Depuis le 1er décembre 2019, les personnes qui achètent un téléphone portable ou souscrivent un abonnement, dans une des boutiques téléphoniques en Chine, acceptent automatiquement de se faire enregistrer par reconnaissance faciale. Cette obligation répond à l’objectif de la directive chinoise de septembre 2019 ayant pour but de préserver les droits légitimes et les intérêts des citoyens en ligne, et donc de renforcer l’enregistrement sous une identité réelle.
La reconnaissance faciale, nouvel outil pour les opérateurs téléphoniques
Avant la directive de septembre 2019, pour ouvrir une ligne en Chine, il suffisait de donner une copie de la carte d’identité, afin de s’assurer de l’identité de la personne désireuse d’ouvrir la ligne ou dans le nom de laquelle la ligne serait ouverte. Toutefois, depuis le 1er décembre, pour tout achat de téléphone, un nouveau cap a été atteint : on doit se soumettre à la reconnaissance faciale. Dès lors, pour le seul fait d’acheter un téléphone, une exigence beaucoup plus lourde et conséquente a été mise en place.
Lorsqu’on parle de reconnaissance faciale, il faut entendre, selon une définition donnée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « toute technique qui permet à partir des traits du visage : d’authentifier une personne c’est-à-dire vérifier qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être (dans le cadre d’un contrôle d’accès) ou d’identifier une personne c’est-à-dire de retrouver une personne au sein d’un groupe d’individus, dans un lieu, une image ou une base de données ».
La reconnaissance faciale par les opérateurs téléphoniques fait l’objet d’une véritable obligation, et non pas seulement d’une option, notamment par sa consécration dans la directive de 2019. En effet, la directive prévoit que les opérateurs téléphoniques doivent « utiliser l’intelligence artificielle et tous les moyens techniques possibles » pour s’assurer de l’identité réelle de leurs utilisateurs. Cela laisse donc une grande marge d’appréciation à ces opérateurs pour permettre effectivement une identification réelle de l’utilisateur du numéro de téléphone. A cette fin, la directive prévoit également de « continuer à augmenter la supervision et les inspections » pour que soit respectée l’obligation d’enregistrement sous identité réelle.
Ainsi, sous couvert d’une volonté de lutter contre l’anonymat qui pose souvent problème sur Internet et avec les nouvelles technologies, et dans un objectif d’identification via une identité réelle, la Chine semble imposer très nettement de nouvelles obligations, et cela est rendu possible par tous les moyens technologiques actuels. Le Ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information a pu d’ailleurs justifier cette obligation par un souci de lutte contre le trafic des cartes SIM ainsi qu’une volonté de protection des citoyens en cas de vol ou de fraude de téléphone. Ce ne serait donc que dans un intérêt protecteur pour les citoyens que la Chine aurait mis en place la reconnaissance faciale lors de l’achat d’un téléphone…
La question semble néanmoins ouverte quant à l’achat de téléphone portable en ligne. En effet, cette obligation n’a été posée que pour l’achat dans une boutique en Chine. Qu’en sera-t-il pour l’achat en ligne ? On peut penser que ce sera beaucoup plus difficile à mettre en place, mais il ne faut pas négliger la volonté forte du gouvernement chinois de tout contrôler s’agissant des technologies et d’Internet. Au vu de leur contrôle certain sur les réseaux sociaux, avec notamment la création de réseaux chinois contournant les réseaux sociaux américains, on peut penser que le gouvernement tentera d’aller encore plus loin dans sa mise en place de la reconnaissance faciale.
La reconnaissance faciale, instrument très largement favorisé en Chine
La problématique liée à la reconnaissance faciale en Chine n’est pas une question nouvelle. En effet, la Chine est l’un des pays les plus enclins à l’utilisation de cette technique. Dans toutes les villes chinoises, on comptabilise environ 170 millions de caméras dans l’espace public, dont le plus grand nombre est couplé à des systèmes de reconnaissance faciale. On peut alors affirmer que la reconnaissance faciale est devenue l’un des éléments de la vie quotidienne des citoyens. On ne manque pas d’exemples d’utilisation de cette nouvelle technologie pour appuyer cette idée.
En effet, plusieurs villes en Chine, dont Pékin, utilisent la reconnaissance faciale dans leur réseau de métro pour accélérer les contrôles de sécurité à l’entrée des stations. Chaque passager qui acceptera de se faire scanner le visage, recevra un laissez-passer vert lui permettant d’accéder plus rapidement au métro via un portique utilisant la reconnaissance faciale. De façon plus anecdotique, la reconnaissance faciale a même été utilisée en Chine, dans certaines toilettes publiques, pour éviter une utilisation abusive de papier toilette.
Cette technique a également pu être utilisée dans des restaurants KFC en Chine, où les clients pouvaient payer leur commande simplement en souriant. Il s’agit d’un outil de reconnaissance faciale créé par l’entreprise Alipay, nommé « Smile to Pay », qui a été inséré sur certaines bornes de restaurants. Également, et plus inquiétant, ont été mis en place en Chine, des lunettes high-tech dotées d’une technologie de reconnaissance faciale, pour les forces de police. Grâce à une base de données, ces lunettes peuvent rapidement identifier les personnes dans la rue, afin de les rapprocher au profil des individus recherchés.
Ainsi, on constate que la reconnaissance faciale est très largement sollicitée en Chine, et ceci à différents niveaux. Et alors qu’on aurait pu penser que cette technologie avait atteint son paroxysme par sa présence dans la vie quotidienne des individus, il a été démontré récemment que la Chine utilisait également la reconnaissance faciale dans la région de Xinjiang, pour surveiller, réprimer et enfermer dans des camps, la minorité ethnique et musulmane des Ouïghours. Cette utilisation excessive et liberticide de la reconnaissance faciale amène alors à se poser des questions quant à la place des données personnelles des citoyens et nous montre les limites à l’utilisation de nouvelles technologies.
La reconnaissance faciale, problématique forte de protection des données personnelles
A travers l’installation de la reconnaissance faciale dans la vie quotidienne des citoyens, la Chine semble mettre en avant la dangerosité d’une telle technologie, notamment pour les données personnelles.
Par l’obligation d’instauration d’une telle technologie en achetant un nouveau téléphone ou en souscrivant un nouveau forfait dans une boutique en Chine, cela va à l’encontre de toute protection des données personnelles des citoyens chinois. Dès lors, le but même donné à la directive de septembre, à savoir de « préserver les droits légitimes et les intérêts des citoyens en ligne » donne le ton ironique et absurde de ce qui sera par la suite recommandé dans la directive.
En effet, quand on sait que plusieurs sites et réseaux sociaux sont liés au numéro de téléphone, cela questionne très largement l’installation de la reconnaissance faciale comme élément propre à l’achat. Cette technique s’immisce alors dans un outil composé très fortement de données personnelles : avec un téléphone, on peut se divertir, s’informer, payer, acheter, appeler, prendre des photos, etc. Selon les autorités chinoises, en 2016, 92,5% de la population chinoise accède à Internet via son téléphone. Et cela est d’autant plus préoccupant quand on connaît la place des téléphones portables aujourd’hui : en effet, quasi tout le monde a un téléphone à l’heure actuelle. Cette obligation concerne alors le plus grand nombre de personnes, qui dès qu’elles changeront de téléphone ou de forfait, se verront soumises à la reconnaissance faciale.
Ce faisant, le gouvernement chinois semble vouloir affirmer que sous couvert d’une nécessaire préservation de l’identité réelle des citoyens, il peut tout faire et outrepasser le cadre même des données personnelles. Par exemple, ce dernier surveille de plus en plus les réseaux sociaux, tout en affirmant « promouvoir un développement sain et ordonné d’Internet, et protéger la sécurité de l’État et l’intérêt public ». Il a notamment imposé sur le site Weibo, qui est l’équivalent de Twitter, une obligation d’enregistrement de l’identité réelle des utilisateurs, et ce depuis 2012. Dès lors, jusqu’où la Chine compte-t-elle aller pour préserver une identité réelle de ses citoyens ? En ne permettant plus l’anonymat sur les réseaux sociaux, mais également en imposant de nouvelles obligations, dans plusieurs actes de la vie quotidienne de ses citoyens, la Chine met en place, à travers la reconnaissance faciale, un système contraire à la protection des données personnelles.
On peut également se poser la question de l’avenir des données collectées par l’enregistrement via reconnaissance faciale imposée lors de l’achat d’un téléphone. Que deviennent les données collectées ? Sont-elles transmises ou vendues à d’autres entreprises ou au gouvernement ? Cela pose de nouvelles et importantes problématiques qui peinent à voir des réponses claires et convaincantes. Ainsi, avec l’utilisation de la reconnaissance faciale, la Chine met en avant les dérives d’une telle technologie mais également ses limites : il n’y a plus aucune donnée personnelle qui n’aurait pas été captée ou utilisée.
Toutefois, on peut noter que, petit à petit, certains citoyens chinois ont commencé à s’interroger sur l’utilisation excessive de la reconnaissance faciale. Le fait que celle-ci soit appliquée obligatoirement pour l’achat d’un téléphone, a poussé les citoyens à questionner davantage le système mis en place. La Chine a d’ailleurs connu ses premiers procès concernant l’usage d’une telle technologie. Par exemple, début novembre 2019, un professeur a attaqué la direction d’une réserve d’animaux à Hangzhou qui exigeait une identification via reconnaissance faciale pour les visiteurs, que ce soit des adultes ou des enfants.
De plus, on semble pouvoir se réjouir du fait que, actuellement, cette importante utilisation de la reconnaissance faciale ne semble pas avoir été acceptée et suivie par la majorité des pays, notamment par les États-Unis, pourtant adeptes des nouvelles technologies. En effet, alors qu’en Chine, la reconnaissance faciale prend une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne des citoyens, les États-Unis ont décidé de prendre une tout autre position notamment par l’interdiction de ce procédé dans certaines villes. En effet, San Francisco, Oakland, ou récemment Portland ont décidé de bannir la reconnaissance faciale pour la police, mais aussi pour les entreprises privées ou les aéroports. Il a alors été mis en avant les risques d’erreurs sur certaines personnes, à savoir les femmes et les personnes de couleur, ce qui pourrait amener à des mises en cause injustifiées.
Sources :
COLOMBAIN J., « Nouveau monde. Reconnaissance faciale : ça bloque aux Etats-Unis, ça progresse en Chine », France info, 6 décembre 2019
G R., « En Chine, la reconnaissance faciale devient obligatoire pour les utilisateurs de smartphone », BFMTV, 2 décembre 2019
LAUSSON J., « La Chine impose la reconnaissance faciale pour chaque achat de nouveau smartphone », Numerama, 2 décembre 2019
LESAGE N., « La police chinoise utilise désormais des lunettes de reconnaissance faciale », Numerama, 8 février 2018
LESAGE N., « Dans ce KFC chinois, il suffit de sourire à une caméra pour payer son repas », Numerama, 4 septembre 2017
SCHAEFFER F., « En Chine, pas de reconnaissance faciale, pas de mobile ! », Les Echos, 2 décembre 2019
« En Chine, il faut se faire prendre en photo pour pouvoir acheter un smartphone », Le Figaro, 2 décembre 2019
« Chine : La reconnaissance faciale est désormais obligatoire avant d’acheter un smartphone », 20 minutes, 2 décembre 2019
« Chine : la reconnaissance faciale désormais obligatoire pour acheter un nouveau téléphone », L’express, 1er décembre 2019