Le 14 novembre 2019, la plateforme de streaming Netflix a déclaré qu’elle modifierait son nouveau documentaire sur l’holocauste, The Devil Next Door, en réponse aux différentes plaintes lancés par le ministre des affaires étrangères polonais et le Musée d’Auschwitz.
L’État Polonais contrarié par un documentaire
Tout d’abord, pour comprendre l’agacement du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, il faut connaitre l’œuvre remise en question. The Devil Next Door est un documentaire série visant à apporter un nouveau regard sur la Shoah. On y suit l’histoire de John Demjanjuk, surnommé « Ivan le terrible », accusé d’être un criminel de guerre nazi, geôlier et surtout tortionnaire dans un camp de concentration situé dans le Gouvernement Général de Pologne. Il sera arrêté 40 ans plus tard alors qu’il menait une vie paisible aux États-Unis.
Plusieurs approximations ou confusions vont alors contrarier le gouvernement polonais. La première c’est l’utilisation d’une carte actuelle de la Pologne pour y placer des camps de concentration nazis. Cette mauvaise représentation des frontières entraînerait une possible confusion laissant penser que la Pologne était encore un État au moment des faits et qu’elle aurait donc collaboré avec l’Allemagne d’Hitler. Ensuite, le musée d’Auschwitz dénonce à son tour le mauvais positionnement des camps et donc l’irrespect pour l’histoire de la part des réalisateurs du documentaire. C’est donc le 10 novembre 2019 que le ministère des Affaires étrangères va adresser, par le biais de son compte Twitter, une plainte contre Netflix.
Le premier ministre Polonais va par la suite accuser la plateforme de “ne rien faire d’autre que de réécrire l’histoire” et demander à ce que cette “horrible horreur” soit rapidement modifiée.
Netflix répondra à la demande de la Pologne par un communiqué de presse, relayé par le compte Twitter polonais de la plateforme. La plateforme de streaming modifierait en post production son documentaire afin “d’éviter tout malentendu” et “d’expliquer que les camps d’extermination et de concentration ont été construits et gérés par le régime nazi allemand qui a envahi le pays et l’a occupé de 1939 à 1945”.
Un contexte diplomatique houleux en Pologne
Par ailleurs, notons que le gouvernement actuel de la Pologne est issu d’un parti conservateur (Psi) qui tente depuis son arrivée au pouvoir de satisfaire son électorat en défendant la réputation de la Pologne. C’est dans cet objectif que le 1er février 2018 a été adoptée une loi sur l’holocauste. Celle-ci visait à punir avec une amende ou une peine de prison ceux qui associent les crimes perpétrés par les nazis à l’État polonais. Elle avait pour objectif principal de lutter contre l’utilisation des termes “camps de concentration polonais”, qui avaient par exemple été utilisés par Barack Obama en 2012, provoqué un tollé en Pologne et avaient poussé le président à présenter officiellement ses excuses.
Cette loi a été énormément controversée à l’étranger car elle était accusée d’être trop vague et imprécise. Les défenseurs de la liberté d’expression craignaient que les peines puissent s’appliquer à tous ceux qui voudraient rechercher ou évoquer des éléments qui indiqueraient que certains polonais ont collaboré ou adhéré à l’idéologie nazie. Les relations diplomatiques ont été tellement tendues avec Israël et les États-Unis que la Pologne a décidé de faire marche arrière le 27 juin 2018. L’amendement dépénalise l’association de l’État polonais à des crimes de guerre nazis mais n’en exclut pourtant pas la possibilité de recevoir une amende. Cependant, cette modification a apaisé les relations diplomatiques avec la Pologne tout en ne satisfaisant pas totalement les défenseurs de la cause juive.
C’est dans ce contexte difficile, entre une volonté polonaise de redorer l’image historique du pays et dans le même temps de protéger la liberté d’expression, que Netflix a décidé de réaliser son documentaire. La plateforme a tenu à produire une œuvre historique dans une période de troubles mais n’a pas été à la hauteur de ses ambitions puisqu’elle a déchainé la haine des conservateurs polonais et dû faire face à la critique des experts historiens et géographes de la Seconde Guerre mondiale.
Des accusations à répétition contre Netflix et ses approximations historiques trop nombreuses.
En outre, ce n’est pas la première fois que Netflix se fait accuser de “réécrire l’histoire” dans le cadre de ces documentaires ou films historiques. En France, le dernier scandale relatif à la plateforme remonte à la sortie, le premier novembre 2019, du film Le Roi. L’œuvre était accusé de “frenchbashing”, c’est-à-dire qu’on lui reprochait de transformer la réalité pour alimenter la haine contre les français. Christophe Gill, historien et spécialiste de la bataille d’Azincourt, objet du film, relève les unes après les autres toutes les erreurs et approximations présentes dans le film. Il accuse la réalisation de salir l’image des français de l’époque tout en magnifiant le monarque anglais qui était en réalité très loin du tableau dépeint dans cette œuvre.
Une question se pose alors, quand on sait que Netflix est la plus grande plateforme de streaming mondial, quel pouvoir ont les films et séries sur la perception de la réalité historique des spectateurs ? Face aux dangers d’une nouvelle influence, intentionnelle ou non, on peut alors saluer l’intervention de l’État polonais dans la défense de la rigueur des œuvres qui portent sur des sujets aussi sérieux que l’histoire. Il faut également saluer la plateforme d’avoir reconnu son erreur car elle a fait preuve d’efficacité en proposant des modifications qui ont tout de même un certain coût.
Netflix était-il obligé de modifier son œuvre ?
Netflix a fait le choix de modifier son œuvre seulement en réponse à la force d’un tweet et non par obligation légale. Toutefois on pourrait se demander si l’État Polonais aurait pu être légitime à saisir la justice. A ce jour, aucun État n’a jamais tenté l’expérience. A l’inverse, on peut noter qu’à la sortie de la série South Park sur Netflix, la Chine n’a tenté aucune procédure judiciaire et a tout bonnement décidé de la faire interdire sur tout son territoire. En Europe, pour faire interdire du contenu, il faudrait plutôt se tourner vers des charges comme le trouble à l’ordre public, l’atteinte à la dignité humaine ou la protection des mineurs. Toutefois ce genre de cas sont extrêmement rares car la liberté d’expression est un principe très symbolique et hautement protégé entre autres par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce principe de liberté d’expression est toujours au cœur de l’actualité à l’heure ou le film J’Accuse a été retiré des salles de cinéma de plusieurs villes en France en raison de la mise en accusation du réalisateur Roman Polanski. Pour conclure, Netflix a décidé de modifier son œuvre pour éviter le scandale et la censure face à aux revendications légitimes de la Pologne, ce qui montre que liberté d’expression et pouvoir publics peuvent encore cohabiter à l’heure de la surconsommation de contenus audiovisuels.
Sources:
www.diplomatie.gouv.fr, présentation de la Pologne
La pologne recule sur sa loi controversée sur la shoah, www.lemonde.fr, 27 juin 2018