Ces propos cinglants sont attribués au président de la République, qui aurait énoncé au cours d’une réunion le 5 décembre que « l’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, c’est une honte en terme de gouvernance, c’est une honte en ce que j’ai pu voir ces dernières semaines de l’attitude des dirigeants ».
Une prise de position inédite de l’exécutif
Depuis son élection, Emmanuel Macron ne s’était encore jamais exprimé clairement sur ses souhaits à propos de l’audiovisuel public. Au cours de cette réunion avec des membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, les mots furent durs tant à l’encontre des dirigeants qu’à l’encontre de la qualité des contenus.
De manière plus générale, on connaît aujourd’hui à travers l’Europe une vague de défiance envers les médias historiques, allant jusqu’à remettre en cause la légitimité de leur financement par la redevance. C’est le cas notamment en Suisse, où aura lieu en mars prochain un référendum visant à déterminer « le maintien ou non de la redevance sur la radiotélévision nationale ». Cependant, en France l’audiovisuel public jouit d’une place particulière. En effet, dans la conscience collective, les chaînes de télévision et stations de radio publiques sont souvent assimilées à un vecteur de confiance, garantissant une certaine qualité des contenus.
Or, au cours de cette réunion, le président aurait pointé du doigt « la mauvaise gestion, le gaspillage, la médiocrité des programmes et des contenus ». Il n’est pas sans rappeler les différentes affaires qui ont pu écorcher l’image de l’audiovisuel public, et auxquelles Emmanuel Macron fait ici sûrement référence. Agnès Saal, ancienne directrice de l’Institut National de l’Audiovisuel était mise en cause pour utilisation d’argent public à des fins personnelles, ou encore Mathieu Gallet, actuel président de Radio France épinglé pour « favoritisme » dans le cadre de contrats passés lorsqu’il était lui aussi à la tête de l’INA. Il paraît donc important de faire preuve de plus de transparence dans la gestion de ces entreprises publiques, afin de pouvoir redorer le blason de l’audiovisuel national auprès du grand public.
La qualité des programmes est également reprochée aux entreprises publiques. Même si la notion de qualité des programmes peut s’avérer difficile à définir compte tenu de ces différentes conceptions, le président regrette que ces chaînes ne cherchent pas à « éduquer des gens qui sont loin de la culture, qui ne vont jamais regarder ni Arte ni une chaîne de télévision publique ». On viserait alors une amélioration de la qualité de l’offre en la rendant plus attractive. Les faits qui pourraient être reprochés ici seraient la présence importante de programme de fiction notamment, cherchant à fidéliser les téléspectateurs au détriment de programmes culturels.
L’exécutif reproche également au service public du secteur, de ne pas avoir saisi l’opportunité que constituait l’émergence du numérique en omettant d’adapter ces services aux nouveaux enjeux. Le président aurait regretté que l’« on ne regarde pas le continent sur lequel nos gamins sont en train de s’éduquer », en faisant référence à internet.
Le financement de l’audiovisuel public : un « puits sans fond » ?
En partie financées par la redevance, les entreprises publiques de l’audiovisuel font aujourd’hui l’objet d’un changement de modèle économique. L’exécutif prévoit en effet, une coupe budgétaire s’élevant à 50 millions d’euros exigés à partir de 2018, provoquant ainsi la suppression de 30 emplois à temps plein au service de l’information télévisée.
L’une des importantes sources de revenus des chaînes de télévision publiques s’est elle aussi vu réduite, et ce, par le législateur. La loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision vient prévoir la fin de la publicité sur les chaînes de télévision publiques entre 20 et 6 heures. Plus récemment, la loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesses de la télévision publique vient elle aussi, amputer les entreprises publiques de l’audiovisuel d’une partie de leur budget.
Le président estime d’ailleurs que « c’est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique existe ; pour une synergie quasi inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques ; pour une production de contenus de qualité variable ». Seraient donc en discussions un rapprochement des rédactions et une réduction de la masse salariale afin de diminuer les coûts et dépenses de ces entreprises. Cette solution fut celle retenue par différents Etats européens.
Les modèles économiques adoptés à travers l’Europe
Une étude de l’audiovisuel public à une plus grande échelle nous permet de dresser un premier constat : son financement est de plus en plus modulable. Cette problématique générale du financement ne touche pas uniquement la France puisque d’autres pays européens ont également été touchés par des restrictions de fonds destinés à financer l’audiovisuel public.
La refonte des organisations constitue généralement la première solution retenue. Ce fut notamment le cas en Espagne, en Angleterre où la BBC a regroupé ses services, ou encore en Belgique lorsque la RTBF a réuni ses services de radiophonie et de télévision. A fortiori, ces changements ont provoqué une opposition collective dès leur annonce, mais pour nombre d’entres elles, ces restructurations étaient nécessaires et ont permis de réaliser jusque 15% d’économies.
La redevance reste le modèle majoritaire du financement de l’audiovisuel en Europe. Cependant, celle-ci revêt de grandes différences en fonction des pays. Cette redevance peut donc être forfaitaire ou non, étendue en plus de la télévision, aux ordinateurs et tablettes, et peut-être constituée de taux et d’assiettes distinctes en fonction des pays. Le taux de financement des entreprises audiovisuelles par cette redevance peut lui aussi être très différent selon les Etats. L’Allemagne est le pays où cette somme est la plus importante avec sept milliards par an, ce qui représente près du double de la somme récoltée via la redevance en France. Cependant, ce montant permet d’alimenter près d’une vingtaine de chaînes de télévision publiques, ainsi que trois fois plus de stations radiophoniques publiques qu’en France.
D’autre part, il arrive que les Etats décident de compenser la baisse de fonds publics au profit de l’audiovisuel avec une présence plus ou moins importante de publicité. D’autres pays vont jusqu’à prévoir une interdiction de financement par la publicité, c’est le cas notamment de l’Espagne, afin de ne pas dénaturer l’esprit de service public audiovisuel.
Les perspectives pour l’audiovisuel public français
En France, des solutions drastiques sont envisagées. Une suppression de la chaîne France Ô ou encore un rapprochement des services de France Télévisions et de Radio France en une seule et même entité.
Ces changements mèneraient à des économies importantes, mais le maintien d’un service public de l’audiovisuel rend nécessaire des investissements afin de garantir un service de qualité tout en permettant de réaliser un passage effectif au numérique.
Ce serait donc tout le cadre de ces entreprises publiques qui devrait changer. La transposition de la directive SMA pourrait être l’occasion d’intégrer des dispositions visant à modifier le cadre de l’audiovisuel public français : une opportunité afin d’abandonner la conception d’une division par support, au profit d’une conception centrée sur les contenus.
Sources :
BOUGON (F.), PIQUARD (A.), « Emmanuel Macron tire à boulets rouges sur l’audiovisuel public », lemonde.fr, publié le 6 décembre 2017, consulté le 10 décembre 2017, http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/06/emmanuel-macron-tire-a-boulets-rouges-sur-l-audiovisuel-public_5225447_3234.html
CHARDON (J.-M.), « Le financement de l’audiovisuel public en Europe : un paysage éclaté », franceculture.fr, publié le 15 décembre 2017, consulté le 25 décembre 2017, https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/le-billet-economique-vendredi-15-decembre-2017
YEH (A.), « Secousse sismique pour l’audiovisuel public en Europe », meta-media.fr, publié le 6 décembre 2017, consulté le 25 décembre 2017, https://www.meta-media.fr/2017/12/06/secousse-sismique-pour-laudiovisuel-public-en-europe.html