Paru le 30 septembre 2020, le rapport du Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique, dont l’intérêt se tourne vers l’appréhension nouvelle de la réalité virtuelle et augmentée, peut être perçu comme un pas de plus vers une réflexion certainement nécessaire et pressante dans ce domaine qui, comme il est possible de le penser, tend à se développer.
En effet, si la réalité virtuelle est une notion ayant fait ses premières apparitions dans les années 70, le progrès numérique et technologique que l’on connaît aujourd’hui l’appelle progressivement à faire partie intégrante de nos vies quotidiennes ce qui suscite naturellement des questionnements sur les conséquences de cette éventualité.
Comme le fait le Conseil Supérieur dans son rapport, en se fiant aux propos de l’auteur Philippe Fuchs, il est nécessaire de rappeler que la réalité virtuelle est une technologie informatique ayant pour finalité de permettre à un utilisateur d’interagir dans un environnement numérique artificiel, à l’aide d’outils et techniques faisant appel à ses sens pour obtenir une immersion totale dans ledit environnement. On retrouve la réalité virtuelle essentiellement dans le domaine du jeu vidéo où elle rencontre un certain succès. Elle est également présente au sein de certaines institutions culturelles comme les musées, dans le cadre de visites notamment touristiques, ainsi que dans différents parcs d’attractions, salles d’arcades…
On rencontre également de plus en plus fréquemment une notion « dérivée » qu’est la réalité augmentée. Contrairement à la première notion, la réalité augmentée n’a pas vocation à isoler totalement son utilisateur mais se contente de superposer un élément virtuel à une réalité en temps réel. Plus facilement accessible, cette forme de réalité apparaît sur nos écrans de manière relativement significative, entre autres par le biais des marques qui utilisent ce procédé pour permettre à l’utilisateur d’essayer un bien avant achat.
Le contenu de ce rapport avait pour objectif de pointer les incertitudes juridiques visant ces nouvelles technologies et plus particulièrement les objets immersifs découlant des techniques de ces réalités virtuelles et augmentées. Or, il en ressort qu’elles peuvent certainement être considérées comme des œuvres, mais le doute quant à la protection applicable persiste : doit-on protéger chaque élément par un régime juridique propre en fonction de sa nature ou en tant qu’œuvre globale ? Doivent-elles entrer dans la catégorie d’œuvre collective ou d’œuvre de collaboration ?
Des questions qui commencent à se poser en raison du développement progressif de ces techniques mais qui ne suscitent jusqu’alors que très peu de contentieux.
Des incertitudes juridiques entourant les œuvres immersives :
Le rapport fait état d’une problématique liée à l’existence potentielle d’une multitude d’œuvres et de ce fait de régimes juridiques au sein d’un objet immersif, défini comme étant un «objet multimédia complexe» pouvant bénéficier d’une protection dite « distributive ». Une première réponse se fonde sur la jurisprudence antérieure, la décision « Cryo » du 25 juin 2009 de la première chambre civile de la Cour de cassation qui s’était prononcée sur la protection à accorder aux jeux vidéo. Les auteurs à l’initiative du rapport ajoutant également qu’a l’instar de ce qu’a pu dire la Cour de cassation sur les œuvres multimédia (Cass.Civ 1 Er, 28 janvier 2003) ou même la Cour de justice de l’Union européenne sur les jeux vidéo, l’objet immersif pourra potentiellement se voir protégé en tant qu’œuvre à part entière lorsqu’il sera question d’un univers totalement imaginaire. Cependant, lorsqu’il sera question d’user du réel, une protection distributive demeurera la plus adaptée. Sur cette question, aucun avis suffisamment tranché n’a été apposé du fait d’un manque de contentieux selon les interlocuteurs de la mission.
Par ailleurs, s’est également posée la question de savoir si les catégories d’œuvres collaboratives, composites ou collectives, sont assez adaptées à la nouveauté que sont les objets immersifs. Le rapport fait état d’une doctrine partagée sur le statut à adopter pour ce type d’objet. Le choix devrait être fait à l’appréciation des conditions de réalisation ainsi qu’en fonction des modalités de production de l’œuvre. En fonction de ces critères, l’œuvre serait ainsi soit de collaboration, soit collective à l’appréciation des parties lors de la réalisation du contrat.
Pour finir, s’ajoute à cela la multitude de contrats qui découlent de la pratique actuelle de la création des objets immersifs. Cette multitude de contrats s’explique par la pluralité de secteurs touchés par ce type d’objets. Chaque secteur a son modèle de contrat. De ce fait, les contrats ayant pour objet des œuvres de réalité virtuelle ou de réalité augmentée différeront selon qu’ils se forment dans le secteur public ou privé. Cette pluralité de contrats va conforter l’instabilité juridique encadrant ce domaine en empêchant l’application d’un statut unique.
Un statut juridique propre aux objets immersifs, difficilement applicable :
A l’instar de l’univers des jeux vidéos, le rapport soulève l’hypothèse de la création d’un statut ad hoc des objets immersifs. Dans cette optique, la mission s’est logiquement intéressée au rapport relatif aux œuvres multimédia afin de traiter le sujet. Il était pertinent pour elle de le faire puisque le rapport qualifie les objets immersifs « d’objets multimédia complexes ».
Il en résulte que les recommandations faites dans le rapport sur le multimédia étaient tout à fait applicables aux œuvres d’immersions. De ce fait, l’application de présomptions permettant d’une part de faciliter l’octroie du statut d’auteur de l’œuvre est dès lors envisagée. Une présomption qui reposerait sur une « participation déterminante » lors de la réalisation de l’œuvre. D’autre part est abordée l’application d’une présomption dite « automatique des droits d’exploitation » à l’éditeur ou aux producteurs. Cette dernière aurait pour avantage de sécuriser l’investissement et donc d’attirer des investisseurs.
Néanmoins, tout le monde n’est pas d’accord avec le fait de créer un statut propre à ces objets d’immersion pour cause, encore une fois, du manque de contentieux. C’est alors que le rapport s’est penché sur la création d’un guide des bonnes pratiques, protégeant les auteurs tout en attirant les investisseurs et qui serait élaboré par les professionnels. La profession déciderait donc elle-même des conditions à remplir afin de bénéficier de la protection. La cession des droits aux entrepreneurs se ferait dans ce cas par contrat selon le rapport. Ce modèle aurait pour avantage de sécuriser l’investissement en garantissant une présomption de cession de droit.
Le rapport conclut en supposant que si une telle pratique se met en place, elle pourrait donner par force de coutume une nouveauté législative.
Sources :
- Rapport de la mission sur la réalité virtuelle et la réalité augmentée du Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique .
- Article L. 121-1 du CPI; article L. 113-1 du CPI; articles L. 113-2 et L. 113-3 du CPI.
- Arrêt n°732 du 25 juin 2009 (07-20.387) – Cour de cassation – Première chambre civile.
- Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 28 janvier 2003, 00-20.014