La réalité augmentée, cette technologie au nom pour le moins énigmatique, a déjà conquis de nombreux domaines. Particulièrement appréciée des jeux vidéo, elle trouve également utilités en matière artistique, dans le domaine du patrimoine et du tourisme mais aussi dans la santé. Plus récemment, c’est le marché des applications mobiles qui s’y est intéressé, comme la société d’autopartage Koolicar qui voit dans cette technologie un moyen de simplifier la localisation de ses véhicules. Toutefois, ces technologies soulèvent de nombreuses questions juridiques, notamment sur l’exploitation et la protection des œuvres ou des marques qui vont être acteurs sans le savoir, et peut-être sans le vouloir, de ces applications.
La qualification de la réalité augmentée : plusieurs œuvres pour un seul régime ?
Que cache-t-on derrière la notion a priori futuriste de « réalité augmentée » ? Apparue dès les années 90, la terminologie « réalité augmentée » est identifiée comme une technologie permettant « d’incruster des éléments virtuels dans des images réelles (et non l’inverse), en temps réel et en trois dimensions »1 Au regard du droit d’auteur, la réalité augmentée peut prétendre à de nombreuses qualifications. Pouvant associer à la fois des textes, images, créations audio et vidéo, supportés par un logiciel ; la réalité augmentée est un véritable vecteur d’œuvres hybrides. Dès lors, plusieurs statuts peuvent entrer en concurrence mais il semblerait que, comme pour les jeux vidéo, la réalité augmentée profite du statut d’œuvre multimédia2. Une fois ainsi qualifiée, elle doit donc être appréhendée comme une œuvre complexe, à laquelle différents régimes juridiques vont être appliqués en fonction de la nature de l’élément pris à part, de sa fonction et de son caractère réel ou virtuel.
Œuvres réelles virtualisées ou œuvres virtuelles : la protection pour tous
Dans le monde parallèle que constitue la réalité augmentée, deux types d’œuvres cohabitent. Ce sont les œuvres nouvelles, spécialement créées, qui vont être superposées à la réalité et les œuvres préexistantes qui ont été numérisées. Dans le cas d’un jeu vidéo comme Pokémon Go, le personnage virtuel qui se déplace dans le monde « réel » correspond à une œuvre « virtuelle », alors que l’œuvre de street art ou architecturale devant laquelle le personnage se trouve constitue, elle, une œuvre réelle. Ainsi, toute œuvre répondant aux critères d’originalité doit pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur. Cela implique évidemment tous les éléments de la charte graphique de l’application, son organisation ou encore ses logos.
Le droit d’auteur comme obstacle aux applications de réalité augmentée
L’auteur d’une œuvre possède sur celle-ci les droits exclusifs de son exploitation, toute reproduction restant ainsi soumise à son autorisation. Au regard de l’art L. 122-3 du code de propriété intellectuelle, l’éditeur de l’application qui prévoit une reconnaissance des œuvres réelles par son application effectue nécessairement une reproduction de celle-ci, d’un point de vue technique, pour obtenir cette identification. De ce fait, pour toutes les applications qui prévoient un système de signalement de position par le biais de photo de lieux dits « remarquables », l’autorisation de l’auteur est obligatoire. Aucune exception prévue par le code ne peut venir palier cette obligation : l’éditeur agissant toujours à des fins commerciales, il ne peut revendiquer l’exception de copie privée, ni même la reproduction provisoire et transitoire puisque celle-ci est dite sans valeur économique propre. Par ailleurs, si ces deux exceptions peuvent aisément être appliquées pour l’utilisation faite par les utilisateurs, elles peuvent également être remises en question si les œuvres n’ont pas été insérées dans la réalité augmentée de façon licite, c’est-à-dire, si l’éditeur n’a pas reçu les autorisations nécessaires à leur exploitation.
Le même raisonnement est applicable pour l’exception de panorama, définit à l’article L. 122-5, 11° comme « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ». Ce sont notamment toutes les applications de tourisme qui utilisent ce fonctionnement, mais il en va sûrement de même pour l’application de Koolicar puisque l’utilisateur est appelé à « scanner » les alentours avec son smartphone afin d’identifier les véhicules disponibles. Ce genre d’utilisation implique donc nécessairement que certaines œuvres protégées apparaissent, même furtivement, sur l’écran.
Le droit de reproduction et le droit de représentation, pour lequel la commercialisation implique également l’autorisation de l’auteur, offrent donc un pouvoir de contrôle réel pour l’auteur, alors qu’ils compliquent assurément les choses pour l’éditeur qui ne peut échapper au coût d’exploitation des œuvres. De même, une attention particulière devra être portée au respect de l’intégrité des œuvres, celles-ci ne devant en aucun cas être altérées, sous peine de se heurter au droit moral de l’auteur.
La réalité augmentée comme support promotionnel de marque ?
En effet, les applications proposant un service de réalité augmentée doivent composer avec d’autres domaines de la propriété intellectuelle, en particulier le droit des marques. C’est d’autant plus vrai pour les utilisations en milieux urbains qui impliquent nécessairement une interaction avec de nombreuses enseignes commerciales. De ce fait, l’éditeur de l’application doit là aussi tenir compte des restrictions en vigueur notamment au sens de l’article L.713-3 du code de propriété intellectuelle. Sont donc interdites les reproductions, les usages, les appositions ou les imitations d’une marque pour ses services ou des services similaires, dès lors qu’il peut en résulter une confusion dans l’esprit du public. C’est à dire qu’en l’absence d’autorisation du propriétaire, toute apparition de marques sera considérée comme contrefaisante. De ce contexte, il apparait néanmoins que ces applications de réalité augmentée ne peuvent être que bénéfiques aux commerces. En effet, il existe déjà de nombreuses applications d’avis et de bons plans qui pourraient voir dans ces applications une aubaine promotionnelle. De même, nous pouvons très bien imaginer qu’une application comme Koolicar, en plus de localiser les véhicules disponibles, puisse vous permettre d’identifier les commerces aux alentours de votre destination répondant à vos besoins ou à vos envies. D’autres combinaisons pourraient bien sûr être réalisées, puisque après tout, ce monde « augmenté » ne connait pas de limites… mais loin d’être sans foi ni loi, cette nouvelle réalité doit elle aussi se plier aux règles.
1https://interstices.info/jcms/p_83629/realite-augmentee-entre-mythes-et-realites
2Cass. Civ. 1, 25 juin 2009, Cryo
SOURCES :
- VILLEDIEU (A.) et LIVENAIS (T.), « Réalité augmentée : un monde virtuel, mais pas sans règles », Dalloz IP/IT, 2017, p. 644.
- BORGES (R-M.) et BERTHON (S.), « Pokémon et réalité virtuelle : des droits bien réels », RUE, 2017, p.85
- SOULEZ (M.), « LA RÉALITÉ VIRTUELLE CONFRONTÉE AU DROIT D’AUTEUR Optimiser la protection des applications de réalité virtuelle », in « La propriété intellectuelle & la transformation numérique de l’économie », INPI, pp. 123-133