? Et de surcroît, ne serait-ce pas dangereux qu’une telle application contribue à un accroissement des inégalités au sein même de la ville, accentuant ainsi la ségrégation ? Concernant les données collectées par les poubelles intelligentes le problème est similaire. En effet, ces données permettent aux différents acteurs d’avoir une visibilité sur le comportement des individus ce qui pose également question d’un point de vue de la protection des données.
Ainsi, sachant que le RGPD entre en vigueur en mai 2018, l’enjeu pour les entreprises, start-up innovantes, opérateurs privés et publics est de taille. En effet, ceux-ci doivent parvenir à « mettre en œuvre des services respectueux des droits des personnes, quelle que soit la complexité des systèmes » estime Rob Kitchin. Le RGPD, en plus de fournir un cadre aux responsables de traitement de données, fournit les outils nécessaires à la bonne mise en œuvre de ce cadre.
A titre d’exemple on peut citer l’article 37 du RGPD qui pose l’obligation pour un responsable de traitement de données ou un sous-traitant de désigner un délégué à la protection des données ou Data Protection Officer (DPO) notamment lorsque le traitement est effectué par une autorité publique ou un organisme public. En vertu de cela, toutes les collectivités locales mettant en œuvre des traitements de données personnelles devront désigner un DPO dont les fonctions sont fixées à l’article 38 du RGPD et dont les missions sont fixées à l’article 39 du RGPD. De plus, pour certaines catégories de traitements, qui sont « susceptibles d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques », le responsable de traitement doit effectuer avant le traitement, une étude d’impact « des opérations de traitement envisagées sur la protection des données à caractère personnel » et ce en vertu de l’article 35 du RGPD, dont le contenu a été précisé par l’adoption par le G29, le 4 octobre dernier, de lignes directrices définitives concernant l’analyse d’impact relative à la protection des données et la manière de déterminer si le traitement est « susceptible d’engendrer un risque élevé ». Dès lors, concernant les applications, et les nouvelles technologies permettant le développement de la smart city, les opérateurs privés et publics devront le plus rapidement possible se mettre en conformité avec les exigences du RGPD qui de plus, en cas de violation des données à caractère personnel alourdit les sanctions administratives en son article 83 à l’égard des responsables de traitement de données et des sous-traitant.
Ainsi, bien qu’un risque de surveillance et de contrôle soient présents au sein des smart cities, la possibilité pour qu’une mise en place d’un contrôle social effectif et structuré est moindre. Le RGPD permet la protection effective des données à caractère personnel mais ses dispositions, dont le contenu et la portée ne sont pas encore connus, conduit à renforcer la responsabilité des responsables de traitement qui vont devoir se plier aux exigences du RGPD alors même que le développement des technologies qu’ils utilisent croît de manière exponentielle, les mettant ainsi dans une situation d’insécurité juridique.
SOURCES :
Cinquième cahier Innovation et prospective réalisé par le Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL et intitulé « La plateforme d’une ville – Les données personnelles au cœur de la fabrique de la smart city », 12 octobre 2017
https://www.cnil.fr/fr/smart-city-et-donnees-personnelles-quels-enjeux-de-politiques-publiques-et-de-vie-privee consulté le 10/11/2017
FOUCAULT (M), Surveiller et Punir, 1975, Gallimard p360
VERBIEST (T), « le data, moteur des projets smart cities », Revue droit de l’immatériel, août 2017, p45 à p46
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/06/22/la-population-mondiale-atteindra-9-8-milliards-d-habitants-en-2050-selon-l-onu_5149088_3244.html consulté le 10/11/2017