Google a bien compris que l’axe sous-marin Europe – États-Unis est un des axes mondiaux déterminants dans le transfert de données et de contenus sur Internet. Le besoin de connectivité y est croissant, c‘est la raison pour laquelle le câble de fibre optique sous-marin de six mille six cents km « Dunant » est un enjeu économique capital.
Le projet « Dunant » date de 2018. Il fait partie des nombreux câbles sous-marins qui connectent le monde. On pourrait penser que les données qui transitent sur Internet utilisent la technologie satellitaire mais ce sont des câbles qui gèrent les flux mondiaux et comme le rappelle Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux et services internationaux du groupe Orange : « Les câbles sous-marins sont essentiels. Aujourd’hui 99 % des flux de l’Internet intercontinentaux passent par les câbles sous-marins. Sans eux il n’y aurait plus d’Internet ».
La technologie de la fibre optique :
On pourrait comparer l’épaisseur de la fibre à un cheveu qui a la capacité de transporter la lumière. L’information électrique d’un terminal électronique ( un ordinateur par exemple ) est transformée en impulsion lumineuse. La fibre va permettre à cette impulsion lumineuse de voyager très rapidement sur toute la longueur du fil. À l’arrivée du signal à chaque extrémité de la fibre, le signal lumineux est reconverti en informations électriques. Dans le câble « Dunant » il y a douze paires de fibres, elles sont rangées par paires car l’une s’occupe du chemin de l’information et l’autre des données.
Le câble sous-marin comportant des paires de fibres permet ensuite de connecter les centres de données d’un pays à l’autre. Ce sont des lieux stratégiques qui regroupent des équipements informatiques comme des serveurs qui constituent un système d’information et de stockage de données numériques d’une ou plusieurs entreprises.
Les capacités techniques de « Dunant » :
Le câble sous-marin de Google, initié en 2018, prend son départ à Virginie Beach puis traverse l’Atlantique pour finir sa traversée en Vendée, à Saint-Hilaire-de-Riez, en mars 2020. Il connecte donc directement la France et les États-Unis. Le câble est conçu pour pouvoir évoluer en fonction des technologies innovantes du moment et rester performant face aux câbles concurrents et à la demande croissante de vitesse de connectivité.
« Dunant » comporte douze paires de fibres d’une vitesse de transfert de plus de trente térabits par seconde. En sachant qu’un térabit est équivalent à mille gigas, la vitesse de transfert de chacune de ces douze paires de fibres atteint trente mille gigas par seconde. Pour remettre ces chiffres en perspective, il est désormais possible de transférer sur une fibre, trois mille films en haute définition de dix gigas en une seconde ou encore un fichier d’un giga en trente microsecondes.
Le financement de ces travaux titanesques et les enjeux de la neutralité du net qui en découlent :
« Dunant » a été financé par Google mais Orange assure les travaux côté français, pour l’arrivée terrestre du câble. Google finance la quasi totalité des travaux mais grâce à une contribution se chiffrant en millions d’euros, l’opérateur historique français disposera de deux paires de fibres optiques de « Dunant », lui assurant une énorme capacité de transfert de données sur le très stratégique axe transatlantique. Orange aura donc accès à une vitesse de débit supérieure à ses concurrents Européens.
En effet, historiquement ce sont les opérateurs télécoms qui finançaient ces travaux titanesques et coûteux mais depuis quelques années les GAFAM ( Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ) investissent considérablement dans les infrastructures sous-marines.
Cela pose de nombreux problèmes notamment en terme de neutralité du net. Les géants privés du numérique sont en train de s’assurer que le trafic mondial des données sur Internet passe par leurs infrastructures. « Dunant » est un câble entièrement privé, il a été construit uniquement pour répondre aux besoins de Google. Personne ne peut aujourd’hui réellement s’assurer que Google maintiendra une neutralité dans le transfert de données.
Google dépend de l’ordre juridique américain et les données personnelles conservées par cette entreprise sont traitées et stockées sur des centres de données localisés sur le territoire américain.
Mais l’entreprise possède aussi un grand nombre de centres de données sur le territoire européen qui sont désormais reliés aux centres de données américains par un câble américain et dépendant de l’ordre juridique américain. Il faudra donc, en tant qu’européen, être particulièrement attentif au régime juridique applicable aux données stockées qui transitent dans ces infrastructures 100% américaines.
Les enjeux géopolitiques et sécuritaires :
« La carte des câbles sous-marins, c’est la carte des influences dans le monde », énonce Pascal Griset, professeur d’histoire contemporaine à La Sorbonne.
Les États cherchent donc à contrôler ces axes qui contiennent des informations sensibles. Les câbles sous-marins sont des cibles stratégiques en cas d’attaque. Sylvestre Crocq, employé d’Orange et second capitaine d’un navire câblier nous apprend que « nous avons parfois affaire à des sabotages. En mer Noire, nous avons été confrontés à une coupe de câble de 50 kilomètres. C’était juste avant la guerre entre la Géorgie et la Russie. »
Le câble « Dunant » étant entièrement privé, des questions se posent sur sa protection. Le câble passe sur les fonds marins qui sont considérés comme patrimoine de l’humanité. La firme Google devra t-elle protéger elle-même son câble, pourra t-elle bénéficier d’une protection militaire étatique en cas d’attaque ?
Google n’est pas seul sur le marché :
Bien que dominant sur le marché, Google a de la concurrence. En effet, d’après TeleGeography, société d’études de marché des télécommunications qui récolte et analyse les données du monde connecté, Facebook possède dix câbles, Microsoft quatre et Amazon trois, ce qui est une preuve incontestable de l’importance de ce marché.
La firme américaine en possède quatorze et ne compte pas s’arrêter là. Sur les quatorze câbles, trois câbles sont entièrement privés : Le « Dunant » ; le « Curie » reliant les États-Unis au Chili et au Panama ; L’ « Equinao » reliant le Portugal au Nigeria puis l’Afrique du sud.
Google prévoit en 2022 un nouveau câble privé « Grace Hooper » qui comportera seize paires de fibres optiques. Il reliera les États-Unis, le Royaume Unis et l’Espagne. Cette infrastructure sera équipée d’un système innovant unique au monde qui permettra de rediriger instantanément le flux de données en cas de panne.
Le Président Philippe Piron d’Alcatel Submarine Networks, ASN, société qui s’occupe de la modernisation et de la réparation des câbles sous-marins, énonce : « Les géants américains du Net représentent aujourd’hui 40 % des commandes du marché contre à peine 10 % en 2013. »
Il faudra suivre avec beaucoup d’attention le développement des autoroutes sous-marines privées qui font transiter les données du monde entier.
Maxime Dannière
Sources :
LARTIGUE A., « Un océan de câble », mars 2019 ( www.webdoc.rfi.fr )