L’obsolescence programmée est un délit qui fait trembler ou rêver selon les points de vue adoptés. En effet, depuis plusieurs années, les marques mettant sur le marché des produits électroniques sont de plus en plus accusées de programmer la « mort » de leurs produits pour en augmenter le taux de remplacement. Pour la première fois depuis l’introduction de ce délit en droit français en 2015, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris le 5 janvier 2018 sur Apple pour obsolescence programmée et tromperie.
Votre portable a rendu l’âme ? Peut-être est-il tombé, a-t-il pris l’humidité, ou encore peut-être était-il trop vieux ? Toutes ces raisons se valent mais il en est une qui est de plus en plus invoquée : l’obsolescence programmée. Selon les accusations, l’obsolescence programmée consisterait pour un vendeur de produits électroniques comme par exemple Apple ou Epson, à décider que son produit électronique aura une durée de vie volontairement limitée dans le temps pour vous faire acheter, à sa mort, un nouveau produit (comme un nouvel iPhone à plus de 1000 euros ou de nouvelles cartouches d’encres alors que les anciennes ne sont pas entièrement vides).
L’obsolescence programmée telle que définie dans le code de la consommation, reste difficile à prouver à tel point qu’il est légitime de se demander pourquoi une procédure n’a pas été ouverte sur le fondement du défaut d’information lui aussi prévu par le code de la consommation.
La preuve quasi impossible du délit d’obsolescence programmée
Le 5 janvier 2018, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour tromperie et obsolescence programmée sur Apple. Le géant américain a fait l’objet d’une plainte de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) le 27 décembre dernier suite à des aveux de ralentissements volontaires de ses anciens modèles d’iPhone pour « préserver leur durée de vie ». Le dossier a été confié à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).
Le délit d’obsolescence programmée est un délit institué par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il définit en outre ce délit comme « le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement ». Ce délit pose cependant quelques difficultés d’application, ce qui s’observe par le peu de procédures judiciaires ouvertes sur ce fondement jusqu’à ce jour.
La procédure engagée par l’association HOP est une première en France. Cela se justifie par la formulation de l’article L441-2 du Code de la consommation qui pose problème sur le plan probatoire. En effet, prouver l’intention de réduire la durée de vie du produit pose des difficultés car les moyens qu’il faudrait mettre en oeuvre par la défense pour le prouver sont des moyens techniques longs et extrêmement couteux que les consommateurs n’ont pas les moyens financiers de demander. Une solution pour passer outre cette difficulté est de procéder à une action de groupe ou faire appel à une association de consommateur (dans le cas présent, l’association HOP). Cependant, peu nombreux sont les consommateurs mécontents qui vont s’engager dans une procédure lourde et longue d’où l’absence de procédure depuis la création de ce délit.
Il est donc naturel de se poser la question d’un probable abandon de la procédure étant donné que les grandes multinationales se cachent derrière le secret des affaires et qu’il semblerait, en ce qui concerne Apple, que l’obsolescence programmée passe par les mises à jour des téléphones qui pourraient potentiellement être protégeables par le secret des affaires puisqu’elles répondent aux trois critères posés par la Commission européenne
De plus, toujours en ce qui concerne la marque à la pomme, cette dernière a publié un communiqué de presse attestant d’un ralentissement au lancement des applications et prévoyant un geste commercial pour tout changement de batterie. Ce communiqué est loin d’être un aveu d’obsolescence programmée et la mauvaise foi du constructeur va être d’autant plus difficile à prouver qu’il prévoit des nouveautés pour améliorer l’expérience sur leurs produits.
Le défaut d’information, un fondement mieux adapté ?
Dans le cadre d’un contrat de vente entre un vendeur professionnel et un acheteur dit profane, les parties se voient appliquer le Code de la consommation. Cela signifie qu’en application de l’article L111-1, le vendeur a une obligation générale d’information précontractuelle. Cet article oblige le vendeur à, notamment, informer le consommateur sur « les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ». Dès lors, la question du fondement invoqué par l’association se pose puisqu’il semblerait que le défaut d’information ne pose aucun problème sur le plan probatoire et soit mieux adapté au cas présent.
Pourquoi alors ne pas avoir invoqué cet article ? La réponse tient dans les sanctions. La sanction prévue par le code de la consommation en cas de preuve de l’obsolescence programmée est prévue à l’article L454-6 du Code de la consommation et est relativement importante pour le responsable de la mise du produit sur le marché puisqu’elle s’élève à 300 000 euros d’amende et à 2 ans d’emprisonnement. Le montant de l’amende peut également aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise.
La sanction prévue depuis la loi Hamon pour tout manquement à son devoir d’information par le vendeur est une amende administrative qui peut aller jusqu’à 3000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
Les amendes encourues pour le manquement à l’obligation précontractuelle d’information sont de véritables coups d’épée dans l’eau en ce qui concerne des entreprises comme Apple pour qui le chiffre d’affaires s’élève à 215 milliards de dollars (soit 173 milliards d’euros).
Cependant, il reste qu’une action en obsolescence programmée peut nuire à la réputation de l’entreprise dans un secteur où la concurrence est forte et où la technologie de pointe ne cesse d’être un atout majeur pour une marque.
On observe cependant que malgré les scandales et les actions en justice, Apple reste un GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) majeur dont les produits se veulent toujours plus attractifs de part leur design épuré et leur système d’exploitation qui leur est propre, iOS.
Le délit d’obsolescence programmée est certes une avancée juridique mais son application très restrictive le rend quasi inapplicable et inefficace.
Sources :
CASSINI S., “Apple visé par une enquête préliminaire pour “tromperie et obsolescence programmée”, www.lemonde.fr, publié le 08/01/2018, mis à jour le 09/01/2018, http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2018/01/08/apple-vise-par-une-enquete-preliminaire-du-parquet-de-paris-pour-tromperie-et-obsolescence-programmee_5239070_1656994.html
LESAGE N., “Le parquet ouvre une enquête préliminaire sur Apple pour “obsolescence programmée””, www.numerama.com, publié le 09/01/2018, https://www.numerama.com/politique/319697-le-parquet-ouvre-une-enquete-preliminaire-sur-apple-pour-obsolescence-programmee.html
KRISTANADJAJA G., “Obsolescence programmée : Apple et Espon mis en cause”, www.liberation.fr, publié le 28/12/2017, http://www.liberation.fr/france/2017/12/28/obsolescence-programmee-apple-et-epson-mis-en-cause_1619311
BAYARD F., “Iphone et obsolescence programmée : pourquoi Apple ne risque rien”, www.phonandroid.com, publié le 09/01/2018, http://www.phonandroid.com/iphone-obsolescence-programmee-apple-ne-risque-rien.html