Le 31 août 2018, le congrès californien a voté le texte le plus sévère en matière de neutralité du net de l’ensemble des États-Unis d’Amérique. Approuvé par le gouverneur de Californie, Jerry Brown le 30 septembre 2018, il interdit en particulier la pratique du « zero rating », qui consiste à appliquer un traitement favorable au trafic associé à un ou plusieurs services de contenus, en ne le décomptant pas du plafond de consommation du client ou en ne lui appliquant pas les mêmes règles d’acheminement ou de tarification, une fois le plafond atteint. Cet événement, et ses suites, relance le débat passionnel sur la neutralité du net aux États-Unis.
Qu’est-ce que la neutralité du net ?
La neutralité du net est un principe fondateur de l’internet : il signifie que les fournisseurs d’accès à internet ne peuvent pas discriminer les différents contenus mis en ligne. Ce principe, garantissant un égal accès de tout les internautes à internet, a été proclamé par la FCC (Federal Communications Commission, autorité chargée des télécommunications aux USA) en 2015 après que Barack Obama se soit emparé du sujet. Cette étape faisait suite à de nombreuses péripéties, la FCC ayant déjà tenté plusieurs fois d’instaurer de telles règles, avant d’accorder à internet le statut de service public en le qualifiant de service de communication plutôt que d’informations. Par cette qualification, il s’autorisait lui-même à réguler les fournisseurs selon les dispositions du Titre 2 du Communications Act, pour assurer un accès libre et sans discrimination à internet de manière efficiente.
L’abolition de la neutralité du net par la FCC
L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique a sonné le glas du principe de neutralité : en effet, une de ses premières décisions a été de nommer à la tête de la FCC Ajit Pai, pour qui la neutralité du net est une ingérence indue de l’État dans le marché que représente internet. Derrière, l’influence des lobbys des télécoms, et en particulier des FAI pèse lourdement.
En effet, les FAI ont de tout temps été des adversaires acharnés de la neutralité du net, qui les prive d’une source autrement majeure de revenus. Or, ces revenus leur sont nécessaires : selon le Cisco Visual Networking Index, le trafic global de données croît de 20% chaque année. Cet accroissement effréné des flux induit des coûts de modernisation des infrastructures astronomiques, à la charge des FAI. La fin de la neutralité du net leur permettra de discriminer les services les plus gourmands en bande passante, comme Youtube ou Netflix. La société américaine Sandvine a publié un rapport intitulé « The global Internet Phenomena » qui relève que Netflix et Youtube consomment à eux deux 26, 35% de la bande passante mondiale (15% et 11,35% respectivement). Ce sont entre autres ces problématiques qui ont amené la FCC et son nouveau président Ajit Pai à révoquer la décision prise sous l’administration Obama.
La réaction des législateurs fédérés américains
La décision de la FCC de 2017 n’a pas donné de cadre juridique à l’action des FAI : les états fédérés ont donc réagi en ordre dispersé. Ils sont nombreux à avoir pris des mesures de rétablissement partiel de la neutralité du net, sans jamais être allé aussi loin que la Californie. Ainsi, l’état de Washington a passé le 5 mars 2018 une loi rétablissant plusieurs règles de protection des consommateurs, empêchant les FAI d’établir des discriminations entre les différents contenus. Le 10 avril 2018, l’Oregon promulgue lui aussi une loi rétablissant des normes issues du principe de neutralité du net, interdisant lui aussi la favorisation des certains contenus par des voies rapides et l’étouffement d’autres. Enfin, l’état du Vermont a pris le 22 mai des mesures semblables, établissant par ailleurs une procédure de certification au terme de laquelle les FAI seraient « net neutrality compliant ».
La poursuite du combat dans les cours de justice
Dès la publication officielle de la décision de la FCC, les procureurs généraux de 22 états fédérés avaient intenté une action pour la contester devant les juges. Ce mouvement de contestation, déjà traduit par les nouvelles législations fédérées dont celle de Californie, a aussi un autre volet. Il est d’ailleurs à noter que différents acteurs privés du numérique réunis dans la Internet Association (Facebook Inc, Alphabet Inc, Amazon Inc … ) ont eux aussi entamé ou joint des procédures pour voir la neutralité du net rétablie en principe national. En tant que fournisseurs de contenus, ils ont en effet beaucoup à perdre avec la disparition du principe de neutralité : ils sont à la merci des FAI qui peuvent à l’heure actuelle discriminer leurs contenus en toute liberté. Le 22 août 2018, l’Internet Association s’est, conjointement avec la Entertainment Software Association, la Computer & Communications Industry Association, et la Writers Guild of America West, joint à l’instance opposant Mozilla Firefox à la FCC au sujet de la décision de mettre fin au principe national de neutralité du net.
Les différentes législations fédérées, et en particulier celle particulièrement sévère de Californie, sont assurées de se voir contester devant les juges, soit par les FAI, soit par la FCC lui-même : Ajit Pai a en effet affirmé que les états fédérés n’avaient pas autorité pour légiférer sur ces sujets, qui concernent uniquement la loi fédérale, puisqu’ils concernent le commerce inter-états. Ainsi, le département de justice américain a déjà porté plainte devant la cour fédérale de Sacramento, arguant que l’état de Californie aurait outrepassé ses droits. Cette plainte a d’ailleurs été suivie d’une autre, cette fois portée par quatre des principaux FAI américains. La nouvelle loi californienne, la plus sévère depuis l’abolition de la neutralité du net, polarise le débat.
A terme, le débat sur la neutralité du net sera probablement porté devant la Cour suprême. La récente nomination de Brett Kavanaugh, qui en 2017 et en tant que juge à la Cour d’Appel de Columbia, avait pris position contre la neutralité du net dans une opinion discordante, donne un indice sur la réponse qu’elle pourra donner : par cette nomination, la Cour suprême est en effet à majorité républicaine.
Sources :
Lien vers le texte voté par le congrès californien
Lien vers le texte voté par le congrès du Vermont
Lien vers le site de la Federal Communications Commission
KANG (C), « Washington Governor Signs First State Net Neutrality Bill», The New York Times, publié le 5/03/2018, consulté le 08/10/2018
BRAUN (E) « Qu’est-ce que la neutralité du Net ?», le Figaro.fr, publié le 29/11/2017, mis à jour le 11/06/2018, consulté le 08/10/2018
« Internet Association Joins Other Advocacy Groups To File Intervenor Brief To Save Net Neutrality », Internet Association, publié le 17/08/2018, consulté le 08/10/2018
SOHN (G), « Brett Kavanaugh’s net neutrality views could have a broad impact if he joins the Supreme Court», NBC News, Think, publié le 04/09/2018, consulté le 08/10/2018
KASTRENAKES (J), « FCC chairman says California’s net neutrality bill is ‘egregious’ and ‘illegal’ », The Verge, publié le 17/09/2018, consulté le 08/10/2018
« The Global Internet Phenomena», Société Sandvine, Octobre 2018
BRAUN (E), « Le gouvernement Trump attaque la Californie en justice pour avoir rétabli la neutralité du Net», Le Figaro.fr, publié le 02/10/2018, consulté le 08/10/2018
MAKENA (K), « Broadband industry groups sue California over net neutrality bill», The Verge, publié le 03/10/2018, consulté le 08/10/2018.