Décision FTC 24 juillet 2019, Affaire United States of America v. facebook incorporation, No. 19-cv-2184.
Suite au scandale Cambridge Analytica survenu en mars 2018, Facebook est la cible de diverses enquêtes notamment celles liés à des fuites de données ou l’utilisation des données. L’enquête effectuée par la Federal Trade Commission a relevé plusieurs violations en lien avec le partage et le commerce des informations des utilisateurs.
Pour comprendre l’amende de 5 milliards imposée au réseau social le 24 juillet 2019, il est nécessaire d’expliquer le contexte et les faits reprochés à ce dernier. Comme nous le savons, Facebook exploite un service de réseau social qui connectent ses utilisateurs entre eux et ce qui lui permet de recueillir et de conserver de grandes quantités d’informations sur ces consommateurs. Chaque jour, des milliards d’utilisateurs utilisent Facebook pour partager des informations personnelles, telles que leur vrai nom, leur date de naissance, leur géolocalisation, ainsi que des informations personnelles sensibles (opinions religieuses, orientation sexuelle…). Les utilisateurs peuvent également fournir des informations les concernant en indiquant qu’ils «apprécient» telle ou telle page Facebook. Ces appréciations permettent de capter les «goûts» des utilisateurs, qui peuvent être ensuite utilisés pour prédire avec précision les traits de personnalité de ces utilisateurs. Le réseau social avait étendu sa collecte de données aux “amis Facebook” des utilisateurs, en leur demandant des renseignements sur leur entourage.
Le principal modèle commercial de Facebook monétise les informations des utilisateurs en les utilisant pour la publicité. La majeure partie des 55,8 milliards de dollars de revenus de Facebook en 2018 provenait de la publicité. Pour encourager les utilisateurs à partager des informations, Facebook leur promet qu’ils peuvent contrôler la confidentialité de leurs informations via les paramètres de confidentialité de Facebook. Cependant jusqu’en juin 2018, Facebook a modifié les choix de confidentialité des utilisateurs afin de servir ses propres intérêts commerciaux.
En bref, Les développeurs tiers recevaient des informations sur les utilisateurs afin d’améliorer leur application ou cibler la publicité. Entre de mauvaises mains, les données des utilisateurs pourraient être utilisées à des fins d’usurpation d’identité, de phishing et de fraude. En 2012 après une enquête de la Federal Trade Commission ( FTC ), celle ci condamne Facebook et lui interdit de donner une image erronée à ses consommateurs sur les mesures de confidentialité de leurs informations.
Le PDG de Facebook, afin de regagner la confiance dans ses utilisateurs, avait annoncé dès 2014 qu’il cesserait d’autoriser les développeurs tiers à collecter des données. Cette résolution n’a pas duré, puisqu’en 2015 il passe des accords privés avec certains développeurs. Facebook savait que sa conduite violait la décision de 2012, puisqu’il se livrait exactement à la même conduite trompeuse. De plus, Facebook demandait à ses utilisateurs de fournir leur numéro de téléphone pour des raisons de sécurité alors qu’en réalité c’était encore un moyen d’utiliser ces informations pour la publicité. En avril 2018, Facebook a mis à jour sa politique en matière d’authentification par reconnaissance faciale sur les videos et les photos. Celle-ci enfreignait encore la décision de 2012 en masquant aux consommateurs l’utilisation des informations pour la reconnaissance faciale.
Ainsi, les nombreuses infractions du réseau social ont conduit la Cour a accorder une injonction et des réparations équitables afin que la FTC puisse exécuter sa décision. La condamnation du défendeur repose sur des amendes civiles pour chaque violation de la décision de 2012, ainsi Facebook bat l’amende record de Google avec ses 5 milliards de dollars. En somme, une division au sein des membres de la Commission s’est installée lors de l’accord passé avec Facebook. La fracture de la FTC sur ce sujet est aussi politique : les trois votes favorables viennent des Républicains (Joseph Simons, Noah Joshua Philips et Christine Wilson), tandis que les deux autres sont issues des Démocrates (Rohit Chopra et Rebecca Kelly Slaughter). Les opposants estiment que l’accord ne change pas concrètement la politique de Facebook, ni son modèle commercial. Encore une fois, Facebook ne subit aucune contrainte pour restreindre sa surveillance de masse ou ses tactiques publicitaires. Ces derniers craignent par la même occasion, que l’amende ne dissuade pas suffisamment le réseau social de commettre de nouvelles violations. Les membres opposants souhaitaient prolonger l’enquête afin de poursuivre en justice l’entreprise et Mark Zuckerberg.
On peut aller plus loin, en se demandant si le droit de la concurrence détient les outils nécessaires pour neutraliser les pratiques anticoncurrentielles. Pour le droit, le défi principal de la commercialisation des données repose sur l’adaptation des outils juridiques à ces nouveaux objets de traitement. De son côté, l’Europe semble chercher sa place dans cette circulation entre protection des utilisateurs, exploitation des flux de données et opposition aux puissances économiques étrangères. A contrario, aux États-Unis le modèle de protection des données personnelles reste très libéral, ils considèrent que la donnée est un bien qui peut être commercialisé sans le consentement des intéressés. L’amende de 5 milliards commanditée par la FTC laisse peut-être envisager une perspective de régulation. À défaut de norme juridique, c’est ici l’autorité de la concurrence américaine qui tente de modérer le trafic commercial des informations sur les consommateurs.
Sources:
- Case No. 19-cv-2184, United States of America v. Facebook inc.,
- Walid Chaiehloudj, « fake news et droit de la concurrence : réflexions au prisme des cas facebook et google », Revue internationale de droit économique
- Julien Lausson, « Amende historique contre Facebook : « Nous aurions dû poursuivre Mark Zuckerberg », 26 juillet 2019
- Éléonore Lefaix, « La FTC infligera une amende record de 5 milliards de dollars, mais dérisoire pour Facebook », 13 juillet 2019